Vues et vécus en Algérie et ailleurs. Forum où au cours des jours et du temps j'essaierai de donner quelque chose de moi en quelques mots qui, j'espère, seront modestes, justes et élégants dans la mesure du possible. Bienvenue donc à qui accède à cet espace et bienvenue à ses commentaires. Abdelmalek SMARI
“On ne peut pas décrire [un pays]
rose bonbon parce que tout
simplement [il] n’existe pas. »
Kateb Yacine
La nacelle, vide, monte haut jusqu'à disparaitre dans le ciel brumeux du 16e étage, où des ouvriers
déménageurs la remplissent d’objets divers (meubles, tableaux, vêtements, électroménagers, cartons pleins de livres et de cassettes de musique ...) pour redescendre, glissant, presque heureuse et
légère malgré le poids.
Un vieil homme, ancien légionnaire, suit avec tension et soupirs ce monte-descend de la nacelle. Presque automatiquement allume une cigarette. «Sti maudits ekestra-communautaires ! – râle-t-il
entre les dents comme étouffé - Il a raison le Monsieur de l’agence immobilière. On peut plus vivre ici dans ce trou à rats. C’est fini. Heureusement que j’ai trouvé un acheteur à mon
appartement. Combien d’Italiens ont dû vendre leurs maisons pour échapper à ces légions de parasites ? Des délinquants, voilà ce qu’ils sont au juste ! des misérables qui ont besoin
de notre charité ! mais laissez-moi rire ! C’est une gangrène qui nous guette et nous poursuit jusque dans nos demeures. Moi je les renverrais tous à leurs douars avec des coups de
pieds au derrière et pourtant c’est moi qui dois quitter ma maison ! C’est moi qui déménage ! »
Sa colère s’éteint. Et, du coup, il éteint sa cigarette. Il donne un dernier regard sur son ex balcon et retourne au bar.
Tout en sirotant son café, il remarque une affiche « Nous louons un appartement spacieux et lumineux avec une vue panoramique sur la mer. Tel... »
Il ne sait pas que c’est son appartement. En sortant, il allume une cigarette. Il appelle le numéro qu’il vient
d’enregistrer sur son portable. « Allo, oui, bonjour ! » « Je suis Giuseppe, je vous appelle pour l’appartement... » « Désolé, nous venons juste de conclure avec un
autre client. Mais, entre nous, je vous suggère de chercher ailleurs ; car bien que l’Hôtel House soit un fief de pauvreté et de délinquance, un appartement de rien vous coûtera les yeux de
la tête. Pour une banlieue, franchement ça ne vaut pas la peine... Mais venez nous voir quand-même, nous avons d’autres propositions encore, et parmi les meilleures dans la région. »
Giuseppe retourne au bar pour acheter des cigarettes. « Blitz de la police ce matin à l’aube, hurle hystérique une voix de femme qui sort du tube cathodique. Dans la résidence Hôtel house, à
la périphérie de Porto Recanati, la police a arrêté une douzaine d’ekestra-communautaires... » du télé-journal, il est midi exact.
« Moi grâce à dieu j’ai vendu, dit le bienheureux Giuseppe à lui-même, à bas prix, mais j’ai vendu quand-même. » « Mon Dieu, commente en hurlant la barmaid, une Marocaine. Mais que
pensent-ils trouver ici ? je parie la tête de mon mari que tout le danger vient de l’Italie du Sud où des gens qui sortent le matin risquent de ne plus revenir le soir à leurs maisons. Le
danger est là, pas ici » insiste-telle.
A suivre
Abdelmalek Smari