Vues et vécus en Algérie et ailleurs. Forum où au cours des jours et du temps j'essaierai de donner quelque chose de moi en quelques mots qui, j'espère, seront modestes, justes et élégants dans la mesure du possible. Bienvenue donc à qui accède à cet espace et bienvenue à ses commentaires. Abdelmalek SMARI
Nous, les Algériens, nous n’avons jamais été Turcs, n’en plaise à Rossini et aux comédies de l’infamie du style de L’Italienne à Alger.
Pendant trois siècles, nous avons été les otages de ces barbares, victimes de leur égoïsme et de leur oppression. Pendant environ cinq siècles, il n’y a pas eu un Algérien en Algérie qui ait, je ne dis pas, gouverné mais qui ait pu donner son avis sur le gouvernement d’un pays qui était aussi le sien, comme l’indique le mot même « indigène ». Alors que leurs prédécesseurs, envahisseurs et occupants, nous ont même permis de fonder des États et des dynasties, les Ottomans et leurs héritiers français nous ont jetés hors de l’histoire et de l’humanité. Ce sont justement les Ottomans qui nous ont exclus de la cour de l’Europe occidentale et de la possibilité de pouvoir établir avec elle des relations de bon voisinage qui auraient été utiles et positives et pour notre pays et pour notre voisin naturel de l’autre rive de la Méditerranée. Au lieu de cette politique de bon voisinage, les Ottomans choisirent l’hostilité. Ils ont fondé le système de piraterie pour lequel plus tard les Français - comme les puissances prédatrices qui cherchaient alors des prétextes pour se constituer une proie - nous ont punis, sévèrement, cruellement, injustement, en essayant d’effacer jusqu’au nom même de l’Algérie. Depuis plus d’un siècle, les Français se consacrèrent sans relâche à la destruction de tout ce qui faisait partie de notre mémoire. Poussant leur effronterie jusqu’à ne nous considérer qu’orientaux, et à se considérer comme les seuls héritiers de Rome, de saint Augustin et des nombreuses ruines romaines de la terre d’Algérie ! Mais ne pourrait-il pas y avoir des gens plus impudents dans l’univers des hommes ? Bref, comme le dit l’un de nos journalistes, Kamel Daoud : « L’Algérie vaut mieux et passe avant les croyances, n’en plaise à ceux qui veulent la réduire à une annexe du Hijaz ou à un appendice de la France. »
En raison de ces faits historiques et autres encore plus récents tirés de l’histoire de notre révolution et des pères fondateurs et ressusciteurs de notre nationalisme, en raison aussi de ma formation personnelle et de mon école dans l’Algérie indépendante, je ne me considère pas comme oriental.
Et il n’y a pas que l’être-occidental qui constitue l’alternative unique à ce joug d’être considéré comme oriental. Non. Moi, je me considère comme enfant de ma terre et de cette époque moderne qui est la nôtre... Après tout, le Coca Cola n’a pas été inventé par tous les Occidentaux, qui dans ce cas ils se sont montrés des parasites, comme les autres peuples que nous appelons non-occidentaux, ni d’ailleurs la voiture ni la fusée. Tout les peuples de la terre ont contribué, qui plus qui moins, à la création de notre civilisation actuelle. Oui, au-delà de tout chauvinisme et de toute mystification, au-delà de toute arrogance et de toute prétention, l’histoire est une entreprise humaine. Cet arbre de la civilisation dont parle Ralph Linton est l’œuvre de toute l’humanité. Elle ne peut donc être la propriété privée d’aucun peuple en particulier. Les parasites totaux, s’ils existent, ont aussi contribué à cette modernité en l’encourageant par la consommation de ses produits. Nous avons tous joué un rôle dans cette grande tragi-comédie historico-existentielle.
