Vues et vécus en Algérie et ailleurs. Forum où au cours des jours et du temps j'essaierai de donner quelque chose de moi en quelques mots qui, j'espère, seront modestes, justes et élégants dans la mesure du possible. Bienvenue donc à qui accède à cet espace et bienvenue à ses commentaires. Abdelmalek SMARI
In "Les présidents algériens à l’épreuve du pouvoir" – Badr’ Eddine Mili – Casbah-Editions, Alger, 2014, Réda Malek indique un facteur de propagande géopolitique qui fragilise davantage notre sens de l’Etat en particulier ; il dénonce en d’autres termes une mystification qui prône : « la mort de l’État national sous prétexte d’une mondialisation négatrice des frontières et des originalités nationales. Cette thèse est d’autant plus inacceptable qu’elle s’adresse à des pays dont l’État, encore fragile, a, au contraire, besoin de toutes ses potentialités pour s’affirmer comme l’authentique garant des personnes, des biens et des libertés. « Où est donc l’Etat ? », clamaient les citoyens algériens excédés par les horreurs terroristes. … qui prétendit en découdre avec l’État. »
Cher Roberto,
Un sein, une patrie… is all that man needs, me disait ma mère dans la langue de sa terre.
« Analyse et cherche, car rien ne peut élever autant l’âme que cet exercice. » renchérit Marc Aurèle.
J’ai lu récemment les « Pensées » de Marc Aurèle... Je ne croyais pas qu’il pût y avoir dans le monde ou dans l’histoire de la politique un empereur si sensible, si grand et si noble ! Entre-temps, j’ai eu l’occasion de revoir « Il divo » le film de Sorrentino et je me suis mis à repenser aux hommes et à leurs relations avec la politique et l’éthique. Le personnage du film, l’homme politique italien, Giulio Andreotti, le divo justement, dit : « Il n’y a pas d’hommes bons d’un côté et de méchants hommes de l’autre ; Nous sommes tous des pécheurs moyens. »
Dans cette lettre, j’essaierai moi aussi de réfléchir sur l’homme, parce que je réfléchirai sur l’un de ses produits caractéristiques : le nationalisme. Je pense que c’est ce sujet que traite principalement ton courriel.
À y bien réfléchir, j’en suis venu à faire une série de considérations et d’hypothèses sur ce qui a été dit de cette forme, expression ou instrument de la politique entre les mains de l’homme pour gérer les relations publiques au sein et entre les communautés humaines. Et à bien lire ta critique ou ton opinion sur le nationalisme, je n’ai pas pu m’empêcher de penser à toi, en tant que poète de la langue (ou du dialecte ?) génoise. Le fait même que tu écris ta poésie en ce dialecte, me suis-je dit, est en soi une forme de défense d’un territoire ! Bien sûr, il s’agit d’un territoire linguistique et culturel, virtuel et donc inoffensif. Mais le nationalisme aussi est l’expression virtuelle d’une notion, qui est elle-même enfant de notre esprit. J’ai aussi pensé que le choix de la langue de ta poésie est, outre à être un phénomène littéraire ou culturel, il est tout politique : c’est que tu cherches à sauver de l’oubli, au moyen d’un paradigme, la poésie, quelque chose qui ressemble à l’âme d’un groupe.
Il n’est donc pas impossible qu’un jour il pourrait naitre un « enfant de la langue génoise » qui, au nom de cette langue, en vienne à voir dans l’italien une sorte de langue hégémonique, sinon impérialiste, un objet étranger à combattre ou une espèce d’envahisseur auquel il crierait, comme le jeune Gramsci aux gens du continent : « Dehors, étrangers ! » Il n’est pas dit que la langue ne puisse pas être transformée en une cause politique.
Pour ma part, et en tant qu’Algérien, je ne peux pas faire comme si l’immense injustice que les Algériens avaient subie de la part du système colonial français n’ait pas existé. « L’Algérie reste une de ces terres tragiques où la justice attend... Tout le monde a pris conscience du fait raciste et colonialiste... L’artiste [le poète] doit entrer dans la lutte quoi que ce choix lui coûte » disait notre poète Jean Senac.
« Celui qui impose à l’autre son vocabulaire lui impose ses valeurs, sa dialectique et l’amène sur son terrain à livrer un combat inégal » B. Gollnisch dans Figaro 21-06-96 – note
Donner des noms aux choses consiste en fait à mettre un sens donné dans un contenant donné pour ensuite aller le chercher et le trouver de manière inéluctable : ainsi donc on a toujours raison...
Moyen-orient... Je ne veux pas m’opposer, d’ailleurs je n’ai même pas les forces, à une mystification séculaire telle que considérer Berbericus comme un oriental. Non je ne veux pas m’opposer à une telle mystification avec des moyens dérisoires, presque inexistants, même si une injustice porte en elle les germes de la révolte ou au moins le désir de révolte. Je ne veux pas m’opposer à une mystification produite, diffusée, enracinée et reproposée jour et nuit par les médias dominants pour les intérêts des régimes que ces médias servent et défendent en cherchant avec de la propagande à les innocenter de leurs injustices et de leurs bêtises. Tout simplement je n’arrive pas à y croire. Je ne pense pas que Berbericus soit un oriental.
