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Vues et vécus en Algérie et ailleurs. Forum où au cours des jours et du temps j'essaierai de donner quelque chose de moi en quelques mots qui, j'espère, seront modestes, justes et élégants dans la mesure du possible. Bienvenue donc à qui accède à cet espace et bienvenue à ses commentaires. Abdelmalek SMARI

Le nationalisme est patriotisme - Lettre à un ami sur le sujet (3)

 

Contrairement aux Roms, cependant, les Juifs ont développé un génie qui leur est propre et qui a effrayé - peut-être effraie-t-il encore - leurs bourreaux et à cause duquel ils ont été persécutés. Un génie qui a été une malédiction pour eux, comme le pétrole pour les Arabes ou l’or et les matières premières pour les peuples de l’Afrique et, avant eux, ceux des Amériques.

Leurs bourreaux, à de rares exceptions près, se fichaient de ce qu’un Juif pouvait penser, mais ils ne se souciaient que du produit substantiel d’un tel génie : la richesse matérielle qu’il pourrait procurer.

Une telle richesse suscitait d’abord de l’envie, puis de l’hostilité, puisqu’elle est interprétée comme un pouvoir et donc comme une menace imminente. La solution, avant d’arriver à celle appelée finale, qui tourbillonnait dans l’esprit de leurs bourreaux était de les voler par l’invention d’impôts injustes et lourds, par des saisies pour des crimes inventés, par des conversions forcées et autres assimilations où les richesses des convertis deviendraient, comme par magie, la propriété de la communauté convertissante !

Mais, doués d’un tel génie, les Juifs ne pouvaient pas se soumettre passivement à un tel sort. Ils savaient que dans ce cas, ils auraient signé non seulement le décret de leur mort historique, mais aussi leur mort existentielle, c’est-à-dire leur anéantissement en tant que peuple juif. Ils avaient réagi avec une résistance active en défiant les buchers et les supplices d’enfer. Ils avaient résisté par des conversions feintes.

Ils avaient résisté en fuyant dans les déserts et les territoires lointains, individuellement ou en groupe. Ils avaient résisté en convainquant leurs bourreaux de leur utilité comme conseillers de stratégies financières, comme banquiers généreux et disponibles, comme médecins d’excellence, gagnant le cœur des rois et des princes et franchissant leurs palais. Ils avaient su se faire aimer de leurs voisins, etc. Mais tout cela leur avait servi à sauver le moins qu’ils pussent sauver, avant que quelqu’un parmi eux n’arrivât à cette vérité, à savoir : pour avoir ou ré-avoir une dignité historico-anthropologique concrète et non plus chimérique ou hallucinatoire, il faut avoir une terre, ou la ré-avoir… Et même après cela, un fleuve de siècles de souffrances et de pogroms a dû couler à nouveau, pour aboutir à la tragique Shoah, avant d’atterrir sur la terre ré-eue, cette terre qui n’était plus promise.

Si aujourd’hui les Juifs jouissent d’une sorte d’amour « inconditionnel » de la part de leurs amis d’aujourd’hui, leurs persécuteurs d’hier, ce n’est guère un signe d’amitié.

Ces nazis-fascistes recyclés en amis sont prêts – s’il le faut - à falsifier l’histoire et les faits encore palpables tels que les trains de déportation et les crématoriums en attribuant aux Arabes toute la haine qu’eux-mêmes ont encore dans leurs cœurs et dans les cœurs de leurs héritiers !

A propos des relations entre chrétiens et juifs de l’aube à la fin du Moyen Âge, Gianna Gardenal a montré dans son essai historique  « L’antijudaïsme dans la littérature antique et médiévale » que les Chrétiens construit leur religion d’abord en diabolisant les Juifs, en se moquant d’eux et en les traitant d’imposteurs, puis en les persécutant et en les dépouillant de leurs biens - et même de leurs enfants ! - et enfin en essayant de les convertir aux coups de hache si ce n’est en les brûlant vifs. Pourtant, pour autant que je sache, l’idée d’État-nation, ni celle de nationalisme, avec laquelle toi et pas seulement toi expliquez les guerres et la haine raciale, n’existaient pas à l’époque ! Pourquoi, alors, toute cette cruauté gratuite et asymétrique à l’égard des Juifs pour reprendre l’expression formulée par les stratèges de l’empire du moment, héritiers de cet esprit de grande haine ? Pour constituer ex nihilo la nouvelle religion ?

