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Vues et vécus en Algérie et ailleurs. Forum où au cours des jours et du temps j'essaierai de donner quelque chose de moi en quelques mots qui, j'espère, seront modestes, justes et élégants dans la mesure du possible. Bienvenue donc à qui accède à cet espace et bienvenue à ses commentaires. Abdelmalek SMARI

Le nationalisme est patriotisme - Lettre à un ami sur le sujet (2)

 

Le nationalisme a été inventé, il vaut mieux dire développé, non pas ex nihilo mais à partir de ces prémisses et d’autres encore, occultées ou inconnues, historiques et préhistoriques, pour inventer la famille, les tribus, les clans, les castes, les villes, les États, les empires, et toujours à nouveau la famille, les tribus, les clans, les castes, les villes, les États, les empires...

Si la définition moderne de la grégarité innée du vivant appartient – propriété privée ?! – à un philosophe, à un homme politique ou à un intellectuel des nations perfectibles (puisque la langue dominante dans cette période historique leur appartient), cela ne signifie pas que, quelque part dans l’histoire et parmi les mêmes  nations non perfectibles (il faut entendre ici une sentence de Renan, pas une observation), il n’y ait pas eu des formes analogues avec des noms différents.

Et si dans la langue de ma mère au lieu de nation on dit watan, un thème très proche du thème du batan (sein), c’est parce qu’on ne parle pas la même langue que parle une nation perfectible. A propos du batn : le terme latin natio désigne les petits d’une même portée, et signifie aussi un groupe humain de la même origine. nation étymologie - Cerca (bing.com)

Et ne me dis pas que c’est l’Occident qui a inventé un tel mot, parce que c’était une personne ou un groupe de personnes d’une école philosophico-politique qui a inventé le concept. Ensuite, comme toutes les marchandises et les idées qui ne savent rester là où elles sont nées, il est progressivement arrivé dans d’autres villes et d’autres territoires du monde pour en conquérir les idiomes et la façon de penser et de dire la politique et ses outils.

Et ça a toujours été comme ça avec toutes les idées... Il est rare que l’on invente la même chose – si l’on veut être honnête, et les gens sincères et très critiques ne cessent de le prouver – à deux endroits différents. La soi-disant découverte de l’Amérique a-t-elle été l’œuvre de tout l’Occident ? Si c’est le cas, alors cela impliquait également les Juifs et les Musulmans Maures qui ont été convertis de force et réduits en esclavage ou utilisés dans les premières expéditions. Même les terribles Turcs ottomans y avaient contribué avec leurs expériences de navigation et leurs cartes.

Ce fut un Génois, dit-on, qui avait tout fait, puis petit à petit étaient arrivés, certains immédiatement, d’autres après et d’autres encore, plus tard, pour créer ce beau monstre qu’est l’Amérique que l’on connaît aujourd’hui. L’Occident serait un courant ou un tapis volant qui transmettrait des concepts en les transportant d’une partie de son vaste territoire labile-rigide, en admettant qu’il n’y ait pas de jalousie et d’hostilité entre les nations qui le composent, mais seulement de la générosité dans la distribution de la manne du savoir. Pense à l’affaire Wikileaks ou à celle de Snowden et aux différents pièges et projets d’espionnage que les différents pays dits occidentaux tendent les uns aux autres... Ou peut-être faut-il comprendre qu’il s’agisse là d’un moyen d’uniformiser ou de maintenir l’uniformité du soi-disant Occident ?!

Un exemple pratique : prenons la théorie de Freud, qui est née à Vienne dans une certaine soupe culturelle commune et en même temps différente du reste de l’Europe et du monde ; différente et donc sui generis de cette ville.

La théorie est arrivée, comme la Coca Cola et les cigarettes, comme Week-end et Shopping, aux quatre coins de la terre. Mais entre-temps, la psychanalyse est considérée comme une théorie occidentale.

Un Italien, un Français ou un Anglais se sentaient-ils sérieusement comme les proches parents de l’Oriental, le Sémite, le Viennois... Freud ?!

