Vues et vécus en Algérie et ailleurs. Forum où au cours des jours et du temps j'essaierai de donner quelque chose de moi en quelques mots qui, j'espère, seront modestes, justes et élégants dans la mesure du possible. Bienvenue donc à qui accède à cet espace et bienvenue à ses commentaires. Abdelmalek SMARI
Ce qui est inacceptable, c’est le lien fait entre une crise
de l’identité nationale et l’immigration présentée comme
une menace. Cette attitude revient de manière classique
lors de chaque grande crise de la société française où
« l’étrange étranger » (juif, Italien ou Polonais, Arabe
ou musulman...) devient le bouc émissaire, cause de tous
nos malheurs. On en arrive aujourd’hui à voir à la télévision
des chasses au faciès au sortir des écoles maternelles
pour arrêter des clandestins. Cela nous rappelle les pires
moments du passé colonial ou de Vichy. Claude Liauzu.
Cruel destin que celui d’obtempérer à l’impératif de toujours s’adapter, toujours se mettre en question pour mériter le statut d’homme
(ce mérite est apanage du seul homme occidental ?). Oui, c’est un destin trop cruel même pour un non occidental. Mais cette frénésie folle de se mettre au pas n’est-elle pas en soi une sorte
de crise ? quel type de crise sera-t-elle si elle n’est pas crise d’identité ? la crise d’une croissance qui ne s’arrête jamais de nous importuner : étant donné qu’à chaque instant
l’individu perd et acquiert des déluges de rituels et de repères éphémères et point satisfaisants, rassurants ou générateurs de la joie de vivre ? La modernité n’est pas un état mais un
processus en perpétuel évolution. Ça semble paradoxal mais l’affolement devant la modernité affecte le moderne ainsi que le non moderne. Tous les deux types d’hommes ont besoin d’une pause pour
digérer les flots ininterrompus de nouveautés. Peuvent-ils trouver ce moment de recul et de réflexion ? le font-ils de la même façon ? obtiennent-ils les mêmes résultats ? le temps
des réactions est-il le même pour chacun d’eux ? Je pense que ce sont là les questions sérieuses à poser, non celle de prétendre que la crise ne touche que le non-occidental justement
pour son incapacité sui generis de gérer pertinemment la propre existence. Ici aussi, comme nous le voyons, c’est le langage qui crée et impose à l’entendement une réalité donnée : établir
un lien logique et nécessaire entre le fait d’être non occidental et celui de décompenser devant le réel. Tous les deux types d’hommes ont des atouts mais aussi des limites de rythmie
qui leur sont imposées par leur constitution physique et morale, par la culture, par l’histoire locale et surtout par la mémoire et la culture universelles. En deux mots la race humaine – elle
n’existe qu’une seule race humaine – est méchante et salope quand elle veut l’être et sympathique quand elle veut être sympathique. Il est inutile de dire d’un crétin humain qu’il est un dieu
seulement parce qu’il a eu en un moment donné de sa vie quelque illumination ou pertinence que nous prenons pour de la génialité. La nature humaine se laisse admirer à partir d’une infinité
d’interstices et de fenêtres. On peut y voir tout aussi les bouchers de l’histoire que les anges du ciel tour à tour chez la même personne. Voilà ce que c’est que l’homme. « Nèron – disait
Voltaire - pleura quand il fallut signer l’arrêt de mort d’un criminel, joua des farces, et assassina sa mère. ». Nous ne sommes pas ni plus ni moins bons ou méchants les uns plus que les
autres. Idem pour ce qui concerne notre stupidité ou notre raison. Nous ne sommes que des moments différents d’un fleuve d’impressions et d’actions qui s’appelle Condition humaine. Un fleuve que
les aléas du parcours troublent et les plaines et le beau temps rassurent.