La réponse, ma réponse est celle-ci : parce que les Juifs n’avaient pas de terre et, partant, un état qui pouvait les protéger.

À ce stade, je me risque également à émettre l’hypothèse, à partir de la lecture de Gardenal, que tout en acceptant la condamnation de l’homme Christ Ponce Pilate était déjà un premier fan du Christ, un chrétien avant le terme : d’habitude les Romains, fondateurs et adorateurs de la loi après Hammourabi et Moïse, ne se permettaient jamais de la laisser entre les mains d’une communauté vaincue et sans terre, divisée et sans poids politique. Imagine si au-delà de la Judée, sur les hauts plateaux de la lointaine Numidie, le général romain Marius qui avait capturé Jugurtha l’avait consigné à sa communauté au lieu de le consigner à la justice romaine... C’était impensable dans les doctrines romaines basées sur la domination et la conquête. Tout se faisait avec le plus grand soin, ayant toujours quatre yeux sur la loi, et non deux, ayant toujours à cœur le respect de ce principe sur lequel Rome avait été fondée, le respect de cet instrument avec lequel Rome avait réussi jusque-là et même plus tard à se rendre maitresse du destin d’une grande partie des peuples de la terre. En s’en lavant les mains, Pilate se serait comporté comme quelqu’un qui voulait embourber les Juifs ; et en les laissant faire, il comptait salir leur réputation puisqu’il les avait porté à commettre un crime abominable qui n’est égal qu’au péché originel. Un crime qui fut plus tard exploité par les Chrétiens dans leur croisade séculaire contre les Juifs.

Mais – te demandes-tu - pourquoi être grégaire ? La société est une hyper-bête – hyper parce qu’elle est faite de la somme des bêtes-individus qui la constituent. Elle les écrase pour sa propre survie. Et ses membres - agissant eux aussi pour leurs propres survies qui peinent à se syntoniser avec la survie générale de la société - créent le chaos et tendent à disperser inexorablement leurs énergies qui deviennent nuisibles aux intérêts des individus et de la société décrétant ainsi leur propre mort. Et c’est justement le rôle de la vie grégaire à éviter aux humains une telle débâcle.

Etant plus forte que n’importe quel individu pris singulièrement, la société - qui n’admet pas le chaos, c’est-à-dire qui ne tolère aucun ordre qui ne soit pas le sien - appelle ses membres au consensus par la diplomatie, comme les lois, les règles de conduite, les valeurs et autres constructions superstructurelles. Mais si les individus ne comprennent pas ou font la sourde oreille, et préfèrent plutôt gaspiller leurs énergies, les négativiser, en se refusant à les mettre en commun pour le bien général de la société, celle-ci recourt alors à la force brute et à la coercition pour faire respecter ses lois et ses règles. Et c’est dans la logique de la politique. Une nécessité que Machiavel aurait formulée comme suit : « Puisque les hommes sont généralement mauvais, le prince, donc, pour les soumettre doit être plus méchant qu’eux. »

De leur côté, les membres de la société, pris individuellement, chacun en douce ou quorum omnibus, selon les tempéraments et les forces dont dispose chaque rebelle, tente de résister contre l’ordre de la société. Mais la règle est que l’individu finit par se convaincre de la nécessité d’obéir de toute façon, en écrasant son orgueil ou son amour-propre, pour une vie plus sûre. Il finit par comprendre que l’État, qui est la forme concrète de la société, lui épargne les efforts immenses d’être au four et au moulin à la fois : s’il n’y a pas de règles claires, contenues, communes et partagées par tous les membres de la communauté, chacun invente ses propres règles et les met en œuvre. Et tout le monde en fera de même, et une jungle impénétrable de règles contradictoires et de conflits est créée.

Et qui alors aura la capacité de se battre seul contre une armée infatigable, innombrable, impitoyable, omniprésente, aveugle et sans aucune règle... ?