Mais s’il est légitime de se réclamer d’une exclusive affinité avec Freud, Derrida, Shakespeare, Machiavel, Farabi, Augustin ou Aristote... ou même avec Hannibal ou Alexandre le Grand, ce n’est pas du tout moral, c’est même une violence aussi cruelle que ridicule, de dire aux autres hommes non perfectibles qu’ils ne peuvent et ne doivent pas prétendre se sentir affins à ce que le genre humain a produit de meilleur.

« ... alors le héros [Tartarin] se réveilla, et dégainant son couteau de chasse : « Aux armes, aux armes ! » cria-t-il aux voyageurs, et le premier de tous, il fondit sur les pirates.

« Quès aci ? Qu'est-ce qu'il y a ? Qu'est-ce que vous avez ? » fit le capitaine Barbassou qui sortait de l'entrepont.

  • Ah! Vous voilà, capitaine ... Vite, vite, armez vos hommes.
  • Hé ! pourquoi faire ?, boun Diou ?
  • Mais vous ne voyez donc pas ?...
  • Quoi donc ?...
  • Là... devant vous... Les Pirates...

[...]  

  • Ce sont des portefaix. [...] C’est vrai! oui, des portefaix, qui viennent chercher les bagages pour les porter à terre... » Alphonse Daudet « Tartarin de Tarascon

C’est ce à quoi ressemblent les ethnologues et autres orientalistes dans mon credo et mon imagination. Il vaut mieux les appeler : les « Tartarin », au lieu de les affubler d’érudits ou de savants experts ! En fait une grande partie de la production culturelle de ce qu’on appelle l’Occident est basée sur ce processus de déformation systématique, rigoureuse et continue de la réalité en vue d’exclure les peuples non perfectibles de la sphère des bienheureux perfectibles.

Et puisque le vent de l’histoire ne souffle en ce moment que pour gonfler les voiles des voiliers occidentaux, les races perfectibles ne peuvent permettre aux races non perfectibles de faire appel à l’héritage de la crème de l’humanité. Non, l’impératif de Renan ne permet pas à ces macaques d’accéder à l’état de perfectibilité. Voici l’unité de l’Occident ; elle est basée sur ce genre de constructions discursives avec de fortes composantes d’exclusion-inclusion tout à fait arbitraire. Donc je ne vois pas pourquoi je devrais me soucier du fait que mon pays ait été dessiné avec une règle ou une plume, et d’ailleurs quel pays n’a pas été désigné avec une règle et en plus avec des fleuves de larmes et de sang, à commencer par la France elle-même. Roman de l’annexion d’un château…

Ce pays est-il né avec la Bretagne à ses côtés, avec la Provence, Nice et la Corse à ses pieds ; avec ses possessions d’Outre-mer et d’Outre-océan ? Non ! Idem pour sa sœur jumelle, l’Angleterre avec l’Ecosse, l’Irlande, les îles Malouines ? Et les dernières arrivées, les trois Amériques n’auraient pas vu le jour de sitôt si un certain Génois, selon la version commune, n’avait pas révélé au monde l’existence d’immenses territoires vierges, un paradis sur terre où tout était disponible, à portée de main et de bouche. Il y avait des belles tomates, comme chantait Charles Trenet, des fruits, des viandes, des eaux, de l’or, et même des hommes non perfectibles créés spécialement pour eux, les Espagnols, les Portugais, les Anglais, les Hollandais, les occidentaux en somme (ceux qui comptaient et comptent encore). En fait

… un jour tout devint beau
Tout devint clair sur la rive
Et l’on riait et l’on pleurait
Et le monde chantait ohé.

Quel jardin merveilleux
Brille sous nos yeux
Ah les belles tomates
Le ciel est parfumé.

Charles Trenet - La terre

Peut-être que l’Amérique est née avec Hawaï, le Nevada, la Californie, la Floride... ? Tout se faisait avec quelques compas et des règles maniés par un cartographe militaire.

