Vues et vécus en Algérie et ailleurs. Forum où au cours des jours et du temps j'essaierai de donner quelque chose de moi en quelques mots qui, j'espère, seront modestes, justes et élégants dans la mesure du possible. Bienvenue donc à qui accède à cet espace et bienvenue à ses commentaires. Abdelmalek SMARI
Ou Voltaire et les cathos, une complicité qui ne veut pas dire accord
Les idées meurent avec
la mort de la dernière
personne qui y croit.
Max Planck
Si l’on restait au niveau de l’opéra de fiction, l’on pourrait fermer l’œil sur les insultes peuplant l’œuvre de Voltaire et dirigées, toutes, contre la personne de Mahomet. Oui l’on pourrait fermer l’œil sur le insultes que l’auteur fait dire aux autres personnages, mais quand dans sa « Lettre » il insiste avec les mêmes insultes, on peut en déduire une partialité flagrante de la part du philosophe et une prise de position dans le sens du poil de l’église catholique. Il insiste aussi en faisant savoir à sa majesté bien persuadée que la tragédie ne doit pas consister uniquement « dans une déclaration d’amour, une jalousie et un mariage. » Au contraire il faut y insérer les « actions plus atroces » et si celles-ci n’existent pas, il faut les inventer. Ainsi, l’auteur fait-il « commettre dans cette pièce un crime à Mahomet, dont en effet il ne fut point coupable. » Si le cardinal De Fleury conseilla à Voltaire de retirer l’œuvre, ceci ne découle pas de la complicité des deux religions, ni du respect de la catholique pour la musulmane, ni pour la non maturité des sensibilités de l’époque. La cause serait peut-être l’urgente nécessité de saper la découverte par Voltaire d’une ligne de conduite adoptée par les autorités ecclésiastiques ou par ses fidèles les plus zélés : une incitation au crime (l’intolérance violente) ou un crime réel commis probablement par quelque homme de l’église que Voltaire dans sa tragédie avait dénoncé en masquant les faits et les personnages ainsi que le bain religieux où ils évoluaient. Et s’il y a recouru c’est parce qu’il pensait qu’en chevauchant l’incompréhensibilité entre chrétiens et musulmans de l’époque des grandes menaces sarrasines, il pourrait faire passer le message. Dans l’avis de l’éditeur on lit : « ce qui a fait dire à un homme de beaucoup d’esprit, que si Mahomet avait été écrit du temps de Henri III et de Henri IV, cet ouvrage leur aurait sauvé la vie. » Comme si l’auteur voulait dire que si nous avions nommé les choses par leurs noms à l’époque, ces deux monarques n’auraient pas été tués. Malheureusement, alors comme aujourd’hui, on devait et on doit taire la vérité et le langage franc qui la compose et la véhicule. La censure est capable de porter une parole, une expression, une idée ou un discours à faire toutes les folies possibles et imaginables. Le vrai et sublime symbolisme, les plus suggestives et ambiguës métaphores - essence de poésie et de transcendance dans les arts - ne peuvent naître que des limites naturelles de l’homme ou de celles imposées par la censure. Cette dernière représente en réalité les limites de l’homme, singulier ou en groupe, et l’ardent désir de combler ces limites en les surmontant. Qui a interrogé ses propres limites et a cherché à les voir sans masques, qui connaît la censure (et Voltaire l’a bien connue et a connu l’exil aussi), sait de quoi il s’agit. N’est-ce pas Voltaire lui-même qui avait conseillé de vivre aux frontières pour avoir un pas ici et l’autre ailleurs, pour pouvoir fuir le moment des menaces arrivé ? qui arrive à ses propres limites et, malgré ça, peut rester honnête, sait ce que je veux dire.