Il n’y a aucun doute que le langage des
auteurs dudit livre est un langage limpide ou au moins se veut-il tel. L’on sent qu’ils n’ont pas épargné leur énergie et leurs forces pour chercher et choisir leurs mots. Il faut reconnaître que
souvent il n’est pas facile de trouver un langage simple, clair et adéquat pour les arguments qu’on traite. La bonne ou la mauvaise foi de qui écrit est liée au choix du langage. Voilà pourquoi
une telle foi ne peut pas résister à la critique d’un esprit lucide et juste. Il est toutefois de moindre importance, il est erroné même et grossier, de juger un produit de l’esprit à partir de
la seule bonne ou mauvaise foi. Emprunter un tel chemin comme parcours de connaissance serait une chimère, une superstition, une semence stérile donc. Les auteurs savent de toute façon
qu’ils se meuvent dans un terrain incertain parce que nouveau et inédit. Il leur manque le langage approprié. C’est pourquoi ils n’hésitent pas à recourir à la vieille terminologie où les mêmes
clés de lecture et d’interprétation sont valables pour une infinité d’univers de significations ambiguës, de symboles, de rituels, de comportements, d’idées et de conceptions du monde et de
l’existence. Pourtant cette diversité vertigineuse des faits humains ne scandalisent pas trop les auteurs de « Soigner et accueillir » ! Malgré le souci d’être objectifs
et malgré leurs efforts méthodologiques et épistémologiques notés ça et là dans leur ouvrage, certains des auteurs continuent à recourir aux vieux langages utilisant des termes obsolètes,
génériques et flous du genre : clan, extracommunautaire, village … ; des équations comme : immigré égal à violence, toxicodépendance … ; ou des expressions du
type : les modalités pour communiquer un malaise est de type psychologique en Occident, en termes physiques dans les pays en voie de développement ! Il n’y a pas de doute que
l’utilisation d’une telle terminologie est stérile : elle tend simplement à banaliser des réalités qui sont trop complexes pour être cernées et clarifiées par des mots ou des expressions
bidons, non élaborés, mal forgés et tendancieux qui sont enfin une insulte à la raison de l’homme et à sa dignité. C’est la mystification tout court.
La diplomatie est répétition –
dit-on. La mystification, elle aussi, est répétition. C’est une sorte de langage effronté et entêté. Il ne se plie malheureusement jamais devant les démentis qui pourtant ne manquent jamais. Et
c’est seulement ainsi qu’il continue à s’imposer comme vérité. Une vérité absolue et exclusive. Une vérité qui n’admet jamais
rien d’autre qu’elle-même! La mystification donc est cette arrogance d’un vieux langage déchu et périmé. Un langage myope et sénile mais qui se prend pour un dieu, comme un
monarque du Moyen age despote et omnipotent. Ce langage têtu et mufle se trouve – une présence et une fréquence nauséabondes – dans toutes les sauces des soi-disant sciences sociales et
historiques comme l’orientalisme, l’ethnographie, l’anthropologie culturelle ou l’ethno-pychiatrie entre autres charlataneries et inepties de l’esprit. Et ce n’est pas tout : le vieux
monarque – c’est ici le comble de la déception et de l’amertume – traverse de part en part toutes les manifestations et tous les produits culturels de nos sociétés modernes (actuelles) du
journalisme au cinéma, de la littérature à l’économie, de l’histoire à la psychologie, à la maladie, au folklore et à tous les aspects de la culture de tous les peuples de la terre, jusqu'à
ceux-là mêmes qui ne sont pas "Made in Occident". La mystification existe au-delà des rives et des frontières que les stratèges des pays du couchant ont tracé sur la carte du monde dans les
deux-trois derniers siècles. Ce vieux monarque, ce langage sénile et myope règne à la grande et fait légion jusque parmi les peuples vaincus. Il crée - surtout chez ces derniers - une espèce de
masochisme culturel. Ce masochisme à l’échelle planétaire transparaît non seulement au niveau des produits super-structurels officiels de ces peuples (standards de pensée et de comportement
imposés à eux par la dictature de la culture dominante), mais aussi on le note dans les contes populaires, les blagues, l’auto-ironie, l’idée qu’ils ont d’eux-mêmes et de leurs propres élites
intellectuelles et leurs gouvernants. En reproduisant le même langage, ils le perpétuent. En le perpétuant, ils perpétuent leur condition de soumis, d’exploités et d’aliénés. Ces produits
super-structurels tendent donc – peut-être n’ont-ils aucune autre fonction – à ménager le vieux monarque et donc la bêtise et la médiocrité de
l’existence. Toutefois la mystification chez les peuples des rives sud-non-occidentales s’appelle Aliénation. C’est cette même perversion mentale de la majorité des habitants de la terre qui
constitue une espèce de pumon-protèse qui maintient encore en vie le vieux monarque en phase terminale pourtant. La complicité des deux termes de ce tandem de honte et de médiocrité réside dans
la même logique qui de toujours a lié et lie encore dans un étreinte d’amour indéfectible le bourreau et la victime. Est-il possible de démolir le langage flou et arrogant des parvenus experts en
res orientalistica ? est-il possible de dépoussiérer le langage archaïque et suranné de ces nouveaux spécialistes de homo levanticus, berbericus, arabico-islamicus ? Ce qu’est
en train de se passer dans le monde en ce moment, nous porte à espérer : l’imposante réaction d’indignation saine et jamais vue auparavant de tous les peuples de la terre face au massacre
américano-anglais perpétré contre les iraquiens et les afghans. Oui les peuples de toute la terre ! à commencer par les esprits justes et lucides du peuple américain lui-même. Cette réaction
noble a mis à nu la véritable chasse à l’homme et la destruction systématique des peuples inermes par des grandes puissances supposées civiles, démocratiques et Occidentales par-dessus le marché.
