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Vues et vécus en Algérie et ailleurs. Forum où au cours des jours et du temps j'essaierai de donner quelque chose de moi en quelques mots qui, j'espère, seront modestes, justes et élégants dans la mesure du possible. Bienvenue donc à qui accède à cet espace et bienvenue à ses commentaires. Abdelmalek SMARI

Homo berbericus et la recherche de son Andalousie perdue

« Je peux dire que Jean Daniel était clair dans son

 

 

engagement pour l’indépendance de l’Algérie.

 

 

Pas le même cas pour Camus qui, durant toute sa vie,

 

 

est resté déchiré. C’est un homme faible et fragile.

 

 

Je peux dire que Camus a raté sa vie. Dans cet ouvrage,

 

 

Jean Daniel tente d’expliquer, voire justifier la

 

 

démarche de Camus. »               Rachid Boudjedra

 

 

 

 

Rachid Boudjedra est un pilier de la littérature algérienne contemporaine. Né en 1941 à Ain Baida, sud-est de Constantine, il s’est nourri de la longue histoire de cette ville riche, généreuse, tourmentée et tourmentante aussi. Constantine est un grand dépositoire de cultures, de souffrances, de styles, d’héroïsme, de résistance et d’espoir. Notre auteur a écrit plus d’une vingtaine d’ouvrages entre essais, romans et recueils de poèmes. L’ouvrage dont il est question dans cet écrit est « La prise de Gibraltar » Ouvrage que j’avais connu pour avoir essayé de le traduire de l’arabe en italien avec le titre « Vers où la fuite ? » C’est une œuvre où l’auteur est arrivé à un haut niveau dans l’art de raconter la misère de l’Homme et sa bêtise à travers la petite histoire de deux amis, quelques lieux et des bribes de souvenirs. Chronologiquement ce livre a été écrit en 1988, une date charnière pour l’histoire de l’Algérie indépendante. L’histoire d’une Algérie soufflée par les inexorables et combien violents changements géopolitiques de la planète. L’histoire d’une Algérie minée par la misère, l’ignorance et le déchirement identitaire, plaies inguérissables et séquelles ineffaçables  d’un colonialisme létal, d’une mauvaise gestion due à l’inexpérience des dirigeants algériens et à l’absence du sens de l’état et de la citoyenneté chez les citoyens. Dirigeants et citoyens oppressés, asservis, abrutis, tenus à l’écart de l’art de se gouverner, dressés sur l’ignorance totale de la politique, exclus du Pouvoir par cinq siècles d’occupation ottomane et française. 1988 est donc une date charnière pour l’histoire d’une Algérie indépendante mais politiquement inexperte et immature qui (faute de maturité politique) ira sombrer dans une folie meurtrière, dans une aventure fatale et inutile, dans la haine, dans l’abandon de tout projet de vie, dans la paresse et l’inactivité, dans la médiocrité totale … Bref, cet ouvrage important est le dixième dans la production littéraire de Boudjedra. C’est dire combien il doit être mûr et succulent de sens et de sensibilité. Quant à l’auteur, on peut dire qu’il est un auteur âpre, sulfureux, déconcertant (voir par exemple le frontispice au haut de cet page.) Est-il insolent ? oui mais la sienne est une insolence saine et positive. Ma foi, connaît-on meilleur remède que l’insolence  contre l’arrogance de la bêtise-vacuité? En fait on a l’impression que l’auteur prône l’insolence comme remède à la médiocrité. Et si l’insolence paie, tant mieux et bienvenue à elle. Toutefois il demeure convainquant par l’information critique qui traverse de part en part sa vie d’intellectuel, ses écrits et ses prises de position. Information critique qui, citant Camus, est d’abord « le pari passionné que l’on peut intéresser et fidéliser le lecteur en lui donnant à penser, même et surtout en le distrayant, sans jamais flatter son goût pour la paresse ou la vulgarité » Tel me semble Boudjedra. Il demeure convainquant aussi par ses écrits courageux et fermes, ses opinions politiques entêtées, son langage franc, exubérant et honnête, ses analyses pertinentes et lucides. Il suffit de penser à son acte d’aller porter spontanément son témoignage en faveur de l’ex ministre de la défense Khaled Nezzar dans le procès qui avait opposé celui-ci à l’ex membre de l’Aln, un certain Souaidia, pour son écrit mystificateur et diffamateur contre l’institution militaire de l’Algérie alors en lutte contre le terrorisme et l’obscurantisme. Son courage est notoire : il dénote une grande indépendance d’esprit, à cause justement d’une telle insolence, si celle-ci signifie lucidité, générosité, honnêteté et engagement. Il n’hésite pas à dresser un tableau noir du parcours de Chadli (voir « Le F.I.S. de la haine »), malgré les faveurs que ce dernier lui avait réservés quand il l’inclût dans la délégation qui l’accompagna dans son voyage aux Usa. Exemple de courage et d’engagement, cet écrivain ne ménage pas non plus ses mots pour nommer les choses par leurs noms. Tel un bistouri, ses mots opèrent des tailles profondes, sans complaisance aucune, dans des sujets encore tabous dans une Algérie encore conservatrice. Tels sujets sont la sexualité, la condition de la femme, la langue et surtout la confiscation par des clans idéologiques des valeurs, de la religion, de la politique, de l’histoire … Il interroge surtout l’histoire pour mieux examiner les phénomènes de la société algérienne actuelle et, à travers elle, la condition de l’homme et ses folies (colonialisme, impérialisme, misère, violence, suicide écologique et autres délires mythiques).