Il se peut bien que le nationalisme ait été à l’origine des grandes tragédies du siècle écoulé. Mais est-ce vraiment le nationalisme qui fut derrière de tels désastres et pas une autre chose que les mystificateurs cherchent à cacher ? Ce qui est sûr, c’est que ces folies tragiques sont l’œuvre exclusive d’une poignée de peuples qui se considèrent comme non-orientaux, parce qu’appartenant à des races différentes et supérieures, qui peuvent se perfectionner selon la science exacte d'un Ernest Renan et de ses semblables. C’est peut-être la faute au nationalisme, mais je n’y crois pas. Je crois plutôt en la devise de ma mère : un sein, une patrie. Ma mère n’a pas fait d’études et ne savait rien des Jacobins. Si elle les avait connus, c’était par interposition des répercussions indirectes qu’ils avaient laissés en Algérie : ces mêmes Jacobins et leurs descendants l’avaient exclue, comme d’ailleurs mon père et tout mon peuple, de l’école, de la civilisation et de l’histoire.
En ce qui concerne l’œuvre dite civilisatrice du colonialisme, chère aux différents Jules Ferry et autres fascistes, la France avait réussi en un demi-siècle à former moins d’un millier d’infirmières dans cinq pays africains qu’elle occupait, tourmentait et asservissait, pourtant elle devrait veiller sur ces peuples à sa merci et soigner leurs destinées.
Voir le lien suivant http://www.amazon.fr/Africaines-dipl%C3%B4m%C3%A9es-l%C3%A9poque-coloniale-1918-1957/dp/2753511241/ref=sr_1_1?s=books&ie=UTF8&qid=1376037165&sr=1-1&keywords=9782753511248
Et c’est contre ce genre de barbarie que les damnés de la terre se sont révoltés et se sont montrés ingrats envers leurs prétendus bienfaiteurs et civilisateurs. Ma mère était l’une des millions de personnes que la France avait condamnées à l’ignorance totale et à la misère extrême. Ma mère s’appelait Zahra, mais elle n’a jamais réussi à écrire l’initiale de son nom. Je l’ai vue pleurer de terreur, quand je l’ai forcée à apprendre le ridicule mais terriblement impossible et indomptable pour elle une espèce de guillemet avec un point au-dessus, la lettre arabe du zei, l’initiale de son nom ; tant l’inhibition que nos civilisateurs, les Jacobins et leurs congénères et descendants de la race perfectible nous ont inculquée ; tant l’aveuglement auquel ils nous ont conduits, faisant manquer à plusieurs générations algériennes l’occasion biologique du moment critique du plus banal et primitif apprentissage... l’apprentissage d’une lettre alphabétique !
Ma mère était à des années-lumière de savoir ce qu’est le nationalisme, mais elle a dit d’une manière plus élégante et plus éloquente, la même chose qu’un vieil homme d’État aguerri, comme le roi du Maroc Hassan II, que « la géographie est la seule constante de l’histoire ».
Ma mère me l’a souvent dit, au début quand j’étais enfant, comme pour m’initier à l’existence des autres et ainsi me débarrasser de mon égoïsme et de mon égocentrisme. Ensuite, plus tard, elle me le répétait comme pour me rappeler cette même vérité biologique et me dire que ceux qui n’appartiennent pas au ventre de ta mère appartiennent à ta terre. Et j’en ai déduit plus tard que les hommes sont frères ou devraient l’être. Et je n’ai pas perdu espoir, tu sais ?
Le nationalisme, comme tous les paradigmes, est fait pour nous initier à la fraternité universelle. Et tant pis s’il y a quelqu’un qui y voit un pré-requis à la haine et à la non-connaissance : c’est comme l’histoire du verre à moitié vide, à moitié plein... Le nationalisme, tel qu’il est pratiqué et théorisé par ses partisans, est une forme d’organisation sociale et politique moderne de groupes humains qui partagent un territoire, une mémoire et les intérêts et objectifs caractéristiques de leur communauté.
Bien que le nationalisme ait été sublimé, rationalisé et sophistiqué, il ne surgit pas de nulle part. C’est le résultat d’une longue évolution, sans âge, de l’humanité, puisqu’il existait déjà sous une forme biologique qui n’est pas seulement primitive caractérisant les peuples non perfectibles, pas seulement animale où, selon des éthologues sérieux, parfois l’odeur d’un individu un peu différente de celle du groupe propriétaire dudit territoire peut provoquer un massacre, mais même dans le règne végétal ! Qu’est-ce que l’adaptabilité et l’acclimatation si ce n’est une forme de territorialisme ?
Territorialisme auquel les hommes, sous des termes différents et selon les époques archaïques ou historiques et le niveau d’évolution des langues et des consciences politiques, ont donné des noms différents : totems, consanguinité, confession, langue, coutumes partagées, géographie, compétences guerrières...
Abdelmalek Smari