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Vues et vécus en Algérie et ailleurs. Forum où au cours des jours et du temps j'essaierai de donner quelque chose de moi en quelques mots qui, j'espère, seront modestes, justes et élégants dans la mesure du possible. Bienvenue donc à qui accède à cet espace et bienvenue à ses commentaires. Abdelmalek SMARI

Le nationalisme est patriotisme - Lettre à un ami sur le sujet (4)

 

Que faire ? nous nous sommes demandés.

Renvoyer les Etrangers ?

Là aussi, la société se montre très loyale, pour ne pas dire sage : elle fait fuir ces intrus en essayant de les convaincre et de les persuader par des discours mielleux ou des mensonges. Et s’ils ne comprennent pas, elle recourt alors aux menaces et aux manières fortes.

C’est pourquoi la société, qui est assez rusée, crée quelques structures ou des partis (la Ligue du Nord, Beppe Grillo et d’autres ici en Italie, le Front national en France...), et leur confie la tâche de stigmatiser les intrus et de les diaboliser, dans le but de les maintenir dans le statut de corps étrangers afin de ne pas contaminer la population originale.

Il y a une autre manière, qui s’est produite dans l’histoire : le recours à la naturalisation, comme avait fait la France avec les Italiens de Tunisie pour empêcher l’Italie colonialiste de revendiquer la propriété de ce pays. Ou la méthode d’Adolphe Crémieux, qui avait naturalisé la plupart des Juifs algériens. Ce politicien savait qu’en agissant ainsi il aurait eu d’une pierre deux coups : d’un côté la nouvelle société coloniale aurait amputé l’Algérie de ses enfants juifs et de leurs biens et de leurs cerveaux, de l’autre côté il aurait renforcé en nombre la société coloniale sans grand besoin de faire appel aux habitants de la métropole.

Certains avaient répondu favorablement, d’autres avaient résisté (Pierre Fréha dans le Vieil Alger). De toute façon les Juifs d’Algérie avaient payé cher leur condition avec la France nazie-fasciste...

« En 1938, environ un tiers des Juifs adultes italiens étaient membres du Parti fasciste », dit une note à la page 325, citée par Robert O. Paxter dans « Les cinq phases du fascisme ».

Mis à part le fait que dans leur cas, comme dans celui des autres citoyens qui ont été trompés par le fascisme, on ne peut pas reprocher aux Juifs d’avoir adhéré au fascisme parce qu’alors, comme toujours, ils étaient une minorité sans défense et en proie à tous les chantages et à tous les viols politiques...

Avaient-ils vraiment un autre choix ? et alors, où auraient-ils dû aller ? auraient-ils pu, pour la plupart d’entre eux, se permettre le « luxe » de fuir et de quitter ou de traîner avec eux « leurs » pays, leurs maisons, leurs familles, leurs biens ? Et où étaient-ils censés aller, l’Europe, rappelons-le, grouillait de fascistes antisémites à l’époque ?

Tu me diras que justement à l’époque il y avait des fascismes... Mais à regarder attentivement autour de nous ces jours-ci, moi particulièrement je vois dans le monde qui m’entoure que les fascismes n’ont pas disparu. Certes ils ont changé leur apparence et leur langage, mais en substance ils sont encore là et ils sont en train d’opérer de manière éclatante, comme les fascismes d’hier, sur la peau des personnes encore vulnérables. Ils ne cessent d’humilier les faibles et de boire leur sang, par tous les moyens possibles et imaginables et avec tous les mensonges justificatifs qui ont fait la gloire d’une prétendue science héritée de Renan et poursuivie par Bernard Lewis et d’autres experts d’une grande farce appelée médiorientologie... Parmi ces oppresseurs fascistes, il y avait les missionnaires qui incitaient, planifiaient, bénissaient et participaient activement aux entreprises coloniales inhumaines d’anéantissement des cultures et des peuples dits infidèles ou sauvages. Parmi eux, il y avait les malades de l’exotisme, les ethnographes avant le terme. Et bien sûr, il y avait les baïonnettes, les chars, les bombardiers ; et enfin on a Obama et ses drones.

Mais ils ne s’arrêteront pas là, car plus ils sucent le sang des faibles, plus ils deviennent forts et leurs victimes faibles et tentantes.  Et au fur et à mesure qu’ils y prendront goût, la tentation de persévérer devient encore plus forte, plus justifiée et plus justifiable...

