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Vues et vécus en Algérie et ailleurs. Forum où au cours des jours et du temps j'essaierai de donner quelque chose de moi en quelques mots qui, j'espère, seront modestes, justes et élégants dans la mesure du possible. Bienvenue donc à qui accède à cet espace et bienvenue à ses commentaires. Abdelmalek SMARI

L’infinie croisade contre l’Algérie, état et nation (5)

 

Cette France des « Fumades » (chambres à gaz avant le terme), du Code de l’Indigénat, de la terre brûlée, des déportations, de l’oppression érigée en système, du napalm, de la trophéisation des têtes des résistants coupées et conservées dans les musées... Cette France, plus barbare que sauvage, ne peut plus être crédible ni comme exemple de civilisation, ni comme alternative à un système de gouvernement pour nos dirigeants néophytes, inexperts. Par conséquent, et malgré tout, nos dirigeants sont arrivés à élaborer un système de gouvernance,  beaucoup plus humain et plus efficace, malgré des erreurs, des imperfections ou des excès parfois non-voulus, parfois prémédités. Et tant pis si tel système, ce choix algérien, ne plaît pas à Annette, à vous l’auteure de cette dite épopée et à tous les caritas urget, aux nostalgériques, aux bons colons dont se moquait Sartre.

Nous savons que ce que vous n’aimez pas, ce n’est pas tant le système de gouvernement algérien lui-même dont vous vous moquez d’ailleurs que l’indépendance même du choix algérien et la justesse de ce choix. 

Il n’y a donc pas de place pour les erreurs et les retards : l’indépendance a été payée cher et elle doit être préservée, à tout prix. Cependant, même s’ils le voulaient, nos dirigeants n’avaient pas l’expérience de gouverner et devaient apprendre en gouvernant, parce qu’il y avait de toute façon l’urgence et la nécessité de s’autogouverner. Après tout, c’était la faute aux Français - et aux Ottomans avant eux - si nous n’avions pas la culture de gouverner, si nous n’avions pas développé un sens de l’État : ils nous avaient exclus de la sphère politique, et il était évident que nous n’avions pas l’opportunité d’apprendre l’art de gouverner ou de le faire correctement, de manière pacifique et démocratique. Et qu’importent ces petites erreurs, ces erreurs de luxe, si l’indépendance était en jeu !

Un autre cliché claironné par l’auteure – puisque le livre est plein de clichés sur la révolution algérienne - est celui de prétendre que la région de Kabylie et les nomades du Sahara soient marginalisés, exclus du gâteau de l’indépendance !

Quelles richesses étaient restées à l’Algérie, après le passage des sauterelles de l’apocalypse, des oppresseurs ottomans et français ? En faisant une petite comparaison entre le patrimoine architectural historique du Maroc et celui de l’Algérie, on se rend compte tout de suite des ruines algériennes : tout ce qui rappelle l’histoire arabe de l’Algérie et même ottomane a été détruit, déformé ou négligé par les pouvoirs français.

Et au lendemain de l’indépendance, l’administration, l’école, les usines qui étaient exclusivement aux mains des colons ont été désertées - ou sabotés - sans préavis, du jour au lendemain, laissant l’Algérie à terre, à zéro !

Non, chère auteure, il n’y avait pas de richesses à cette époque-là, à l’an zéro de l’indépendance de l’Algérie : il n’y avait que la terre, et les Algériens juraient de manger la terre plutôt que de rester sous le joug de la France coloniale. Heureusement, de terre il y en avait pour tout le monde.

Les richesses actuelles que vous attribuez, insinuant, à la France, ont été créées par les enfants de l’Algérie indépendante.

Mais vous ignorez, tout en versant des larmes de crocodile, que ces peuples de Kabylie et ces dits nomades du Sahara font partie intégrante de la nation algérienne. Ils participent au gouvernement du pays et règnent en maîtres dans les différentes institutions de l’État ; un acquis, plutôt un droit sacré dont ils avaient été privés pendant 132 ans de présence française ; un droit dont ils ne pouvaient même pas rêver sous le joug des imposteurs colons français.

