Vues et vécus en Algérie et ailleurs. Forum où au cours des jours et du temps j'essaierai de donner quelque chose de moi en quelques mots qui, j'espère, seront modestes, justes et élégants dans la mesure du possible. Bienvenue donc à qui accède à cet espace et bienvenue à ses commentaires. Abdelmalek SMARI
Ou de l’art pour l’art
الحدث
قصّة قصيرة : سامي حبّاطي، الجزائر
De l’importance de la cheddeh
" في مقدمة هذا الفريق الثالث جمعية العلماء المسلمين الجزائريين، التي لم ينسها هم وطنها همّ فلسطين، لأن فلسطين بالنسبة لجمعية العلماء المسلمين الجزائريين ليست رقعة جغرافية عربية فقط ، وليست مكانة تاريخية فقط، بل هي إضافة إلى ذلك "قضية دينية"،... "
محمّد الهادي الحسني
Je commence par cette provocation : Qui peut me vocaliser et lire donc correctement cette expression
(التي لم ينسها هم وطنها همّ فلسطين) ?
L’auteur de cette expression sibylline, Mohamed El-Hadi El-Hasni, est le grand penseur des néo-ouléma algériens qui pourtant maitrise bien l’arabe et le connait plus que ses poches, comme vous pouvez juger par vous-mêmes et de sa langue et de son style en visitant le site suivant : (https://www.echoroukonline.com/ara/articles/550976.html)
Si seulement il avait mis une cheddeh sur la mime di(هم) il aurait épargné une grande corvée à ses lecteurs de se casser la tête pour comprendre une très simple idée que même un singe pourrait comprendre si elle était correctement écrite.
Pourtant notre « savant » dit et se glorifie d’aimer et honorer la langue arabe pour le meilleur et pour le pire !
Il y a aussi une autre anomalie que je pourrais appeler la gaie ignorance. J’ai connu un apprenti-poète ici à Milan qui, chaque jour venait nous lire une nouvelle fournée de ses poèmes (il en pondait dix par jour !!!).
Il en était tellement fier et tellement sûr de leur validité qu’il s’était pris à se croire meilleur prosateur qu’Aniss Mansour et plus poète que Mahmoud El Aqqad.
Un jour, dans une réunion entre amis où l’on discutait du théâtre et de la littérature et parlait de Shakespeare, du Pape et des leaders du monde et des Arabes, ce « gamin » me pria de lui examiner deux de ses créatures de sa dernière nichée et, surtout, de contrôler, versions arabe et italienne à l’appui, si son traducteur ne l’eût pas trahi !
En maniaque de grammaire et de conjugaison, en amoureux fou de logique et d’honnêteté poétique, en assoiffé de clarté et de lumière (ne s’agissait-il pas de traduire des mots et des sens ?), en dénonciateur effronté, je me suis mis à lui signaler plutôt ses fautes de langue, tout en me montrant super indulgent et super modeste. Ses textes étaient pleins de fautes graves, handicapantes, horribles.
Il allait m’étrangler de rage et d’insultes, comme si c’était moi qui eusses introduit de tels vers (de vermine) dans ses vers (de poésie) chéris !
Il vociférait et écumait et se gonflait d’artères et de veines, tantôt en son italien cassé (qui pourrait bien être du chinois ou du tagalog, en tout cas pas italien, heureusement !), tantôt en son arabe égyptien, également enragé et inintelligible.
Il n’arrivait pas à distinguer le sujet de l’objet, l’adjectif du prédicat, la manière et le mode de la cause, et celle-ci de la conséquence… mais il refusa mes corrections, non pas avec des arguments valables, mais parce qu’il était poète !!!
Puis, il eut le culot de venir chez moi à se soucier trop qu’on le traduisît mal et à s’en mourir !
Pauvre ignorant, il pensait que les Italiens allassent eux-aussi fouler des pieds les règles de leur langue et lui manquer de respect comme il faisait, lui, avec sa langue, la langue de sa mère !
