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Vues et vécus en Algérie et ailleurs. Forum où au cours des jours et du temps j'essaierai de donner quelque chose de moi en quelques mots qui, j'espère, seront modestes, justes et élégants dans la mesure du possible. Bienvenue donc à qui accède à cet espace et bienvenue à ses commentaires. Abdelmalek SMARI

Une nouvelle de Sami Habbati (2)

الحدث

قصّة قصيرة : سامي حبّاطي، الجزائر

 

« L’évènement » de Sami Habbati est donc un beau texte. C’est ce qui me plait le plus dans la panoplie des textes que ce jeune écrivain et journaliste m’a envoyés.

Selon mes premières impressions, du point de vue structure, il est un peu une organisation in Itinéris à la Sartre du « Sursis »... mais du point de vue forme, c’est un peu un style à la Camus de « L’étranger »...

Bien sûr, il n’y a pas que Sartre ou Camus qui avaient utilisé ces procédés... seulement, moi, je crois connaitre mieux les textes de ces deux représentants de ces deux styles.

J’ai même idée que c’est une mode récente bien diffusée dans la littérature arabe. Une mode dont j’ai commencé à prendre conscience déjà dès le début des années 80 du siècle écoulé.

Je trouvais alors bizarre cette manière d’écrire, peut-être parce que je n’en saisissais pas la portée esthétique. Je n’avais pas appris à l’apprécier et d’ailleurs je ne l’ai jamais utilisée, dans aucun de mes écrits, je la dédaignais tout court.

Voilà. 

Peut-être que je la trouvais ‘‘acerbe’’ justement parce que je n’arrivais pas à l’utiliser…

C’était une amie, un quart de siècle plus tard à Milan, qui avait attiré mon attention sur le génial usage que Camus (le littéraire, pas l’idéologue) avait fait de ce procédé télégraphique.

Maintenant que j’y pense, je crois que dans le cas de Camus, c’était réussi - pas comme chez nos novices qui en faisaient un usage acharné et anarchique.

Camus, en maitre de l’écriture, l’utilisait d’une manière harmonique, sans abus, sans obsession. Il y recourrait juste là où il le fallait, pour nous présenter la réalité telle quelle.

Cette réalité qui consiste parfois en des événements désarticulés, juxtaposés, étrangers et indifférents les uns aux autres, et où la causalité n’a pas sa place. Et c’est à notre esprit de s’arranger pour y trouver un sens, pour le créer ex nihilo s’il le faut, car tout est tolérable pour notre esprit sauf l’absurde.

Cette même réalité nous se présente parfois - mais contemporainement sous-forme d’évènements qui ne doivent leur existence qu’à la succession d’autres évènements sine qua non.

Cette manière télégraphique, cette envie (ou horreur) de se passer des conjonctions, n’est en soi ni un mal ni un bien, car par exemple « L'étranger » de Camus, qui est un chef-d’œuvre, fut écrit en ce style télégraphique.

Déjà dès le début, Camus annonce les couleurs, le rythme du style qui allait régir son texte : « Aujourd’hui, maman est morte. Ou peut-être hier, je ne sais pas. J’ai reçu un ‘‘télégramme’’ de l’asile : ‘‘Mère décidée. Enterrement demain. Sentiments distingués.’’ Cela ne veut rien dire. C’était peut-être hier. »

Je crois que la présence du mot « Télégramme », dès le premier paragraphe du premier chapitre, n’est pas fortuite. Ce mot indique tout un programme de style quasi sui generis à la nature de la Réalité selon Camus.

Qui connait le style panachant et bavardant de moult écrivains (Saramago, par exemple ou notre Boudjedra), appréciera mieux ce style camusien…  

De l’autre côté, le Sartre du « Sursis », quant à lui, nous présente la réalité comme une séquence du long ruban du temps existentiel qui se déroule infini et indifférent à l’esprit et à la matière ; fleuve qui coule impétueux et inexorable, emportant les hommes et préservant d’eux ces bribes de réminiscences, qu’on appelle vies ; mystère sourd derrière lequel notre esprit court et cherche d’en tailler quelques segments en en faisant projets et mémoires afin de donner un sens et une profondeur à l’être et au monde.

Là aussi c’est une chasse à l’absurde… et je crois que la littérature de l’absurde n’a que ce sens là : chasser l’absurde, cette tête de gorgone qui gêne à mort l’esprit et secoue les certitudes sur lesquelles se basent notre vie humaine et même notre survie biologique.

C’est ce que j’ai noté d’une manière particulière dans cet écrit « L’évènement » الحدث  .

Dans ces écrits télégraphiques et ceux classiques en général, couchés dans notre langue, j’ai pu noter aussi hélas des anomalies graves.

Anomalies qui sont légions dans nos maisons d’édition et chez la plupart de nos écrivains (aussi progressistes et illuminés soient-ils) ou écrivains de pacotille et du ridicule…

Anomalies que – je le souhaite du fond de mon cœur – nos jeunes écrivains ne devraient pas reproduire, tels des moutons qui reproduisent le même itinéraire des troupeaux antédiluviens, tête baissé et yeux à peine ouverts.

D’abord la vocalisation (التّحريك) : nous savons que l’écriture en arabe présente une grande problématique. Parfois un texte, des phrases, des mots risquent d’être illisibles, à cause de l’absence – ou la présence « facultative » - des voyelles (حركات).

Mais cela ne doit pas exonérer les écrivains arabes de l’obligation de mettre ces signes vocalisant – ou du moins d’en mettre le strict nombre nécessaire - qui nous permettraient de comprendre le mot, l’expression ou le texte parias.