Je ne voudrais donc pas être comparé à ces hommes-à-moitié dont parlait Marc-Aurèle « qui luttent avec des bêtes et qui, à demi dévorées, pleines de blessures et tachées de sang, demandent également à être épargnées jusqu’au lendemain, quand ils se trouveront de nouveau exposés aux mêmes griffes et aux mêmes morsures. » Je dois résister si je dois survivre, parce que l’hégémonie des puissants est une mort pour moi, une humiliation. J’ai toujours présente à l’esprit la résistance de mes ancêtres : Jugurtha, Kahina, Abdelkader, Ben-M’hidi et celle des hommes justes de l’histoire de l’humanité et d’autres pays, Jeanne D’Arc, Giordano Bruno, Gramsci parmi tant d’autres... Et puis, selon les mots du grand homme d’état, Giulio Andreotti : si Jésus (Allah) nous a recommandé de tendre l’autre joue à la main qui nous offense, il n’a pas oublié de ne nous donner que deux joues.
Si je recours aux citations c’est qu’elles m’aident à dire le plus clairement et le plus fidèlement possible ce que je ressens et ce que ma langue peine à exprimer. Ces citations ne doivent en aucun cas être considérées comme preuves de la justesse de ce que je dis. Pour moi, la vérité est aussi grande que l’univers, et chacun en possède un atome. Si j’ai raison, je ne pense pas que l’autre ait nécessairement tort : parce que la connaissance est la connaissance de faits concrets, représentés, conceptualisés ou imaginés.
De tels faits, connaissables, n’existent que dans l’univers humain et sont infinis. Ces faits sont comme les lettres d’un alphabet que l’homme a en commun avec ses semblables, mais chacun les combine à sa manière pour raconter son propre itinéraire existentiel ; chacun le fait en fonction de son histoire personnelle, de ses expériences de la vie, de la conception qu’il a de la vie, de sa volonté, de son humeur du moment, du pouvoir qu’il a, des désirs qui le meuvent, de son appartenance à un groupe donné et à une époque donnée, de ses relations avec son prochain, avec son lointain et avec le cosmos... De cette façon, émergent de nouvelles existences, de discours originaux capables de déconcerter la vérité elle-même, car bien que différents et contradictoires, ils ne sont pas pour autant moins authentiques ou moins vrais les uns que les autres.
Pessoa dit d’une seule personne, c’est-à-dire de lui-même, métaphore de l’homme bien sûr :
« Soit, je me contredis !
Je suis immense, je contiens en moi des foules entières. »
Quoi qu’en disent les orientalistes, les ethnographes et les médiorientologues d’une partie de l’humanité, des Algériens en l’occurrence, personne ne peut empêcher cette partie de l’humanité opprimée et vaincue de répéter de son coin microscopique avec son langage exotisé par ses dominants, la grande vérité de Térence, le fils de Carthage : « Homo sum, humani nihil a me alienum puto ».
Dans le Magazine Littéraire 526 – décembre 2012 – page 83, Maxime Decourt écrit : « Le type littéraire du Juif, qui réunit tous les traits de la figure du diabolus, celui qui divise, répond à un besoin presque cathartique de la société, qui projette de manière fantasmagorique, pour les mettre à distance, tous les instincts condamnés qu’elle reconnaît avec horreur. » [...] « Parce que l’autre ici est aussi une projection de soi-même. »
En raison d’un long travail de mystification et d’une propagande systématique, les colonialismes turc, britannique, français et d’autres puissances prédatrices sont arrivés à faire des soi-disant Arabes des antisémites par excellence. Ces misérables aliénés continuent malheureusement à croire à une telle fantasmagorie. En plus depuis qu’ils ont été bombardés de mensonges et d’incitation à la haine des Juifs, ces vaincus et aliénés qui ont appris à haïr les Juifs, ont parfois dépassé leurs maîtres antisémites... le comble est que ces soi-disant Arabes sont souvent eux-mêmes des Sémites !
N’ont-ils pas encore appris, misérables, qu’en haïssant d’autres Sémites comme eux, ils ne font que se haïr eux-mêmes ? Mais cette idiotie de la sensibilité n’est-elle pas en soi l’un des grands objectifs de bordélisation des damnés de la terre que les ex et néo colonialistes cherchent justement à atteindre ?