Ces populations sont considérées par Camus lui-même comme arabes et : « vous, arabes » dira-t-il en s’adressant à l’un d’entre eux, l’un des révolutionnaires ;  et en tant que tels, ils étaient « déchirés et tourmentés par de trop longues souffrances". (18) Non, savante romancière, ces populations font partie du peuple algérien avec les mêmes droits et les mêmes devoirs. Les Algériens ne font pas de différence entre une région du territoire algérien et une autre. Il n’y a parmi eux que des néo-harki qui le pensent vraiment.

Quant à la connaissance de la langue française de ces Algériens qui veulent être des français, elle n’est pas si bonne et si répandue que ça en Algérie.

La langue arabe a été interdite et considérée comme une langue étrangère, non grata, voire interdite par le régime colonial. Il n’est pas donc étonnant qu’elle soit moins connue qu’au Maroc ou en Tunisie.

Cela étant dit cette langue, dans sa variante dialectale, est la langue parlée par la plupart des Algériens même dans les régions berbérophones.

Les Français ne dérangeaient pas la « langue » kabyle, non pas parce qu’ils la respectaient ou l’aimaient, mais parce qu’elle n’était qu’un inoffensif dialecte parlé (l’un des nombreux dialectes dérivés du berbère, le tamazight). Et dans ce cas elle ne menaçait pas la langue française ni ne rivalisait avec elle.

Enfin les Algériens qui parlaient français ont souvent appris cette langue non pas à l’école, ce qui était interdit à la plupart d’entre eux, mais par imitation (des colons), par nécessité et grâce à une sorte d’autodidacte ; il y va de leur survie physique et culturelle. Quoi qu’il en soit, le français de cette majorité est un sabir arabe, un pot-pourri de dialectes, incrusté ici et là de quelques mots et expressions déformés et arabisés ou berbérisés de la langue française. Et à ce jour, les Algériens, en particulier dans les grands centres urbains, ont encore ce monstre linguistique comme dialecte. Daniel Arasse, critique d’art français (quelle coïncidence !), considère comme un barbarisme cette expression moitié italienne moitié latine « Federico Dux » (19). A ce point nous pouvons dire que le français que les Algériens parlent est un français cassé, comme on l’appelle en Algérie. C’est tout simplement une mer de barbarismes.

Toutefois la vraie langue française que les Algériens ont apprise régulièrement et correctement est celle que l’Algérie indépendante leur a enseignée à l’école algérienne. La France algérienne n’avait aucun mérite si les Algériens avaient réussi quelques exploits culturels, économiques ou sociaux. Tout ce qu’elle avait offert comme cadeau aux Algériens, si jamais elle avait offert quelque chose, fut des discours à des fins de propagande pour redorer l’image de son système criminel et infâme. La réalité est que, comme l’écrit Jeanson : « ...  C’est précisément pour cette raison que [les Algériens] n’ont pas tardé à se rendre compte que le régime français les tenait à l’écart, non pas tant parce qu’ils étaient musulmans ou arabo-berbères, mais parce qu’ils étaient un peuple conquis. Leur véritable et unique statut - poursuit-il -, depuis cent vingt-cinq ans, est celui d’une population vaincue, soumise par la force des armes et tenue en état d’infériorité par un vainqueur, qui n’a jamais renoncé à se comporter en maître : fixant et modifiant les règles du jeu à volonté ; jugeant et condamnant ses sujets sur la base des critères adoptés par lui seul ; discréditant leurs valeurs traditionnelles, devenues inutiles, mais présentant les leurs comme inaccessibles ; leur proposant, enfin, une évolution, dont il leur refuse les moyens, et justifiant son refus par l’excuse de leur incapacité à évoluer... »  (20)

Par quel côté que l’on veuille prendre le système colonial en Algérie, on ne verrait que des désastres humains, que de l’oppression, des discriminations, de l’exploitation, des massacres... Que de catastrophes et de ruines dans tous les domaines de la vie du peuple algérien. Il est donc évident que les dirigeants et les gouvernés de ce pays répudient tout système qui leur rappelle le système français, à commencer par l’orientation politique et la vision de la société à construire. C’est une insulte de fermer les yeux, comme le fait l’auteure, sur une telle réalité en accusant nos dirigeants de clanisme ou d’arbitraire dans leur façon de gouverner.