Il va de soi que l’art, l’art authentique, et l’engagement de l’artiste n’ont pas pour mission de fournir des modes de conduite infaillibles, mais plutôt de mettre en crise, de ventiler pour oxygéner et empêcher la stagnation de la cité et de ses hôtes. Si l’art et l’artiste ont l’arrogance de déconstruire, de dénigrer, d’interroger sans porter des solutions ou des réponses, c’est qu’ils savent bien –contrairement aux systèmes messiano-moralistes - que la responsabilité des individus est une affaire personnelle. Le respect de l’autre signifie la non-ingérence dans ses affaires personnelles. C’est là précisément où résident la liberté de la personne et sa dignité ; et c’est en raison même de cela qu’il ne faut pas aller outre. L’art et l’artiste, s’ils ne s’ingèrent pas dans cette sphère de liberté pure et sans ambages, s’ils s’empêchent de proposer des solutions ou de faire des père-éternel, c’est qu’ils savent qu’ils ne sont pas des père-éternel ni des prophètes assistés par le ciel, mais de simples gens. Ils savent que le réel ne se présente jamais à nous comme un monolithe de sens - c'est-à-dire net et sans équivoque - mais il se réalise ou se conçoit toujours selon certaine manière et à partir de la conscience qui l’appréhende. Les artistes authentiques savent ça et savent aussi que le même phénomène ne se présente jamais de la même façon à deux personnes, même si ces deux personnes appartiennent à la même culture, religion, génération, famille, courant politique, langue ou autres à-peu-prèsismes prétentieux qui prêchent l’existence chimérique d’une réalité Une et monosémique. Ils savent que tout est relatif et qu’il faut respecter le choix des autres si l’on veut vraiment que les autres aient une dignité et une personnalité propres. Ils savent que ce n’est qu’ainsi que l’on peut donner sa chance à l’exubérance de la vie qui profitera sûrement à toute l’humanité. C’est pour ça qu’ils savent combattre l’étroitesse de l’existence et éviter de vivre dans la pauvreté spirituelle de la médiocrité et de l’ennui. Plus une œuvre s’approche vers cet idéal ou le courtise, plus elle est riche et noble et forte donc. Ce n’est qu’ainsi qu’elle peut traverser le temps sans peur de périre de si tôt. C’est évident : l’art n’est pas politique. L’art tend à ouvrir tout grand des fenêtres sur des univers possibles mais insoupçonnables, non pas pour nous imposer quelque chose : elle nous invite à jouir de notre liberté et à exercer nos méninges et notre imagination.

Sans être fanatique de la dissidence , l’auteur montre qu’il appartient au chemin du non-compromis que nous pouvons appeler la troisième voie. Une telle voie est toujours bienvenue car fruit savoureux de la liberté et de l’imagination où souvent c’est l’art qui règne en maître. Boudjedra n’est pas un obsédé hanté par des chimères. Il n’est pas à la chasse d’un mythique passé glorieux de son peuple, non. A travers ce récit, il veut tout simplement démontrer que le mythe est une espèce de songe, à peine on se réveille le voici dur et aride comme les paysages par les temps arides des mythiques terres et lieux promis, fut-ce l’Andalousie même. Plus que du désenchantement c’est de l’ironie que l’auteur de « L’escargot » nous verse à boire. Une ironie arrosée de doutes qui minent le tandem aliénation/mystification et déconstruisent toute forme d’absolu. Serait-il, par cette ironie impitoyable, le complice d’un Adonis qui ne voit - dans le même mythe du pauvre homo berbericus et arabicus (le retour de/à l’Andalousie) - aucun grand sens au dehors de l’art ? A cause de cette hérésie, on le considère comme un vendu, un maudit de communiste, un athée, un traître. Il n’est pas non plus un maniaque ou aliéné féru qui raffole des recettes prêt-à-porter de progrès que les nations avancées pro(im)posent au reste des mortels, damnés de la terre, non. En peu de mots il compte parmi moult intellectuels du soi-disant tiers-monde qui sont en train de chercher une troisième voie pour concevoir la vie comme la veulent eux en toute liberté et en toute responsabilité. Cette espèce de littérature et d’art a trouvé son expression et sa dignité chez des auteurs comme Franz Fanon entre autres intellectuels. On peut s’en rendre compte en investiguant bio et bibliographies des ces auteurs de la dé-mystification post-colonialistes.              A suivre

Smari Abdelmalek

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