Ce que les gens ne veulent pas comprendre encore c’est la nature humaine de Mahomet. Il n’a jamais prétendu
faire dieu contrairement à Jésus (selon certaines opinions?). Il s’est toujours considéré comme un homme simple, un humble serviteur de dieu, le même dieu biblique. Le fondateur de l’Islam
en fait chercha de renouveler ou ressourcer une religion que le temps érodait et l’oubli aussi et la nostalgie pour les croyances païennes et les pratiques superstitieuses. Il n’a jamais renié
qu’il était fils d’Abraham, qu’il était le continuateur de Moise et de Jésus et des autres prophètes du monde antique. Comment aurait-il pu avec tout le poids de la tradition judéo-chrétienne
qu’il avait maintenu presque intacte dans le fond de son Coran et de son système politico-cosmogonique ? Il était une espèce de démiurge, de cinéaste qui avait su à merveille adapter
les longs siècles de l’histoire humaine et l’héritage égypto-mésopotamien aux réalités de son peuple et de la riche mais combien génuine sagesse du terroir arabique. Si plus tard son œuvre s’est
révélée prometteuse aussi pour les autres peuples voisins, pourquoi aurait-il dû renoncer à partager sa sagesse et sa grandeur avec eux qui, probablement, les lui avaient demandées ? Voisins
qui sentaient déjà de tradition judéo-chrétienne et pour lesquels la raison hellénique, la Loi romaine, l’administration persane, sans oublier le spiritualisme et la mathématique
indienne auxquelles ils étaient familiers et desquelles ils étaient déjà pénétrés et mouillés jusqu’aux os, jusqu’au cœur. Pourquoi Mahomet aurait-il dû se comporter comme un avare, un incivil,
un ingrat ? lui, l’arabe, le descendant d’un peuple qui voyait la générosité et l’hospitalité comme leur seconde nature ! Et puis qui a dit que Mahomet devait renoncer à son statut
d’homme – homme dans l’histoire – avec tout ce que le mot comporte, c’est à dire : tendre à la gloire, à la grandeur, à l’éternité ; servir son peuple et sa patrie et tendre peut-être
aussi à la grisaille du despotisme ? N’oublions pas qu’il a vécu 12 siècles avant la déclaration des droits de l’homme et pourtant, tout comme Voltaire, il déclarait lui aussi que c’était
pour le bonheur des hommes qu’il se meut et qu’il sacrifie son temps et ses énergies. Les grandes figures de la Science, même les plus modernes, tendent – et c’est naturel - à ériger souvent en
dogmes leurs hypothèses, leurs concepts ou leurs théories. Plus que les autres, ils ont accepté de se mettre au bûcher eux-mêmes pour imposer leurs conceptions. Combien parmi eux n’avaient-ils
pas souhaité sacrifier l’Autre pour sauver leurs idées, leurs paragraphes, dont le temps démontre plus tard et souvent – si ce n’est sur le champ – l’impertinence ou l’erreur? Je
pense aux doctrines de la mort comme l’eugénisme, le racisme, le colonialisme, l’esclavagisme, le nazisme que les peuples de l’Europe occidental continuent deux siècles après la déclaration des
droits de l’homme à pratiquer et servir aux plus faibles parmi leurs semblables. La Suisse (qui n’est pour rien mahométane) avait réservé un traitement inhumain à la poétesse Mariella Mehr et à
la communauté tzigane, suite à la politique de sédentarisation forcée entreprise depuis le début du XX° siècle jusqu’aux années 70 (voir la revue italienne « Poesia » n° 208, septembre
2006) ! Tant qu’on continue à voir en Mahomet un homme de dieu, lui niant le statut de fondateur d’une civilisation, d’une langue, d’une culture, d’un peuple, d’un empire on ne saura jamais
comprendre l’histoire ni être juste envers les hommes. Si Voltaire était encore parmi nous, il continuerait à dénoncer l’injustice, la superstition mais il reconnaîtrait la valeur de Mahomet.
Mais Voltaire n’a pas vécu jusqu’à voir de quelles atrocités, de quels massacres à grandes échelles, de quelles violences et superstitions… étaient encore capables les hommes de nos jours, bien
que nous sommes au XXI siècle et indépendamment du fait d’être ou non européen, occidental, chrétien ou autre … Les hommes, même sous forme de prophètes, même sous forme de fils de dieu ont tous
eu dans leur vie des moments de chute, d’errance éthique et d’autres démences charnelles et épistémologiques … une tare ou tradition ( ?) qui se réclame du présumé premier homme qui a bravé
le père éternel en personne, jusqu’à Abraham qui voulait sacrifier le fils, Moise qui en voulait à son propre frère et le traînait un jour de rage par la barbe, Jésus qui fouettait des marchands.
