Vues et vécus en Algérie et ailleurs. Forum où au cours des jours et du temps j'essaierai de donner quelque chose de moi en quelques mots qui, j'espère, seront modestes, justes et élégants dans la mesure du possible. Bienvenue donc à qui accède à cet espace et bienvenue à ses commentaires. Abdelmalek SMARI
« [L']écrivain ne se propose rien tant que de secouer la léthargie
de milieux intellectuels très étendus, de les placer devant leur
responsabilité particulière, de leur enjoindre, au nom de ce qui
les qualifie dans leur rôle propre, de se départir de cette tolérance
stupéfiée chez les uns, méprisante chez les
autres mais trop
souvent opportuniste et poltronne, pour enrayer une bonne fois
les méfaits de la pire intolérance, agissant au service du mensonge
et de la haine. »
André Breton Allocution au Meeting du 20 avril 1949
Avec la lettre que je présente ici, je souhaite ajouter quelques éléments pour préciser et enrichir avec une lumière nouvelle La question de langage. C’est une manière comme tant d’autres de voir le monde et de le concevoir sans grands risques de mystifier, distordre ou violer la candeur de la réalité. Cet écrit est une lettre que j’avais adressée à Monsieur Jean Sur, après avoir lu de lui un article sur son site : http://perso.orange.fr/js.resurgences/index.htm Une lettre qui contribue à la recherche de la dignité humaine, non pas parmi les gens dits importants mais parmi les humbles quidams et sous les décombres d’un langage tombé en ruines à force de flirter avec la bêtise et l’aliénation. Ainsi la fausse importance liée au rang social ou économique tombe morte d’elle-même comme les feuilles d’automne que l’égoïsme des troncs ou des branches laisse mourir dans l’indifférence. Seule reste la dignité liée à la condition même de vivre, de jouir, de peiner, d’espérer et surtout de dire « Non ! » Dire Non justement quand tout semble aller bien, quand tout semble rouler à merveille. Cette petite introduction aide à comprendre le style un peu personnel de la lettre car intime et poétique aussi. En plus c’est l’occasion pour moi d’offrir au lecteur la connaissance d’une plume poétique et généreuse, celle de Monsieur Sur, à travers un poème. Les écrits transmettent l’élégance et l’espoir comme ils transmettent le soufre et le malaise. Ils risquent toujours d’en éclabousser en premier lieu leurs propres auteurs ou de les embellir. Voici la lettre-poème et voici donc l’homme. Les voici ici entiers, en liberté, dans toute la splendeur des hauts et des bas de l’être :
« Du désir et du Non … Cher Monsieur! Je tiens d’abord à vous dire que votre texte n’appartient ni à la race des importants - ou importants à un degré moindre - ni à celle des quidams, mais bien à toutes ces catégories mises ensemble, à la race humaine quand elle est authentique. Celle du Non venu du profond du désir, du sourire de l’ironie. Celle du doute et de la rébellion. Je ne sais pas encore si votre texte appartienne à la classe des bons insolents ou des méchants doux, mais je sais que votre analyse m’a révélé en quelque sorte ma nature de quidam (important ou qui joue à être important) à peine la belle tourmente des doutes et des incertitudes m’abandonne-t-elle … quand ma culture du Non se lasse de ma paresse et me livre comme une proie facile aux sarcasmes humiliants de la race des importants. Pour cela votre écrit est un divertissement insolent ou, si vous voulez, c’est une insolence amusante. Votre écrit ne laisse pas une âme sur sa faim, un cœur sur sa soif, une bêtise dans son sommeil, une lourde arrogance dans les airs des mensonges. Il fait rire, votre écrit, et puis : boum !! il explose et il nous fait sauter d’épouvante. Et, remis de l’horreur, nous voilà pleurer. Et puis en se regardant bien alentour on découvre que l’explosion, le boom c’est la désintégration des menues mystifications quotidiennes et les in-avalables mensonges des importants champions en médiocrité. Et alors on se remet à rire, pour pleurer cette fois de notre fragilité, de la frousse et du tremolo de notre être qu’on découvre à la merci des vents qui voyagent de la sphère des importants vers celle des non importants dans un perpétuel mouvement inexorable. Je ne saurais jamais avec précision si ce mouvement est brownien ou pendulaire. Je sais simplement que votre écrit m’a renouvelé le stock des mots - ces torches et ces pinces - pour voir de plus près, pour les saisir et les avoir donc (comme les importants possèdent les quidams pour mieux les exploiter) ; ces vérités de l’être qui ne font que du bien à ces êtres mêmes. L’équation suivante : joie + douleur + temps = douleur + joie + temps … on peut retrouver les trois termes à l’infini : le temps - ce mari éternel virile et donjon, sensuellement insatiable - couche avec l’une ou l’autre de ces deux dames, impunément, depuis la nuit des temps dans le lit de notre vie d’hommes, et de femmes aussi (ça va de soi). Ces dames enfantent chaque jour, chaque instant de l’existence de l’être, des rires et des larmes. C’est cette équation qui ne nous rend ni importants ni quidams. C’est cette équation qui nourrit notre désir en tant que manque, en tant que Non. C’est cette équation que je crois avoir décelée du long poème que vous avez intitulé « L’adieu aux importants ». Ceci étant dit, il n’y a que l’indifférence qui est toute mépris. Le reste c’est du respect. De toute façon, merci de m’avoir permis de passer de très sympathiques