Ces puissances se comportent ni plus ni moins dictatorialement que les gouvernants des pays non occidentaux, orientaux et tyranniques. Ce massacre continu a aussi indiqué la complicité qui lie
les vassaux à l’empire agresseur, impitoyable, humiliant et foncièrement violent. Ce massacre a aussi montré à l’œil nu la complicité entre les mystificateurs et leurs collègues les
aliénés. Pour palper du doigt cette conspiration, il suffit de regarder ou lire les témoignages des journalistes ou opposants arabes qu’on nous propose dans les innombrables
talk-show des différents networks. Ces mises en scènes orchestrées par l’empire et ses vassaux et présentées par des animateurs sans morale ni scrupule ont pour but de cautionner une telle
injustice et de nous faire avaler le flot quotidien de leurs mensonges qui nous submergent et nous oppriment.
Retournant à notre livre, dans la page 124 je crois avoir décelé plus une pathologie des psychiatres et psychologues (auteurs du livre), dans leur obstination de cadrer
l’incadrable, que celle de leurs patients immigrés. La folie de ces cliniciens et théoriciens réside à mon avis dans le fait de nier par leurs sentences toute individualité à l’immigré et
donc toute liberté ! il ne faut pas s’en étonner : une poétesse amie (Marina Corona) se demandait si les peuples islamiques connaissaient l’angoisse existentielle. Maintenant
que nous avons posé le diagnostic, on doit y proposer un remède. Imaginons que le tandem mystification-aliénation soit une espèce d’escarpolette qui va et vient dans un espace contigu. A ce
point, la guérison consiste à élargir cet espace vital, ainsi aidons-nous les poumons du vieux monarque à avoir plus d’air libre. Ainsi peut-il changer d’air et renouveler son sang. Si les
aliénés se réveillent – et ils se réveilleront certainement – la marchandise du mystificateur s’avariera encore davantage et le vieux monarque mangera la pourriture ou mourra de faim s’il ne
change pas de métier et d’habits. Comment ou quand l’aliéné se réveille-t-il ? quand il saura qu’il existe des remèdes pour soigner sa propre médiocrité. Est remède par exemple l’application du même langage à toutes les réalités sans exception, même à celles qui ont cours dans les pays des lumières et des seigneurs. Les mots alors ne
perdront plus leur identité selon qu’ils désignent une réalité donnée chez, mettons, homo berbericus et la même réalité rencontrée chez homo occidentalicus. On voit d’après ce raisonnement que le
langage se sénélise et déchoit non seulement quand il ne se renouvelle pas, mais aussi quand il n’est pas appliqué équitablement. Car la justice humanise les mœurs et les embellit. Un
autre remède est la critique. Celle-ci est une source intarissable de Connaissance : elle fait et défait continuellement nos idées et nos sensibilités et ajourne par là même notre langage et
le réhabilite. Pour terminer voici un autre exemple du langage imprécis : le vieux monarque a décidé que la Turquie et le Togo, en passant par
les pays arabes, devaient faire partie d’un même univers appelé non-occident ou, si vous voulez, Grand Moyen Orient. Quant aux différences abyssales qui existent entre ces pays, quant au droit et
à la liberté qu’ont ces peuples d’aspirer à une personnalité propre à eux et d’être particuliers … ils devraient tout simplement les oublier, les effacer de leurs vocabulaires. Avec ces trois
mots le vieux monarque a réussi à abstraire, à réduire en une poignée de poussière un univers si riche, si vaste et si varié ; tout comme les ténèbres engloutissent les formes et dévorent
les couleurs. Mais qu’en est-il des parfums qui, eux, ne se laissent pas intimider par la
nuit? (Fin)
Smari Abdelmalek. Intervento per la presentazione del libro “ospitare e curare” 01.04.2003 revu et traduit de l’italien le 20-04-07.