Puisque ils étaient des prophètes, des élus ou fils de dieu ils avaient tous leurs raisons pour avoir agi ou réagi de la sorte. L'acte d'Adam, par exemple serait - pour citer une recension anonyme : « une transgression libératrice qui
montre à l'homme la voie de la désaliénation et lui permet d'accéder au stade de la conscience. L'être humain n'est donc plus une créature soumise (pourquoi Voltaire cherchait-il en Mahomet
une créature docile et soumise ?) mais bien le partenaire du Créateur. Il lui appartient de continuer l'œuvre commencée par Dieu. »
A ma demande : « Pourquoi Mahomet ? », la réponse est que Voltaire pouvait impunément critiquer les catholiques sans donner
l’impression de le faire. Je sais qu’on peut dire que je défends Mahomet, je serais en ça symétriquement pareil à Voltaire qui
n’hésitait pas dans sa lettre à traiter Mahomet d’imposteur. Imposteur par rapport à quoi ? fonder les empires ou les religions n’a jamais été la propriété privée de personne ni d’aucun
peuple en particulier. C’est biologique même, pour paraphraser Jared Dimond. Voltaire au moins pour ses contes est connu pour son ironie, d’où un style convaincant, mordant et beau. Mais
la tragédie, il l’avait prise trop au sérieux. Ni la poésie ni le drame, bien que le sujet s’y prêtât bien, n’ont été à la hauteur d’une vraie œuvre d’art digne du Voltaire de Candide ou de
Micromégas. Peut-être lui a-t-elle servie d’expérience pour apprendre. Peut-être s’agit-il d’une chute ? de toute façon ce n’était pas grand chose. Ce qui continue à faire la valeur d’une
telle œuvre c’est paradoxalement l’aura même de Mahomet et évidemment ce qu’était devenu entre temps Voltaire. Vous m’objecterez que le déroulement de l’histoire n’a rien à voir avec la nature de
l’écriture : celle-ci reste toujours une métaphore de celle-là, une réduction, une exagération, l’hégémonie d’une insignifiance d’un acte ou d’un événement élevés au rang de l’humain
universel. Je suis d’accord. Mais je rappelle que Voltaire et tous les mahométanistes avant et après lui n’ont fait que juger Mahomet à partir d’une époque et d’une culture qui lui
étaient étrangères au pourtant insignifiant marchand de chameau et dont il était complètement innocent. En plus l’ont-ils fait d’une manière sensunicale et c’est peut-être pour
ces deux motifs qu’ils avaient raison et donc triomphé. Ou bien en donnaient-ils seulement l’impression ? quant à nos mahométanistes contemporains, il n’y a qu’ à dire qu’ils cherchent à
couvrir leur propre bêtise par celle hypothétique de l’un des génies de l’histoire humaine. Mais cela ne saurait justifier ni couvrir l’enfer des
temps modernes (génocide des peuples natifs , l’esclavagisme scientifisé et érigé en système économique, shoah, enfumades, Hiroshima, la destruction de l’Iraq, de la Yougoslavie, de la
Somalie, …). Cet enfer ne pourrait être éclipsé ou couvert par la présumée atrocité rabâché, ruminée, répétée à la nausée, qu’on nous sert copieusement à longueur de siècles … atrocité du reste
imaginée dont un Mahomet était complètement innocent.
Le génie c’est l’individu quand il réussit à cristalliser, représenter, incarner l’âme (mythes et rêves, désirs et angoisses, exploits
et aventures et autres conceptions du monde et de la vie) d’un groupe plus ou moins ample ou d’une époque plus ou moins étendue dans l’espace et dans
le temps. La crise du génie serait la crise de son peuple ou de son époque. Et c’est ça qui le différencie du fou dont la crise n’exprime que l’individu et son temps strictement
personnel. Paradoxalement, les deux réalités ont la particularité ou l’extravagance comme symptôme, mais c’est le narcissisme ou la richesse que ce symptôme exprime qui distingue le fou ou
l’opportuniste du génie. Quoi qu’il en soit, Mahomet a marqué d’un sceau original et indélébile l’histoire universelle. Comme lui, dans
cette histoire universelle, les gens se comptent sur le bouts des doigts. Quiconque s’attaquera à ces repères (non seulement à Mahomet) n’y pourra rien. Au contraire il aurait peut-être bénéficié
d’un brin de leur Barakah. L’écriture éclabousse l’écrivain du type de la vie qui anime son œuvre. Cette éclaboussure touche aussi le public,
évidemment.
