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Vues et vécus en Algérie et ailleurs. Forum où au cours des jours et du temps j'essaierai de donner quelque chose de moi en quelques mots qui, j'espère, seront modestes, justes et élégants dans la mesure du possible. Bienvenue donc à qui accède à cet espace et bienvenue à ses commentaires. Abdelmalek SMARI

L’infinie croisade contre l’Algérie, état et nation (3)

 

 

« Il est vrai que la majorité des Algériens vivent dans une pauvreté insupportable ; mais il est vrai aussi que les réformes nécessaires ne peuvent être mises en œuvre ni par les bons colons [qui, il va sans dire, eux n’existent pas, comme le dit Sartre lui-même] ni par la « Métropole » elle-même, tant qu’elle maintient sa souveraineté en Algérie. Ces réformes seront l’affaire du peuple algérien lui-même, lorsqu’il aura conquis sa liberté. » (13)

L’auteure, à la page 140, met sur la langue de son protagoniste cette série de questions : « Les puissants de cet État qui est sur le point de naître se soucieront-ils vraiment de la masse des gens ? Seront-ils prêts à partager les richesses entre tous ? Ou bien à la fin ce sera une question de remplacer simplement une élite française par une élite algérienne ? Avec l’indépendance, est-ce que ça va vraiment changer quelque chose pour ceux qui souffrent de la faim et qui ne peuvent pas aller à l’école ? » Comme pour dire : « déjà Annette, à l’aube de l’indépendance, avait compris que la révolution algérienne était un fiasco » ! Et l’auteure ne cache pas son opinion selon laquelle l’Algérie indépendante est un échec et la lutte des résistants est vaine !

En réalité, ce ne sont pas des questions réalistes, pertinentes ; bien au contraire, ce sont des questions mystifiantes et tendancieuses : avec elles l’auteure tente de mettre sur le même plan l’Algérie gouvernée exclusivement par les colonisateurs (qu’elle réduit à une simple élite !) et cette Algérie indépendante gouvernée par ses propres enfants, natifs de cette terre. Outre le fait que l’on ne peut pas juger un État qui, d’ailleurs, n’existait pas encore, parce qu’« il est [encore] sur le point de naître », il faut donner du temps au temps. Ce que l’auteure ne consent ni pour des raisons logiques, ni par indulgence ou honnêteté intellectuelle aux dirigeants algériens inexpérimentés, certes, mais avec déjà les manches retroussées.

Non, chère savante auteure, la révolution algérienne ne visait pas à remplacer l’élite française par une élite indigène, mais à éradiquer un cancer mortel, à démolir le système colonial criminel qui avait mis le peuple algérien hors de l’histoire et de la civilisation.

La révolution algérienne visait à réparer les injustices sociales, culturelles, politiques, économiques et même anthropologiques (les colonialistes français nous considéraient comme un peuple à mi-chemin entre l’homme et le singe ; après tout, ils sont venus pour nous effacer!) ... Injustices infligées au peuple indigène algérien.

Et ces injustices ne se réduisent pas, comme Louis Massignon tend à nous le faire accepter, aux « exigences les plus religieuses, comme le jeûne, le pèlerinage, la répression de l’alcoolisme et de la prostitution instituée par nous contre leur foi », ni au fait de revendiquer que « la langue arabe [devienne] deuxième langue nationale en Algérie si [les Français veulent] y rester, chez [eux !] avec [nous]... » (14)

Non, savante auteure, la révolution algérienne visait à rendre à ce peuple sa souveraineté sur sa propre terre, à rendre à sa personne sa dignité, sa liberté, sa mémoire, son droit de gérer son destin en harmonie avec son âme, sa spiritualité, sa morale, sa langue et sa culture.

Ici aussi, l’auteure s’appuie sur les clichés que le néocolonialisme (le nouveau visage du colonialisme lui-même) ne cesse de fabriquer, de diffuser et d’alimenter. Clichés qui ont pour objectifs de banaliser l’acte libérateur et les sacrifices surhumains des martyrs résistants, de chanter les louanges de l’exécrable système colonial criminel et nihiliste, de chaotiser les peuples nouvellement libérés et leur entraver la construction d’un État et d’une nation, enfin de faire sentir aux aliénés - ceux qui écoutent ces chants de sirènes - la nostalgie pour système colonialiste.