moments avec votre écrit profond, original, sensible et ironique. L’autre qualité est cette extraordinaire capacité d’illuminer avec la simplicité et la beauté des mots de tous les jours le ténébreux fond d’un réel – dit-on – toujours rebelle et réfractaire à toute lumière des discours et des théories incapables des incapables humains. Cette vastitude du cœur qui ne se contente que des vastes paroles et des gaies lumières pour fondre le tragique je dans le tout de l’immédiateté avec l’enfer d’un étranger nommé autre. Entités pas toujours pacifiques ni sympathiques l’une vis à vis de l’autre. De leur contact jaillit certes la lumière mais pas avant de les consumer un peu. Ainsi, grâce à ce principe einsteinien, les contrastes ne peuvent coexister que s’ils acceptent le destin d’être limés et donc consumés à chaque rencontre un peu de leur matière, un peu de leur propre chair. Une analyse fine et pertinente donc d’un certain type de tissu social moins cru mais cruellement mystifié, où la proie joue le rôle de victime et de bourreau à la fois. Car, si j’ai bien compris, les importants ne sont pas si importants que ça. En outre qui parmi les quidams, dans les interstices de la frénésie quotidienne entre une déception et l’autre, reste insensible et sourd à l’appel des sirènes de l’importance, à celui de devoir être importants ? Chaque marche de l’importance a son lot de quidams et d’importants. Ce jeu spéculaire peut continuer à se reproduire jusqu’à l’absurde pour ne pas dire l’infini. Et puis qu’est ce un quidam si non l’alter ego d’un important ? qu’est ce un important si ce n’est l’objet préféré sur lequel se pose et se repose - béat - le regard d’un quidam ? Il y a aussi l’important qui envie le quidam. La différence c’est que lui, il ne se l’avouera peut-être jamais. C’est une nouvelle vue des prolétaires de touts bords, que votre écrit propose. Une question qu’on fait semblant d’y avoir répondu à la nausée. La vôtre n’est certes pas une question re-posée en de termes vieillots, mais une réalité vêtue d’une cape d’ironie et fourrée d’une substance humaine car tragique. Le tragique c’est le fonds commun de l’humain et c’est justement ce fonds qui perdure en donnant à l’humanité le sens de la continuité dans l’éternité, de l’authenticité, de la poésie et de la volonté et capacité de dire Non. Les prolétaires (il faut comprendre les quidams ou les précaires des périphéries des Systèmes) sont une réalité que les jours et le changement des discours cherchent à rendre obsolètes, certes. Mais de cette réalité, qui perdure malgré tout les révisionnistes tendancieux, il n’y a de périmé que l’idiome révolue, dépassée par les évènements et l’histoire. Il va de soi que cela ne veut pas dire que pour relancer tout processus de critique des fonds épistémologiques à fin de mystification et de mensonge, il suffit de vêtir les âneries de la bêtise humaine de quelques nouveaux slogans brillants et résonnants mais vides de toute lymphe de vie. Comme il est aussi dangereux qu’absurde de mettre une revendication par habitude, par politesse ou surtout par la frénésie « d’être number one … » sur le compte de la sublime insolence du Non. A la dixième page je me suis demandé : « c’est une critique de tout Système fondé d’une part sur le mensonge effronté et stupide des importants et d’autre part sur le gai malheur des quidams quand ils plongent dans la misère de l’importance. Et jusqu’ici j’y suis, - comme disent les italiens – mais Que faire ? » La première idée qui m’est passée par la tête, en guise de réponse, c’était l’étrange casse-tête encore mal compris parce que mal analysé de la fameuse assertion en terres et aux cœurs de l’Islam « Allahu Akabar ». A cause de l’approche superficielle et point scientifique de ce sujet, la formule a toujours été considérée comme un mot d’ordre scandé et mis en application par un quelque démiurge despotique et oriental pour asservir les moins que quidams … comme une espèce de laboratoires ou d’universités où les pauvres cobayes qui peuplent le monde musulman viennent apprendre la servitude, le fatalisme et la bêtise ! Alors qu’il s’agit tout simplement d’un hymne à la liberté inconditionnelle. C’en est l’invitation insistante au même degré, peut-être plus, que les maints appels à la prière pendant les jours et les nuits, sans trêve ni repos. A chaque appel, que lance ou reçoit une sensibilité éveillée des soi-disant âmes mortes dudit Orient les délicats et efféminés ballons de l’importance explosent et tombent en une poussière gênante certes mais futile et inutile. Elle incite à dire Non, sans adulation et sans hypocrisie aucunes, à l’importance monopolisée et gonflée des seuls airs putrides. C’est aussi l’invitation à un perpétuel faire et défaire des Systèmes et des-ordres rivés et bien fixés au cul de l’humanité. Invitation à occuper l’esprit perdu - parce que errant de nature – pour le divertir, doucement et sans tromperie, de l’angoisse de Pascale ou du fameux garçon de café dans sa terrasse-théâtre. Arrivé au dernier paragraphe de votre écrit je me suis surpris à noter : « moi aussi je commence à le penser : oui elle est morte notre civilisation (elle est moderne et donc ni orientale ni occidentale), mais après ? Après ? après c’est la résurrection, le rebondissement, de nouveau le rêve, la solitude initiale, le manque et donc le désir et l’abandon fondateurs. Milan, 6 février 2004 »
Smari Abdelmalek