« Benoît XIV - Pontife de 1740 à 1758
(donc sous Louis XV), réformateur du droit canon, cultivé - dialoguait par lettres avec des Encyclopédistes, des scientifiques et des philosophes des Lumières. Pour le faire bisquer, Voltaire,
l'infatigable bouffeur de curés, écrivit en 1745 une tragédie musulmane titrée Mahomet, qu'il lui dédia et lui fit parvenir. Ce que
Voltaire n'avait pas prévu, c'est qu'au jeu de la tolérance, il se ferait battre par un pape. Benoît XIV en effet accepta le cadeau et répondit à Voltaire d'une missive très
courtoise. » Ce que l’auteur de tels propos n’a pas su ou voulu voir ou montrer c’est que dans ce temps-là ni l’Islam était considéré comme une vraie religion, ni Mahomet comme un vrai
prophète. L’un et l’autre étaient considérés respectivement une imposture et un imposteur. Les déistes, parait-il – Voltaire en était un – avaient brandi l’arme de l’Islam comme
pièce de chantage pour critiquer les catholiques et leurs clercs. Mais quand ces derniers arrivaient à se faire entendre avec les premiers, une nouvelle forme d’exégèse, et de sensibilité aussi,
jaillît. La tragédie de Voltaire appartenait à ce genre d’entente. Entente qui ne veut pas dire accord mais complicité et subtile rivalité à la fois. L’on sait par ailleurs que selon des légendes
du moyen age, Mahomet aurait été un cardinal aspirant à la papauté mais la déception due à l’échec de ses aspirations aurait donné lieu au schisme. Si Dante l’avait envoyé à l’enfer, ce n’est pas
parce qu’il le considérait comme un damné mais comme un chrétien errant. L’horreur de l’hérésie et de la sédition-schisme que chaque système de foi ou d’idéologie porte en son sein semble avoir
écœuré Dante. Nous la voyons aussi, cette horreur, chez Voltaire qui peinait à sortir de la tradition catholique qui caractérisait sa patrie et son époque. « Dieu merci, je suis bon
catholique, je n’ai point à craindre … le martyre ; » reconnaît l’humble Voltaire dans son Traité sur la tolérance. Le même Voltaire, toujours pieux et croyant, disait (après
avoir cité post mortem nihil est, ipsaque mors nihil de Sénèque): « abhorrons ces maximes, et, tout au plus, pardonnons-les à un peuple que les évangiles n’éclairaient pas ;
elles sont fausses, elles sont impies. » Il reste quand-même une évidence : si Voltaire n’arrive pas à comprendre Mahomet, c’est Mahomet qui a tort, pour paraphraser Artaud ;
suivant la même logique, disons que s’il arrive que quelques uns parmi nos contemporains ne comprennent pas Voltaire, c’est Voltaire qui a tort. Malheureusement l’insolent passage du temps
archaïse tout et désactualise jusqu’au génie ! Avec le temps tout est voué au destin des éphémères modes. Pour ce qui nous concerne, le temps nous a livré depuis longtemps les
secrets de l’un et de l’autre. Secrets dont Voltaire, ni son prédécesseur Mahomet, ne pouvaient imaginer alors l’existence ou l’importance.
Défendre Mahomet ? il n’en a pas besoin et il n’en aura jamais besoin, seulement je me sens homme et, en ce sens, - pour paraphraser Franz Fanon - les exploits de
Gagarine sont aussi miens que la langue française ou la guerre de Troie. Je suis convaincu aussi que mes actes et mes écrits font partie du mouvement général de la culture humaine qui a le rôle
de faire passer l’homme à la réflexion et à la médiation, donc à la compréhension entre les hommes. « L’homme a toujours eu besoin d’un frein, et quoiqu’il fût ridicule de sacrifier aux
faunes, aux sylvains, aux naïades, il était bien plus raisonnable et plus utile d’adorer ces images fantastiques de la Divinité que de se livrer à l’athéisme. P. 104 » c’est encore Voltaire
- que les évangiles avaient bien éclairé - qui parle. Que demandait-il ce bouffe-curé pieux, sincère et humble ? rien moins qu’une foi cristalline car « rien de plus
indépendant que d’aimer et de croire. » citait-il. L’on croyait écouter les mêmes mots de Mahomet ! Toutefois le procès que voltaire a voulu faire à Mahomet dans sa lettre introductrice
en particulier et à travers sa pièce en général n’a pas bénéficié de la clémence de l’interprétation qui l’aurait rendu plus indulgent et plus tolérant donc envers lui. Oui
l’interprétation peut être un mécanisme qui nous garantit contre l’intolérance. Quelques exemples ? contrains-les d’entrer - compelle intrare … ; quand Jésus christ
