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Vues et vécus en Algérie et ailleurs. Forum où au cours des jours et du temps j'essaierai de donner quelque chose de moi en quelques mots qui, j'espère, seront modestes, justes et élégants dans la mesure du possible. Bienvenue donc à qui accède à cet espace et bienvenue à ses commentaires. Abdelmalek SMARI

Les N.A.C. au pays rose bonbon (Nouvelle) : A Porto Recanati

Ahmed a chaud et il sent sa poitrine comme écrasée par un poids. Il voit autour de lui des champs sans fin. Sur une plaque signalétique, il lit « Rue Gramsci ». Il sort un bout de papier et lit « Rue Salvo d’Acquisto - Angle rue de la République ».

Il demande son chemin à un cycliste. « Tout droit, lui dit celui-ci et il ajoute, sois prudent. La route est longue et étroite. Attention aux voitures! » Ahmed le remercie et se remet en route pour rejoindre l’Hotel House.
Il vient de San Severo où il avait vendangé les tomates. Il a entendu dire que plus au nord il y a tout un quartier pour les Migristans honnêtes comme lui, ceux qui gagnent leur vie en travaillant.
Les maisons continuent à se raréfier au fur et à mesure qu’il avance. Il traverse un pont. Il est mouillé de sueur. L’air est lourd, comme ses jambes, et comme lui il (l’air) semble lui aussi transpirer.
Il doit sauter dans le fossé à chaque fois que deux voitures se croisent ou lors du passage des tracteurs qui pullulent dans cette campagne.
L’Hotel House est un endroit où vivent des gens appartenant à plus de cinquante tribus... Une mosaïque faite de corps, d’odeurs, de couleurs, de rêves, d’orgueil ; chaque groupe d’habitants est différent des autres groupes, voire hostile à eux.

Un mélange de langues, d’époques, d’usances et de coutumes différentes, d’âge, d’expériences de vie, de mémoires récente et historique et de conditions socio-économiques dont la municipalité, avec des efforts aussi harassants que magnanimes, s’est employée à faire une communauté tout à fait homogène, pacifique et avec une identité unique sans pli aucun.

La municipalité ne croit donc pas à la fable qui veut que seule leur condition administrative commune (c'est à dire le fait d’avoir justement un nom administratif commun, N.A.C. enfin) puisse faire de ces hordes de Gog et Magog une communauté à part entière.

Ahmed a besoin d’un lit et d’un petit boulot dans ce Nord, dans cet eldorado ; et Modou, l’ami sénégalais, les lui a promis tous les deux.
« Qu’il est long le chemin ! » dit Ahmed, essoufflé. Il profite de l’occasion pour téléphoner. Il peine à rentrer en contact avec l’ami qui va le recevoir.

« Imbéciles ! » s’écrie-t-il contre une file d’automobiles qui ne cessent de passer. Il crache ensuite sur son portable. « Quelle race de pays est-ce donc ?!  Pas même un autobus le relie à la ville ! pas l’ombre d’un trottoir ! »
Il remet le téléphone dans sa poche, sa main tombe sur une boîte d’allumettes. Il se calme, la sort de sa poche, la regarde et sourit. Sur l'une des faces,
 il avait dessiné un homme nu avec barbe. A l’endroit des parties génitales, il avait fait un petit trou où l’on voit poindre la tête rouge de l’allumette, l’unique allumette : la boîte est à moitié ouverte. En la renfermant, l’allumette est poussée vers l’avant et se hissant elle ressemble à un pénis en érection. Il la rouvre à moitié et la remet dans sa poche.
Modou pose le téléphone sur le rebord de la fenêtre, prend ses jumelles qui pendent sur sa poitrine et se met à regarder. « Mmm, j’peux pas te distinguer du paysage ! » murmure-t-il. Il se verse à boire, retourne à la fenêtre pour feuilleter un vieux magazine de musique rap. Une autre tentative téléphonique, point concluante, comme les précédentes d'ailleurs. « Mah ! » soupire-t-il.
L’ami, Ahmed, qui évolue à travers les champs, entend le téléphone sonner. « J’y suis presque… essaye-t-il de répondre. »
Modou éteint le téléphone et reprend les jumelles. « Maintenant, j’te vois ou du moins je vois ta silhouette. » Puis, en passant à la troisième personne, « Le pauvre, il sait pas que je suis en train de le regarder du 15° ciel… Combien d’étages, il a ce bâtiment ? voyons un peu. » il compte « 1, 2, 3, 4 ... 10, 11, ... 16, 17 ... 17 étages! Oh là là ! Immense ! »
Ahmed est maintenant à la maison depuis déjà une demi-heure. il sort de la salle de bain enveloppé dans un peignoire blanc. 
« T’as terminé ? » « Après cette douche je me sens regénéré... » Mais Modou ne le laisse presque pas finir la phrase « Je sais, je sais, l’eau n’est pas grand-chose, on me le dit tous. Mais moi, j’ai pas encore allumé le chauffage. »
« En effet c’était un peu froide mais il fait encore chaud et l’hiver est loin... tu peux encore épargner un peu de frics sur la facture de l'électricité... je blague, bien sûr. »

Les deux amis se mettent à causer autour d'un thé. Ahmed regarde le poster d’une tour gigantesque. « Oué, confirme Modou, c’est l’Hotel House. T’es ici. » il indique une fenêtre perdue dans un ciel noir illuminé de minuscules feux.

« C’est énorme ! ajoute-t-il, pas vrai ? A l’origine c’était un Residence de logements de mer pour les vacanciers. Puis ils y sont passés les sinistrés du tremblement de terre d’Ancône de 1972, les officiers des Forces de l’air, les sous-officiers de la police des finances, les danseuses des boites de nuit de la région et même une cellule des Brigades Rouges. Puis nous sommes arrivés, nous les Migristans et enfin toi... tu sais ? Ici vivent plus de trois mille personnes. Ils sont presque tous d’origine étrangère ! »
Ahmed jette de nouveau un regard à l’affiche. L’édifice a la forme d’une croix. « Peut-être c’est parce que ses habitants étaient de braves catholiques ? » Il retourne sérieux. « Toi, l’appartement, tu l’as acheté ? »
« Tu blagues ? Non, j’ai jamais possédé quoi que ce soit. Moi, je loue. Je loue tout dans ma vie, jusqu'à la vie, elle-même... et puis rêveur, L’Hotel House est une affaire juteuse pour les spéculateurs immobiliers. Allons faire un tour, tu veux ? »
Ahmed, avec les yeux d’un corbeau, scrute et note toute sorte de négligence : l’ordure éparpillée partout, les murs sales et dégradés, le manque d’aires de stationnement pour les voitures et d’espaces pour les enfants…
« Ici tout manque, dit Modou, mais on raconte entre-temps que nous sommes un exemple de la coexistence interethnique et c’est vrai, ma foi, quand on sait qu’on se tue pas entre nous! Du moins pas encore ! et pas pour des futilités. »
« Heureusement ! »

 

A suivre

 

Abdelmalek Smari

 

 

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