Ainsi, les soi-disant Arabes ont non seulement fini par croire à ces absurdités, mais ils ont aussi commencé à en inventer d’autres, comme si l’œuvre de leurs maîtres antisémites ne suffisait pas ; comme si cette œuvre n’avait pas atteint le top de la barbarie et de la haine lorsque ces maitres antisémites ont exécuté avec détermination, scientifiquement et systématiquement les plans d’extermination des Juifs ! Ainsi, ceux qui ont de la paille dans le ventre croient qu’ils peuvent surmonter les contradictions qui tuent tous leurs discours mielleux afin de cacher leur mal. Ils pensent qu’ils peuvent s’en tirer en projetant leurs démons sur les stupides soi-disant Arabes. Ils croient qu’ils peuvent faire oublier à l’histoire et à l’humanité, présentes et futures, leur immense et immensément cruelle contradiction entre le fait de dominer leurs frères les hommes et le discours sur les droits de l’homme ; droits dont ils prétendent être les inventeurs et les seuls capables de l’appliquer.
Ainsi, enfin, avons-nous été détournés de voir clairement les hommes en face et de distinguer ceux parmi eux qui nous sont hostiles et nuisibles, de les désigner, de leur rappeler leur responsabilité dans la grande partie du mal qui s’abat sur les damnés de la terre, et - pourquoi pas ? – de les aider à se comporter comme des êtres humains, c’est-à-dire avec moins d’égoïsme et moins d’arrogance. Et ils peuvent atteindre ce degré d’humanité minimale s’ils le veulent, parce qu’ils ne manquent ni de conscience historique, ni de science, ni de technologie, ni de génie politique... malheureusement les soi-disant Arabes ont eu tendance à ignorer ces véritables prédateurs et se sont tournés vers une partie d’eux-mêmes, leurs frères juifs qui, dès qu’ils sont sortis des enfers de l’Europe, se sont vu tomber dans d’autres enfers. Des enfers, oui, mais à un degré moindre puisqu’ils sont la pâle copie de ceux originaux, les enfers européens. Mais Israël, avec toutes ses ressources et ses capacités humaines et technologiques, n’a vraiment aucune raison sérieuse de craindre ces misérables apprentis antisémites qui n’ont d’ailleurs pas le choix d’éviter ce piège : ils savent qu’ils sont victimes de chantage de la part de vrais antisémites, les antisémites historiquement établis, et qu’ils doivent de toute façon subir des représailles s’ils n’obéissent pas aux ordres. Ainsi se sont-ils révélés être des antisémites par procuration. Et c’est, précisément, la grande injustice qu’ils subissent : ils sont forcés d’attaquer leurs amis/frères juifs – eux-mêmes forcés de les provoquer.
Enfin c’est la justice de deux poids et deux mesures, comme au moyen-âge italien où les usuriers juifs subissaient des châtiments cruels tandis que les usuriers chrétiens s’en sortaient en payant une simple contravention ! L’historienne Gianna Gardenal cite Saint Bernardin de Sienne (un Saint !) qui fut sollicité à participer à la ri-écriture du statut de la ville de Pérouse où : « Il fut établi qu’aucun Juif ne devrait recevoir de l’argent de la part d’un Chrétien à travers l’usure. N’importe quel Juif contrevienne à cette règle, doit être immédiatement puni dans sa personne avec la peine de l’amputation du pied droit (souvenons-nous en passant du châtiment de Kunta Kinty, dans Roots d’Alex Haly) [...] Et toute sa famille doit être chassée de la ville, du territoire et du district pérousin. »
Grâce à dieu, et grâce aussi à leur force et à leur propre génie, les Juifs se sont finalement affranchis de ces injustices cruelles, mais pas les encore-damnés-de-la-terre, Arabes en tête, malheureusement pour eux !
Abdelmalek Smari