Parlons de scolarisation : jusque dans les années 50, alors que le processus de civiliser l’Algérie était en plein essor, les pouvoirs publics français hésitaient ou, mieux, ils refusaient d’éduquer les « Indigènes », invoquant l’impossibilité de l’entreprise et expliquant qu’il faudrait plus d’un siècle pour approcher le niveau des 100%. En attendant, les Algériens avaient le droit tout au plus d’apprendre le métier de cirer les chaussures de leurs maitres les colons ou de faire de la chair à canon pour leurs guerres !

Et ce n’était pas la volonté d’apprendre qui manquait aux Algériens. Camus lui-même en témoigne, une fois de plus, lorsqu’il écrit : « La soif d’apprendre chez le Kabil [c’est-à-dire l’Algérien : Camus ne se soucie pas de la précision du nom ou de la citoyenneté des Algériens : il suffit qu’ils ne soient pas nommés comme Algériens !] et son goût pour l’étude est devenu légendaire. » Il a également loué les dispositions naturelles et l’intelligence pratique de cet indigène et sa conscience et son désir de s’émanciper... (15)

Une telle entreprise était-il si impossible pour une France à son apogée de puissance et de grandeur ? une France donnée comme integerrima ? une France qui nous donne maintenant des leçons sur la prétendue incompétence de nos dirigeants et leur prétendue corruption et dictature ?

Eh bien, les dirigeants indigènes de l’Algérie indépendante - les mêmes dirigeants qui sont maintenant appelés des dictateurs corrompus, incompétents et grossiers - ont obtenu un tel résultat... et en moins de 30 ans ! en plus ils avaient à instruire non pas une population de 8 millions mais bien de 40 millions !

Non, ce n’est pas que la France ne pouvait pas, mais elle ne voulait tout simplement pas que les Algériens accèdent au savoir et s’émancipent.

Louis Massignon (encore lui !) rapporte un fait apparemment drôle, de peu d’importance, bien sûr, mais d’une grande signification : un imam « avait invoqué dans son sermon le témoignage (martyre) de Jeanne d’Arc, lui demandant d’aider l’islam marocain dans son calvaire. Le résident général, un chrétien pratiquant [bigot français, fondamentaliste] le fit arrêter et le condamner à dix-huit mois de prison : pour avoir voulu, par machiavélisme, voler l’intercession d’une sainte à l’usage exclusif des catholiques français (sic). (16)

Mais ce gouverneur – français, il faut le dire – était-il vraiment si idiot, si bigot ?

Bien sûr que non ! Sa colère n’était pas suscitée par l’imposture spirituelle de cet imam marocain, mais par le fait que son sermon contenait implicitement une dénonciation flagrante de l’oppression coloniale qui n’avait épargné aucune sphère de la vie des peuples que la France dominait et écrasait.

Pour le dire brièvement – et cela ne devrait pas nous surprendre – les Français étaient venus en Algérie pour nous effacer, pas pour nous éduquer, en supposant que nous étions des sauvages, pas perfectibles en tant que race.

 

Abdelmalek Smari

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Bibliographie

  1. “Algeria fuorilegge” di Colette e Francis Jeanson – Feltrinelli Editore Milano - 1956
  2. « Annette, un poème héroïque » d’Anne Weber – Mondadori libri S.p.a. Milan 2021 
  3. https://www.franceculture.fr/emissions/le-cours-de-lhistoire/resistance-mais-ou-sont-passes-les-jours-heureux-24-grand-temoin-annette-beaumanoir
  4. https://www.informazionecorretta.com/main.php?mediaId=2&sez=120&id=82309
  5. Idem.
  6. Idem.
  7. “Parole donnée” de Louis Massignon
  8. * les numéros de page actuels et suivants concernent le roman d’Anne Weber « Annette, a Heroic Poem »
  9. “Algeria fuorilegge” di Colette et Francis Jeanson
  10. « Annette, un poème héroïque » d’Anne Weber – Mondadori libri S.p.a. Milan 2021 
  11. https://www.franceculture.fr/emissions/le-cours-de-lhistoire/resistance-mais-ou-sont-passes-les-jours-heureux-24-grand-temoin-annette-beaumanoir
  12. https://www.informazionecorretta.com/main.php?mediaId=2&sez=120&id=82309
  13. Idem.
  14. “Parole donnée” di Louis Massignon
  15. * les numéros de page actuels et suivants concernent le roman d’Anne Weber « Annette, a Heroic Poem »
  16. Ibidem. “Algeria fuorilegge” de Colette et Francis Jeanson
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