Je lui avais alors demandé quelle école il avait faite… il m’avait expliqué que des malins comme moi l’avaient jeté à la porte, avant même de boucler la 4ème année moyenne de l’Egypte.
Bref.
Critique de la poésie ?
Un poème !
Voilà par exemple un texte où je ne pourrais dire un mot de plus que "I like", "I don’t like" ou "I don’t care absolutely".
Un poème est un texte où l’auteur peut utiliser, ajouter ou retrancher les points, les virgules, les sheddeh et les autres hamzeh… en somme, tordre le cou à la langue, pourvu qu’il ne soit pas un analphabète, comme mon Egyptien. On peut "remanier" la langue, la déranger, la remodeler, mais il faudrait d’abord qu’on la connaisse assez – ou l’ayant connue jusque dans ses ‘‘estremaduras’’, jusqu’aux fins fonds de ses limites - on découvre qu'elle ne peut plus répondre à nos exigences expressives et aux exigences de notre art, qu'elle est devenue impuissante, muette, inutile.
Et là alors, on serait en droit de lui tordre le cou et en faire tout ce que bon nous semble. On pourrait même faire plaisir à nos amis férus de l’art-pour-l’art, on ne serait jamais ridicule, puisqu’on sait ce qu’on fait, et on sait qu'on le fait en maitres, pas en pauvres ignorants.
Toutefois, quand on a à parler à partir d’une chaire, aussi sublime que celle d’où parlent d’habitude un Haddad (le patron de nos patrons, comme on se plait à l’appeler chez nous), Aristote, Augustin, Freud ou Pointcarré…, on est tenu à faire attention au choix de nos mots : quels mots utiliser, où les placer, comment les présenter, avec quelles parures et dans quelle compagnie, en l’honneur de qui, etc, etc…
Je parie que le plus fanatique parmi les fanatiques de l’art-pour-l’art ne pourrait jamais se retenir de pouffer en entendant notre Haddad parler en français (en réalité, fouler des pieds la pauvre langue française) ! pourtant c’est le même traitement que nos supposés ‘‘grands’’ écrivains, poètes, orateurs et éditeurs réservent sciemment et d’une façon idiote, lâche, arrogante et systématique à notre langue arabe. Le comble, c'est qu'il ne se trouve personne qui en rie, sauf peut-être de Madame Benghabrit... mais là, on rit de la femme, pas de l'ignorante !
Quant aux tristes curieux - comme nous (qui ne faisons pas partie des heureux l’art-pour-l’art) - qui veulent tout savoir des affaires des autres et du monde, qui aiment voir l'oeuvre user de toutes les ruses de la logique et de la rhétorique pour leur présenter le monde (la partie de ce monde qui les intéresse) dans toute sa nudité rouge pourpre et resplendissante, en leur mettant les points sur les I (النّقطة على الياء) - sic ! -, comme disait le traducteur syrien ... - quant à ces tristes et insolents curieux, dis-je, il ne leur reste qu’à pleurer.
Dans une poésie, à part l’auteur, personne n’a le droit de toucher à quoi que ce soit.
Mais on n’écrit pas seulement pour poéter…
Tout ce que le critique (le bon critique) peut faire est suggérer des sons et des images ou interroger le sens pour se rassurer soi-même, pour mieux apprécier ou témoigner son appréciation, pour nourrir enfin sa propre sensibilité.
Quand Gibran avait chanté la justice de la jungle, Abbas El Aqqad lui avait signifié que du point de vue philosophique c’était une stupidité, car la justice n’est qu’une catégorie de l’esprit humain. La jungle, quant à elle, ne connait ni justice ni injustice. Il est donc absurde de lui attribuer une qualité qui est capable d’effacer jusqu’à l’identité même de la jungle.
Gibran de sa part n’avait pas couru à « corriger » ou reconnaitre comme telle cette « gaffe », ce qui aurait été létale pour sa poésie et son génie. Car alors la gaffe qu’il aurait pu commettre aurait été celle de défigurer sa poésie, sur ordre d’un censeur inquisiteur, fut-il le grand Al Aqqad.