Ces discours donnent le coup de grâce à ce qui peut encore subsister de la dignité des « damnés » de la terre, parce qu’ils les mettent dans une position anthropologique et historique inférieure et les présentent dans des expositions universelles, et ils en rient, et ils enterrent leur humanité pour ensuite laisser la place aux divers Caritas urget, c’est-à-dire les missionnaires et leurs disciples stilnovo les diverses ONG qui viennent dire leurs exécrables oraisons funèbres et verser leurs fausses larmes sur le sort de ces enfoirés... Une façon comme une autre de leur donner le coup de grâce pour les enterrer dans la fosse de l’inhumanité...

Cela étant dit, je dois avouer qu’une bonne partie de chez-nous est séduite par ce genre de mystification, par cette science de la banalisation d’un principe si fondamental, si vital pour les hommes, le principe de s’organiser en communauté.

Une telle aliénation a fait des ravages dans notre peuple : certains Algériens souffrant de ce complexe d’infériorité ont même honte de s’appeler Algériens !

Et pourtant un tel principe est fortement moral, il est la valeur des valeurs, il est l’âme que la terre exhale pour créer la fraternité et la solidarité entre ses enfants qui ont tendance à être hostiles les uns aux autres. Un tel principe est également noble parce qu’il ne pleut pas sur nous du ciel, mais les communautés humaines le gagnent au prix de grands sacrifices, de grands efforts moraux et physiques, à travers leur histoire et leurs expériences mauvaises ou heureuses.

Et si vous demandez à ces gens aliénés pourquoi ils sont sceptiques, ils répondent : « Mais l’Algérie n’existe pas parce que c’est le général X qui l’avait dessinée avec un compas et une règle ». Ou encore : « C’est la France qui lui a donné son nom et qui lui a tracé le chemin » ... comme si la France s’était appelée « France » par elle-même et non par les Teutoniques !

Mais ceux qui se connaissent eux-mêmes par proprioceptivité ont-ils vraiment besoin de donner un nom à ce qu’ils ressentent et savent ? C’est toujours l’autre qui crée le nom de son « autre » et vice versa.

Dans l’ère primitive, le nom est né pour indiquer une proie, un prédateur, un lieu ou un moment sûr ou une douceur et une sécurité… une altérité.

Et c’est ainsi que cela se passe jusqu’à ce jour.

La littérature et tout l’art de sentir, de connaître ou de composer ne sont rien d’autre que l’altruisation des sujets et des phénomènes pour les désigner par des noms et indiquer la relation qu’ils entretiennent avec le reste du réseau des choses et des phénomènes du cosmos.

Sartre disait : « Le vrai Français, enraciné dans sa province, dans son pays, porté par une tradition de vingt siècles, bénéficiant d’une sagesse ancestrale, guidée par des coutumes éprouvées, n’a pas besoin d’intelligence. » Dans son « Qu’est-ce qui fait le Juif ? » Sartre rejette la définition du Juif par la race, mais aussi par la religion. Le Juif est juif à cause du regard de l’autre : « Le  Juif, dit Sartre, est un homme que les autres hommes considèrent comme un Juif. »

http://www.histoire.presse.fr/livres/les-classiques/reflexions-sur-la-question-juive-de-jean-paul-sartre-01-10-2002-8239

La réflexion sur soi et sur le monde, sur les connaissances acquises et reçues qui font qu’un homme devienne homme, passe par trois phases :

  • L’innocente légèreté où tout se passe sans aucune friction avec le monde, donnant ainsi

le temps à la mémoire en gestation de se préparer aux grands efforts de traitement des informations qui, peu à peu, au fil du temps, s’avéreront particulièrement et nécessairement importantes et pertinentes pour la vie de l’homme en dehors du jardin qui se perd inexorablement, non sans remords et nostalgie, comme le sein de la mère.

  • La curiosité déroutante, puis, tout d’un coup, les choses dociles d’il y a peu de temps

deviennent des problématiques, étonnantes, comme ton étonnement devant le surgissement des seins d’une fille qui juste hier encore n’existaient pas. Et puis les contradictions, les doutes et donc les déceptions, les dissidences et les révoltes commencent à pleuvoir.

  • Enfin la remise en ordre de tout cela après cette étape, au nom de quelque raison ou de

quelque force majeur.