C’est la nécessité de ce grégarisme que les humains avaient déjà comprise dès le moment où ils sont descendus du paradis ou des arbres. Un grégarisme culturel, typiquement humain, mais qui repose évidemment sur les pré-requis instinctifs partagés par d’autres primates, si Darwin avait raison bien sûr.

Les humains, comme les autres êtres vivants, ont besoin du grégarisme pour dormir en toute sécurité, manger, s’accoupler, s’entraider contre de grands dangers et contre divers prédateurs ; pour se réunir et profiter de la vie en chantant et en composant des poèmes et des contes... C’est ainsi qu’ils ont eu la brillante idée d’unir leurs soucis et leurs besoins, leurs forces et leurs ressources, leurs idées et leurs paroles, leurs luttes et leurs actions pour créer un but unique, un intérêt commun de pouvoir vivre en sécurité et, plus tard pour les humains, dans la dignité et la liberté... Cette idée s’est incarnée dans cet esprit de solidarité que nous connaissons aujourd’hui sous sa forme humaine de nation ou d’union de nations.

Qu’un principe, qui a toujours prouvé son efficacité, soit corrompu ou entravé par quelque perversion humaine à une certaine période de notre histoire humaine, cela ne signifie pas que le principe lui-même - ici le grégarisme pour se défendre contre le caïnisme enraciné dans l’homme – devienne obsolète ou inutile ou perde sa valeur ou sa fonction. Oui, le grégarisme, en nous disciplinant, nous sert de nous défendre, d’abord de nous-mêmes individuellement, puis le père du fils, celui-ci du père, l’homme de la femme, celle-ci de celui-là, le frère du frère ou de la sœur ou de tout le groupe et celui-ci des autres groupes ou individus… Et donc si un peuple l’utilise mal ou l’utilise pour faire du mal c’est une autre histoire... Et dans tous les cas, une telle perversion, même si elle dure dans le temps, elle est toujours combattue et toujours avec succès.

Comme un corps biologique, la société, qui est constituée d’un ensemble de corps biologiques, tombe également malade, devient folle ou se trompe et commet des erreurs... et comme l’individu, elle aussi s’est inventée et ne cesse d’inventer des remèdes à ses maux : je pense aux voix qui ont combattu l’esclavagisme, le colonialisme, le nazisme et le fascisme entre autres maux… un Lincoln, un Ben M’hidi ou un Gramsci n’étaient pas seuls. La xénophobie, par exemple, n’est pas un mal absolu. Elle est plus un message à déchiffrer et à comprendre qu’une menace.

Dire que le grégarisme est nécessaire, cela ne signifie pas qu’il se donne d’emblée. C’est un monstre utile qui doit être construit et entretenu ; car l’individu ne s’est jamais complètement rendu face à la communauté, sa conscience ou sa loyauté tendent à s’effilocher dès qu’il ne ressent plus la coercition de la loi. Et un tel comportement est tout à fait logique : s’il n’y a pas de règles, le chaos règne et rend obsolète le recours aux règles.

Dans le cas de la xénophobie, l’intrusion massive de corps étrangers dans une structure homogène induit, en particulier dans les sociétés fragiles ou précaires, un trébuchement des références et des règles. Cela, parce que les intrus sont souvent munis de leurs propres références et de leurs propres règles, étant donné qu’ils sont nés et grandi dans d’autres humus et habitats différents. La société doit de toute façon recréer ou remettre à jour cette homogénéité qui lui permet de maintenir sa stabilité et sa survie en tant que communauté.

Si une communauté permet aux intrus de faire valoir leurs règles ou de les substituer aux siennes propres, elle aura en son sein un état de choses chaotique, ce qui génèrera de l’hostilité entre ses membres, des tendances à l’hégémonie, de l’exploitation et des conflits qui risquent de la désagréger. Et ce trouble général affaiblit la société, qui vit toujours avec le cauchemar d’être la proie d’une société rivale. Bien entendu, l’homogénéisation des étrangers ou ce que certains appellent l’assimilation est tout aussi difficile, si ce n’est impossible.

Que faire ?

 

Abdelmalek Smari

 

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