Bien entendu, le poète Gibran voulait dire que la justice parmi les hommes est si rare qu’on pourrait plutôt la trouver dans toute chose et dans tous les coins de l’univers sauf là où elle devrait se trouver, c’est-à-dire chez les hommes.
Et le politicien Al Aqqad ne voudrait pas que les citoyens (on n’est pas tous des génies ni même de simples poètes !) crussent à un monde unidimensionnel, le monde comme poésie et basta ( والرّوح تطلع ), qui les emmènerait directement au derwichisme éternel.
La querelle éternelle
Le même débat eut lieu entre Tchékhov, le dramaturge et nouvelliste, et quelques néo-stoïques romantiques : il les défia de pouvoir vivre l’hiver en Sibérie avec pour lit la terre nue, et le ciel pour couverture et ses étoiles.
Il ne l’aurait pas reproché à un poète… cela allait de soi, bien que son compatriote Nabokov (un art-pour-l’art dur et pur), comme nous verrons, aurait ri au nez d’un tel poète.
Je crois que souvent nos amis les « art-pour-l’art » confondent ou entendent confondre ces deux registres.
Que dire alors d’Oscar Wilde qui perdait de longs après-midis à mettre une virgule et à l’effacer ?
Ne fut-il pas, lui, Oscar Wilde, un grand artiste ?
Je ne peux pas empêcher à (النّابغة الذّبيانيّ) de dire tu es un soleil, et planètes sont les autres rois …
Je ne peux pas empêcher au coran de dire
(هيتَ لكَ أو هيتُ لك) ou (الم ، طس ، كهيعص)...
Je ne peux pas empêcher à Dante de dire "Pape Satàn, pape Satàn aleppe" Je ne peux pas empêcher à Pouchkine et à Lermontov de jurer par les astres ou les phénomènes naturels, en plagiant les antiques et le coran surtout…
D’autant plus que les auteurs de ces exemples n’ont pas passé la fleur de leur temps à répéter à l’ennui ces étrangetés… autrement, personne ne serait resté là à les lire ou à les écouter…
Pourquoi d’ailleurs ?
Autant écouter à l’extase le sourd et bête ronronnement d’un moteur diesel dans un nuage de fumée noire, asphyxiante, fermé dans un garage étanche.
Les bons écrivains écrivent pour entendre et se faire entendre. L’écriture artistique et scientifique est fille de l’intelligence et de la sensibilité. Et celles-ci ont des règles et des canons qu’il faut respecter et suivre pour comprendre et sentir.
Cela veut dire que l’art-pour-l’art n’est pas nécessairement incompatible avec les règles. Bien au contraire, les règles (et les propriétés physiques) du monde, des objets du monde et de leurs aspects (matériel ou spirituel) sont paradoxalement des éléments sine qua non qui constituent l’identité même de l’Etre des choses et du monde.
Et puis, on n’écrit pas seulement pour faire des idiots mawawil ou des mendabah et autres pleurnicheries pathétiques, ridicules.
On écrit surtout pour expliquer ce qu’est l’atome, pour démontrer un théorème, pour défendre un innocent, pour présenter un programme politique, pour rédiger une loi, pour décrire un paysage, pour dire ce que jamais les Ah et les Oh (de nos ancêtres les primates et leurs héritiers les derviches et autres charlatans) ne pourraient jamais dire ou expliciter …
Ce n’est pas par le tout-délire qu’on peut défendre l’art-pour-l’art. Le délire est personnel ou à la rigueur psychiatrique. Il n’appartient qu’à son auteur et n’a d’existence que dans son imagination. Il est inexternable…
Si nous voulons que les autres entrent dans notre monde et nous fassent entrer dans les leurs, il ne nous sera pas du tout permis d’ignorer les règles de la langue qui nous est commune, car ces règles sont la base même d’un langage commun, un langage qui met en commun nos sensibilités, un langage qui nous sert d’outils de socialisation et de partage d’émotions et d’informations. Et il ne saurait y avoir de sens ni de nécessité si cette langue est faite de marmonnements de derviches, de grognements de cochons, de délires de psychopathes, des vagissements de roseaux secs dans le vents et autres sottises et dervichismes.