Tu n’es pas en train de parler à un Oriental ni à un Arabe ou à un Musulman, même si j’ai de fortes composantes de ces réalités anthropologiques et historiques, mais j’ai beaucoup d’autres expériences historico-existentielles et anthropologiques que je partage avec le reste de l’humanité, en particulier la version méditerranéenne de l’humanité.

Tu es en train de parler à un homme qui a hérité la longue histoire que son peuple et sa terre ont connue et vécue, l’embrassant, parfois bien volontiers, parfois à contre cœur, parfois avec la force des expériences accumulées au hasard des chemins entrepris par l’humanité.

Une telle histoire ou de telles expériences historiques, tantôt nous tombaient dessus, tantôt nous allions les chercher sur place : nous avions même donné des pharaons aux anciens Égyptiens ! Et ce n’est pas tout : nous avons donné à d’autres peuples beaucoup de nos filles et de nos hommes habiles dans les divers arts, et nous avons reçu d’eux autant de richesses, de sécurité et d’amitié.

Avec les Phéniciens, nous avons accueilli l’art du commerce, l’écriture, le culte de la lune, plus tard  le monothéisme avec l’arrivée des premiers Juifs qui nous ont accompagnés jusqu’à ce que la France décide de les amputer du corps algérien avec l’exécrable décret Crémieux et autres manœuvres diaboliques et infernales.

Quand l’étoile de Rome se levait, les gens de mon pays s’alliaient tantôt avec les Étrusques, tantôt avec les Grecs ou les Ligures eux-mêmes et d’autres peuples anciens hostiles aux premiers Romains dans l’Italie méridionale et dans les îles pour contenir ce monstre naissant. Et quand l’étoile de Carthage s’est éteinte pour toujours, c’est Rome qui est devenue notre empire et notre patrie comme cela s’était produit pour tous les peuples conquis par les Romains, Ligures et Francs en tête.

Cette période de l’Algérie romaine fut bénéfique pour l’humanité : en guise de remerciement, l’Algérie l’avait gratifiée d’un Apulée et d’un Augustin. Ce dernier surtout, avec ses œuvres, a montré combien nous étions liés aux Romains, et même combien nous étions Romains ; lui qui avait prévu et assisté au grand et imminent coucher du soleil de Rome, sut lui recréer par amour un royaume dans les cieux.

Tous les Algériens, à l’exception de quelques païens, vestiges de cultes puniques ou juifs, sont devenus chrétiens, et pendant des siècles, nous avons été d’expression latine, de confession chrétienne et de tendance impérialiste-romaine.

Non seulement le nombre infini de ruines romaines dans le nord de l’Algérie actuelle en témoigne, mais aussi les gestes chrétiens, les tatouages chrétiens, les mots et les noms des peuples et des villes latines...

Nous avons réagi de cette manière avec les Phéniciens, et nous avions dû nous comporter de la même manière avec les Arabes. Jusqu’aux Arabes, nos envahisseurs/invités s’étaient comportés plus ou moins démocratiquement avec nous : ils ne nous avaient pas exclus du pouvoir. Il y avait toujours eu des rois et des empereurs de chez-nous. En Andalousie, par exemple, les rois et les princes confiaient de hautes charges d’État et de justice aux Juifs et aux Berbères, en tant que citoyens des pays du Maghreb... en témoigne l’historien Claudio Sanchez-Albornoz dans son ouvrage « L’Espagne musulmane » de Claudio Sanchez-Albornoz.

C’est avec les Turcs que les choses ont mal tourné et que le contact est devenu occupation et source d’oppression et d’humiliation pour les Algériens. Les Turcs nous ont opprimés et humiliés, à leur manière, non seulement parce qu’ils étaient d’un tissu anthropologique différent du nôtre, mais aussi parce qu’ils se comportaient avec un égoïsme extrême. Ils étaient restés attachés à la porte dite sublime où aboutissait toutes les richesses des indigènes jusqu’à l’acte de vente de notre pays qu’ils avaient signé en langue turque avec les acquéreurs français, les nouveaux occupants. Et ils nous ont vendus comme des porcs à leurs héritiers et frères dans l’égoïsme, la haine, le despotisme, notre humiliation et la tendance à nous exterminer.

Nous, les Algériens, nous n’avons jamais été Turcs, n’en plaise à Rossini et aux comédies de l’infamie du style de L’Italienne à Alger.

 

Abdelmalek Smari

 

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