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Vues et vécus en Algérie et ailleurs. Forum où au cours des jours et du temps j'essaierai de donner quelque chose de moi en quelques mots qui, j'espère, seront modestes, justes et élégants dans la mesure du possible. Bienvenue donc à qui accède à cet espace et bienvenue à ses commentaires. Abdelmalek SMARI

Le rêveur des lys blancs (*)

 

Voici, je crois, la version complète du poème de Mahmoud Darwich (1941-2008), écrit dans sa jeunesse, que j’avais publié en frontispice de l’article précédent et je vous la propose à présent. Une perle de l’un de ces poètes qui ne meurent jamais : «Un jour je serai poète / Et l’eau se soumettra à ma clairvoyance».

Traduction de A. Amri, le 24.04.2013

Dans l’image, Mahmoud Darwich, palestinien, avec Rita (de son vrai nom Tamar Bin Ami), israélienne, dont il était amoureux depuis son enfance.

 

« Il y a des poètes qui ne meurent jamais parce qu’ils restent toujours dans le cœur de ceux qui les lisent. Ils franchissent, générations après générations, les limites absurdes du chacun pour soi, ainsi que les cloisons étanches de la haine. Ces poètes éveillés, hommes et femmes, qui ne meurent jamais finiront par peupler la terre entière, on les appelle les bâtisseurs de l'humanité ou faiseurs de paix et de justice. … »

 

Il rêve de lys blancs
D’un rameau d’olivier
De la floraison de ses seins au soir
Il rêve – m’a-t-il dit –
De fleurs d’orangers
Il ne cherche pas à philosopher autour de son rêve
Il comprend les choses
Uniquement comme il les sent, hume
Il comprend – m’a-t-il dit – que la patrie
C’est de boire le café de sa mère
Et de rentrer au soir

Je lui ai demandé : Et la terre ?
Il a dit : Je ne la connais pas
Et je ne sens pas qu’elle soit ma peau ou mon pouls
Comme il en va dans les poèmes
Soudainement, je l’ai vu
Comme je vois cette boutique, cette rue ou ces journaux
Je lui ai demandé : L’aimes-tu ?
Il répondit : Mon amour est une courte promenade
Un verre de vin ou une aventure
— Mourrais-tu pour elle ?
— Que non !

Tout ce qui me rattache à la terre
Se limite à un article incendiaire, une conférence
On m'a appris à aimer son amour
Mais je n’ai pas senti que son cœur s’identifiait au mien
Je n’en ai pas respiré l’herbe, les racines, les branches
— Et son amour.

Etait-il brûlant comme le soleil, la nostalgie ?
Il me répondit avec nervosité :
— Ma voie d’accès à l’amour est un fusil
L’avènement de fêtes revenues de vieilles ruines
Le silence d'une statue antique
Dont l’époque et le nom ont été perdus

Il m’a raconté l’instant des adieux
Comment sa mère pleurait en silence
Lorsqu’il fut conduit quelque part sur le front
Et la voix affligée de sa mère
Gravant sous sa peau une nouvelle espérance :
Ah si les colombes pouvaient grandir au ministère de la Défense
Si les colombes pouvaient grandir !

Il tira sur sa cigarette, puis ajouta
Comme s’il fuyait une mare de sang :
J’ai rêvé de lis blancs
D’un rameau d’olivier
D’un oiseau embrassant le matin
Sur une branche d’oranger
— Et qu’as-tu vu ?
— J’ai vu l'œuvre de mes mains

Un cactus rouge
Que j’ai fait exploser dans le sable, les poitrines, les ventres
— Combien en as-tu tué ?
— Il m’est difficile de les compter
Mais j’ai gagné une seule médaille
Je lui ai demandé, me faisant violence à moi-même :
Décris-moi donc un seul tué
Il se redressa sur son siège
Caressa le journal plié
Et me dit comme s’il me faisait entendre une chanson :
Telle une tente, il s’écroula sur les gravats
Il étreignit les astres fracassés
Sur son large front, resplendissait une diadème de sang
Il n’y avait pas de décoration sur sa poitrine
Il était, paraît-il, cultivateur ou ouvrier
Ou alors marchand ambulant
Telle une tente, il s’écroula sur les gravats
Ses bras

Etaient tendus comme deux ruisseaux à sec
Et lorsque j’ai fouillé ses poches
Pour chercher son nom
J’ai trouvé deux photos
L’une... de sa femme
L’autre de sa fille

Je lui ai demandé : T’es-tu attristé ?
Il m’interrompit pour dire : Ami Mahmoud, écoute
La tristesse est un oiseau blanc
Qui ne hante guère les champs de bataille, et les soldats
Commettent un péché lorsqu’ils s’attristent
Là-bas, j’étais une machine crachant le feu et la mort
Transformant l’espace en un oiseau d’acier

Il m’a parlé de son premier amour
Et après cela
De rues lointaines
De l’héroïsme de la radio et du journal
Et lorsqu’il cacha un crachat dans son mouchoir
Je lui ai demandé : Nous reverrons-nous ?
Il répondit : Dans une ville lointaine

Lorsque j’ai rempli son quatrième verre
J’ai dit en plaisantant : Tu veux émigrer ? Et la patrie ?
Il me répondit : Laisse-moi
Je rêve de lys blancs
D’une rue pleine de chansons et d’une maison illuminée
Je veux un cœur tendre, non charger un fusil
Je veux un jour ensoleillé
Non un moment fou de victoire intolérante
Je veux un enfant adressant son sourire à lumière du jour
Non un engin dans la machinerie de guerre
Je suis venu pour vivre le lever du soleil
non son déclin.

Il m’a quitté, car il cherche des lis blancs
Un oiseau accueillant le matin
Sur un rameau d’olivier
Car il ne comprend les choses
Que comme il les sent, hume
Il comprend – m’a-t-il dit – que la patrie
C’est de boire le café de sa mère
Et rentrer, en paix, avec le soir.

 

---

(*) - Je demande à l’auteur de ce post, en le remerciant d’avance, l’autorisation de publier su mon blog (www.malikamin.net) l’intégralité de ce texte avec l’image du poète et de sa petite amie.

Cela me servirait car dans un article précédent j’avais cité un part de ce poème et son auteur, et je crois que ce post éclairera un peu plus ce que j’avais écrit.

 

Abdelmalek Smari

 

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