L’écrivain devrait (c’est un impératif) distinguer par exemple, grâce aux harakate (حركات), le verbe passif du verbe actif.

Ça ne lui coûte ni un surplus d’effort ni un surplus d’encre. Bien au contraire, ça le rend plus compréhensible, donc plus humain, et ses textes plus intelligibles et moins laids, s’ils sont laids, plus beaux s’ils sont déjà beaux.

Il faut – ici aussi, c’est impératif – apprendre à utiliser correctement les deux hamza (الهمزتين) : si par exemple nous présentons au lecteur ce mot (أهمل) tel que je vous le présente, c’est-à-dire avec une hamza de rupture (همزة قطع), cela a la signification « Avoir/avoir été négligé ou Néglige ! ».

Si je fais tomber cette hamza en écrivant la alif toute seule, on aurait un impératif : « disparais, circule… quitte la ville, comme disent les cowboys » !!!

Ne pas prendre en considération de telles anomalies signifie qu’on est paresseux, négligeant, manquant de respect à notre langue… de toute façon, une manière lâche d’emmerder nos lecteurs, et soi-même en premier lieu !

Je vais citer quelques exemples de possibles erreurs que j’ai trouvées sur un petit roman de science fiction pour jeunes (روّاد إلى القمر) de François Sauterau.

Belle traduction de Nassim Ouakim Yaziji (noms pas vocalisés, cela m’a posé problème pour la prononciation correcte du second !!!

Dans ce roman, même la ponctuation semble impeccable, dans notre monde éditorial arabe où l’on distribue à tout vent, abondamment et anarchiquement point, point d’interrogation point virgule et virgule sans utilité et sans intelligence… quant aux autres signes de la ponctuation, ils semblent incompatibles avec la langue arabe !

D’abord, considérez cette erreur grave, gravissime :

هؤلاء النّاس الرّحّالة الّذي سافروا إلى حيث لا أدري

Je ne crois pas qu’un Français – même un hébéphrène, meme un analphabète parfait – qui fait une erreur pareille dans sa langue puisse demeurer français… mais chez les Arabes, Yes we can !

Bien entendu, il est arrivé à des figures illustres (Voltaire, Le roi soleil, Marie Antoinette, Flaubert, et le dernier venu, feu Miterrand l’astrologue) de faire quelques erreurs, mais chez nous c’est pandémique. Chez nous cette médiocrité affecte plus nos malins et soi-disant intelligents que les cons naturels.

Chez nous, si tu protestes, on te rappelle qu’on est poète ou qu’on est éditeur, c’est-à-dire qu’on est au-dessus des lois de l’entendement, qu’on dispose de la licence d’être médiocres !!!

Et qui serais-tu face à cette crème de poètes et d’éditeurs, pour rouspéter ou souffler mot ?!

En voilà en ce qui suit des exemples de ce péché de vocalisation, un véritable délit, un crime crapuleux, car il force le lecteur arabe à lire plusieurs fois aller/retour presque chaque phrase pour en déchiffrer le sens ou la portée avant d’aller de l’avant pour un autre patinage sur place et ainsi de suite jusqu’à la fin du texte ou de l’ouvrage…

Et ce sera la même chose avec l’ouvrage suivant et les ouvrages qui le suivent…

Donc quand le lecteur italien, français ou albanais lisent cinq ou six livres, leur homologue arabe, lui, arrivera tout juste à lire un seul et en plus d’une manière approximative. 

Et ne lui demandez surtout pas de vous le raconter en détail ou en gros.

J’exagère, mais ces patinages existent bel et bien à chaque lecture d’un texte arabe… et ce n’est pas le caractère arabe qui en est le responsable, croyez-moi, mais la personne arabe (l’auteur et son éditeur) pour sa paresse mentale et son ignorance.

  • Péché 1 (j’écris comme je trouve écrit) : (وبحرارة حيانا قائلا)  - dans ce cas il aurait suffit une sheddeh pour nous éviter l’incompréhension.
  • Péché 2 : (لم أشعر بالضيق إلا عندما أختفى رفاقي)  - ici il suffit de retrancher la troisième hamza de rupture, autrement on aurait un verbe à l’interogative, alors qu’il n’y point lieu d’interrogation aucune.
  • Péché 3 : (لونا اثنان تحطّمت فوق القمر) (لونا ثلاث أول مسبار فضائي) – c’est louna, il aurait suffi d’avoir la générosité de mettre sur les deux pauvres idiotes syllabes une dammah et une fet’hah pour en faire des lettres de lumière et d’intelligence.
  • Péché 4 : (كنقطة فوق حرف الياء) hhhhhhhhhhh! C’est la traduction en arabe de l’expression française (comme un point su le I) !!! La lettre yeh, en arabe, ça s’écrit avec deux points au-dessous… et le distrait traducteur, avec son idiot d’Editor, le premier a traduit la lettre au lieu de l’esprit (ce qui est ridicule), le deuxième n’a même pas compris l’erreur et l’a laissée passer et là alors, c’est ridicule au carré.

Pensez qu’il n’y a pas d’ouvrage arabe, sauf peut-être le coran, qui soit épargné de cette désolation, de ce massacre du sens et de la beauté des livres !

Moi, je n’ai pris ces exemples qu’à partir de quelques pages par souci illustratif, pas pour en recenser exhaustivement ces crimes impardonnables de l’Editing dont les Arabes semblent ignorer l’existence même !

Pourtant il s’agit d’une belle traduction !

Pensez qu’il m’arrive de tomber sur des livres où l’on voit des paragraphes, parfois des chapitres entiers se répéter, en plus des autres erreurs à gogo dont je viens de citer quelques exemples…

 

Abdelmalek Smari 

 

 

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