De ce fait, de cette nécessité ontologique, l’on peut faire l’hypothèse que l’homme invente les empires, l’un après l’autre, dans le sang et la douleur, pour avoir enfin une langue commune, une seule langue, pour remonter à l’époque pré-babélique, afin de pouvoir s’entendre avec le maximum de ses congénères.
L’invention est nécessaire seulement là où les vieilles règles s’essoufflent et n’arrivent plus à répondre, et les nouvelles règles savent se faire intelligentes et utiles, savent s’imposer et convaincre.
Hors cette nécessité, toutes nos productions, aussi originales et géniales soient-elles, ne seraient que des "seghe mentali", comme disent les italiens, des masturbations mentales, des misérables consolations, des onanismes qui ne font jouir qu’une âme solitaire et bête.
Au grand Shakespeare on ne compte peut-être qu’une seule faute de grammaire (la seule qui nous est arrivée, en tout cas) : il avait mal concordé le sujet (pluriel) avec le verbe (singulier) !
Une faute qu’on continue jusqu’à nos jours à lui coller pour dire en quelque sorte au monde que ce grand poète n’était pas dieu.
Et je crois que nous ne sommes pas plus malins que lui ni plus génies.
Pourtant, lui, en suiveur (et en inventeur aussi) de règles, il avait mis la queue entre les pattes et reconnu sa nature divinement humaine : celle de respecter ce qui le transcende, tout en continuant à chasser impitoyablement la médiocrité et l’arrogante ignorance.
Si nous sommes incapables d’apprendre les règles, ne soyons pas ridicules ! Assumons notre ignorance ou notre débilité mentale. Essayons plutôt à ne pas prétendre que nous sommes au-dessus d’elles. Tâchons d’être intellectuellement honnêtes.
Nous pouvons les enjamber, nous en moquer ou nous rire des troupeaux qui les suivent, seulement, le jour où nous-mêmes nous arriverons à les maitriser à fond, en seigneurs, en parfaite connaissance de cause et en parfaite honnêteté intellectuelle.
Comment pourrions-nous fouler des pieds les astres alors que nous ne sommes que des minuscules insectes reptiloïdes marécageux ?!
Vladimir Nabokov est un fervent défenseur de l’art pour l’art. Il reprend avec satisfaction une citation de Flaubert qui disait : « L’homme n’est rien – l’œuvre tout ».
Il a fait de cette notion le leitmotiv de son œuvre gigantesque de critique « Littératures ».
Tous les auteurs qu’il y a examiné les a jugés en fonction de leur proximité ou éloignement de la peste de l’art engagé.
Ainsi donc Sartre, le chantre de l’engagement dans la l’art, n’est-il plus un artiste, mais un simple journaliste !
Néanmoins, même un Nabokov de la sorte, féru de l’art pour l’art, ne s’est pas gêné de tourner en bourrique Cervantès, auquel il reprocha d’avoir menti en quelque sorte dans la description du paysage, quand il avait fait de l’aride Andalousie un vrai jardin suisse !
En voici les termes de Nabokov : « Grands dieux ! penser aux montagnes d’Espagne, âpres, sauvages, hostiles, écrasées de soleil, gelées, parcheminées, ocre, vert-noir, et lire ces histoires de perles de rosée et de petits oiseaux ! C’est comme si après avoir visité les landes d’asters des plateaux de l’ouest américain, ou les montagnes de l’Utah ou du Colorado, avec leurs trembles et leurs sapins, leur granit, leurs ravins, leurs marécages, leurs glaciers et leurs sinistres sommets, le visiteur décrivait tout cela à la manière d’une rocaille de Nouvelle-Angleterre, avec buissons importés taillés comme des caniches et tuyau d’arrosage peint d’un vert mimétique. »
Abdelmalek Smari