Par ailleurs l’auteure traite Franz Fanon comme un handicapé mental, un colonisé, uniquement parce que la préface de son livre « Les damnés de la terre » a été écrite par Sartre. Comme si Fanon n’était pas un grand démystificateur du colonialisme ou comme si Sartre était un colon colonialiste ! Préface qu’elle considère « comme une forme de protection ou de colonisation ! »

Mais l’auteure ne se rend-elle pas compte de telles absurdités ? Et si au contraire le livre avait été préfacé par quelqu’un d’autre, par Anne Beaumanoir par exemple, l’auteure l’aurait-elle accusée de colonisatrice paternaliste ?

Et pourquoi accepte-t-elle la préface d’Annette écrite en larmes et sang au livre de l’insurrection révolutionnaire – son engagement à aider et à promouvoir la révolution algérienne – sans la traiter comme une colonisatrice, et rejette la préface de Sartre, qui s’est limitée à quelques lignes écrites à l’encre ?

 

Abdelmalek Smari

 

 

Bibliographie

  1. “Algeria fuorilegge” di Colette e Francis Jeanson – Feltrinelli Editore Milano - 1956
  2. « Annette, un poème héroïque » d’Anne Weber – Mondadori libri S.p.a. Milan 2021 
  3. https://www.franceculture.fr/emissions/le-cours-de-lhistoire/resistance-mais-ou-sont-passes-les-jours-heureux-24-grand-temoin-annette-beaumanoir
  4. https://www.informazionecorretta.com/main.php?mediaId=2&sez=120&id=82309
  5. Idem.
  6. Idem.
  7. “Parole donnée” de Louis Massignon
  8. * les numéros de page actuels et suivants concernent le roman d’Anne Weber « Annette, a Heroic Poem »
  9. “Algeria fuorilegge” di Colette et Francis Jeanson
  10. « Annette, un poème héroïque » d’Anne Weber – Mondadori libri S.p.a. Milan 2021 
  11. https://www.franceculture.fr/emissions/le-cours-de-lhistoire/resistance-mais-ou-sont-passes-les-jours-heureux-24-grand-temoin-annette-beaumanoir
  12. https://www.informazionecorretta.com/main.php?mediaId=2&sez=120&id=82309
  13. Idem.
  14. “Parole donnée” di Louis Massignon
  15. “Chroniques algériennes” Albert Camus
  16. Ibidem. “Parole donnée” di Louis Massignon
  17. https://www.echoroukonline.com/%d8%a7%d9%84%d9%84%d8%ba%d8%a9-%d8%a7%d9%84%d9%81%d8%b1%d9%86%d8%b3%d9%8a%d8%a9-%d9%88%d8%a3%d9%87%d9%84%d9%87%d8%a7-%d8%a8%d9%8a%d9%86-%d8%a7%d9%84%d8%a3%d9%85%d8%b3-%d9%88%d8%a7%d9%84%d9%8a%d9%88
  18. https://www.lemonde.fr/m-le-mag/article/2023/08/19/la-tondue-de-chartres-de-l-histoire-a-la-fiction_6185934_4500055.html?xtor=EPR-32280629-[a-la-une]-20230820-[zone_edito_2_titre_6]&M_BT=40728340444070
  19. https://www.lemonde.fr/culture/article/2023/08/16/a-toulouse-dieudonne-interdit-de-spectacle-par-la-mairie-pour-son-positionnement-provocateur-aintrepublicain-reitere_6185606_3246.html?xtor=EPR-32280629-[a-la-une]-20230817-[zone_edito_2_titre_12]&M_BT=40728340444070
  20. https://www.franceculture.fr/emissions/le-cours-de-lhistoire/resistance-mais-ou-sont-passes-les-jours-heureux-24-grand-temoin-annette-beaumanoir

 

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