La seule différence est que, faut-il bien l’avouer, dans le cas de certaines nations devenues fortes, ce sont elles qui ont tenu la règle et le compas... Mais même ici, les damnés de la terre - car nous avons affaire à des hommes - quand ils ont voulu, grâce à la lutte pour la dignité et l’existence, ils ont pu arracher les outils de la cartographie aux puissances qui les avaient entre les mains et redessiner les frontières qu’ils jugeaient être les leurs.

Tu me diras que le peuple lui-même a été divisé : certainement mais où est le mal ? Les Niçois et les Corses ont également été arrachés à la terre mère, mais la terre est restée avec ceux qui sont restés. Et puis les Niçois, les Corses, ce sont tous des Occidentaux, des cousins. Non ? Le même argument s'appliquerait aux peuples irakiens, syriens, palestiniens et autres...

Donc ma conviction est la suivante : ceux qui n’ont pas de terre, un territoire – appelez cela comme tu veux – n’ont pas de dignité et ne pourront jamais l’avoir... Parce que la dignité n’est pas une âme, c’est un corps. C’est de la matière noire et froide, c’est de la terre, justement !

Regarde les Juifs jusqu’en 1947, ou plutôt regarde les Roms... Et toi tu penses, comme tant d’autres, que c’est à cause de leur diversité et surtout de leur cosmopolitisme qu’ils ont été persécutés... comme s’ils étaient les seuls différents ou les seuls cosmopolites de cette Europe-là et de ces époques-là ! Il vaudrait mieux dire, au contraire, que c’est justement ce cosmopolitisme et cette errance qui ont consolidé et fait durer leur tragédie au fil des siècles mais ne ils ne l’ont pas déterminée en la générant : leur errance est une conséquence directe de la perte d’une terre qui les protège, les unit et leur donne la sérénité et aussi la matière première concrète, solide comme la terre, pour construire la solidarité et la force entre eux et obliger leurs voisins à les respecter.

Quant au cosmopolitisme des Juifs, il n’a pas été un choix libre, mais ils ont été contraints de l’adopter parce que c’est une forme de survie, vu qu’ils étaient toujours contraints de chercher une terre de refuge. Ils ont cherché refuge parce que, malgré le fait qu’ils n’avaient pas de terre, ils ont pu compenser cette perte très grave par le développement d’un génie particulier qui leur a permis de s’investir dans les idées avant tout - compte tenu de leur tradition penchant vers le livre, les gens de livres les appellent le Coran, puis dans le commerce. Oui, l’existence d’une Sainte Écriture est aussi une garantie de permanence lorsqu’un peuple perd sa terre.

Face à la déferlante de l’Islam, l’Europe a su se défendre en s’unissant autour de l’Évangile/Pape, entreprenant même des offensives considérables, les Croisades, contre leurs agresseurs/menaçants. Les Arabes, colonisés et spoliés de leurs terres, ont réussi à résister et à reconquérir leurs terres, parce qu’ils ont des terres et ils savent qu’ils les ont.

Malheureusement les Roms, pour quelque raison historique de force majeure, s’étaient retrouvés sans terre précise, et n’ayant pas de livre sacré, un mythe fondateur/conservateur, sauf des légendes écrasées d’ailleurs par les cultures puissantes qui les entourent et les dominent, ils ont continué à souffrir et souffrent encore et se sont perdu jusqu’à l’idée de se constituer en communauté qui a droit à une terre à elle, comme tous les peuples de la terre.

Même les nomades ont un statut plus digne du leur ; les nomades Touaregs et les peuples vivant aux frontières, comme les Tyroliens du Sud, les Kurdes et d’autres « perdants » de l’histoire… toutes ces minorités gardent encore une certaine dignité car elles sont bien attachées à un territoire, à un point fixe, d’où elles peuvent soulever le monde, si un jour quelqu’un remet en question leur territoire. Les Roms, pour autant que je sache, et les Juifs avant la fondation de l’État d’Israël ont toujours souffert parce qu’ils n’avaient pas - ils l’avaient certainement perdue - une patrie faite de terre et de roche, de chair et de sang.

Abdelmalek Smari

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