dit « ne donnez à dîner ni à vos amis ni à vos parents riches » ou encore « si quelqu’un vient à moi, et ne hait pas sa mère, son père, ses frères, ses sœurs, et même sa propre
âme, il ne peut être mon disciple, etc. … » Voltaire n’a pas conclu hâtivement à l’intolérance ou la bigoterie du Christ mais il a interprété, comme on interprète la loi pour les
amis. Voltaire lui-même est conscient de l’absurdité de prendre les choses à la lettre. Par contre pour Mahomet il avait - comme certains de ses contemporains cités dans cet écrit – pris à la
lettre des discours qui peuvent bien être interprétés dans le sens lumineux. Un exemple ? la citation suivante « Il commence l’Alcoran par déclarer que ce livre n’admet point de doute,
et qu’une punition terrible attend tous ceux qui n’y croient pas » pourquoi doit-on comprendre qu’il s’agit d’un fanatisme, d’un concentré d’absurdités, alors qu’en faisant un peu d’effort
sur nos méninges, en élargissant un peu notre imagination, en ouvrant un peu notre cœur à la confiance dans l’autre et à sa capacité ou possibilité d’être raisonnable et bon, doué de moralité et
de bon sens … l’on peut comprendre par ce verset du coran : l’exhortation pour ceux qui le suivent de le prendre comme un principe, un point de départ, une terre ferme (Descartes n’a-t-il
pas eu la sienne, sa terre ferme ?) s’ils veulent vraiment aller de l’avant. Ils ne doivent pas hésiter. N’est-ce pas à neutraliser le doute et l’hésitation que servent les principes et les
axiomes ? Seuls ceux qui prennent leur discours pour des vérités absolues seront des fanatiques et des intolérants. A mon avis l’auteur même de cette citation passe par être le plus croyant
à ce verset que le plus intransigeant des mahométans sur l’apparente vérité des mots, plus peut-être que Mahomet en personne.
Mais pourquoi a-t-on interdit la pièce ? les malins, ont-ils flairé que l’auteur avait mis la main sur les mécanismes dont se sert
chaque religion pour asservir et commander les hommes ? les censeurs ! n’ont-ils pas supprimé le délire de Seide ? et la police n’a-t-elle pas trouvé mauvais que Mahomet disait à
Zopire : « Non mais il faut m’aider à tromper l’univers » (une version ante litteram de la légende du grand mystificateur). La religion savait que de toute part on lui
livre des guerres chaque jour les unes plus féroces que les autres, plus nombreuses, imprévisibles, ininterrompues. Elle ne savait pas où se donner de la tête « on voit – disait Voltaire à
sa Majesté le roi de Prusse – dans ce même siècle, où la raison élève son trône d’un côté, le plus absurde fanatisme dresser encore ses autels de
l’autre. » La pièce fut composée en 1736 et visait une utilité plus française qu’une exégèse ou critique de l’Islam ou de son fondateur. C’était un débat entre catho-chrétiens et chrétiens
catholiques. Dans l’Avis de l’éditeur où l’ « on y reconnaît la main de M. de Voltaire » celui-ci disait : « C’est précisément
contre les Ravaillac et les Jacques Clément que la pièce est composée »
A propos du terme imposture on le trouve dans le sixième vers de la première
scène du premier acte ! décidément voltaire ne perdait pas de temps pour rendre les honneurs aux catholiques afin de ne pas les effaroucher. Il ne perdait pas de temps non plus pour annoncer
les couleurs, ceux d’être un bon chrétien qui ne caresse point la révolte, figurons-nous s’il flatte l’imposture. « Car - dit-il - il ne dépend pas de l’homme de croire ou de ne pas croire, mais il dépend de lui de respecter les usages de sa
patrie. » Qu’aurait-il dit de la révolution française, l’homme qui justement abomine et abhorre les emportements de la
rébellion ? Dans la réponse de Phanor c’est le thème de séditieux-sédition qui fait son apparition. Thème que Voltaire redoute et qu’il châtierait volontiers par la mort quiconque s’en
rendît coupable (souvenons-nous de ses conseils pour le cas du vil séditieux J. J. Rousseau)! Puis c’est le tour de la traîtrise et surtout de la déclaration effrontée de haine et encore
de haine à l’encontre d’une personne qui ne lui avait rien fait de mal. Il n’y a aucun doute que sa sympathie, Voltaire la voulait entière pour Zopire auquel il prêtait tout ce venin. « On
ne perd les états que par timidité » fait-il dire à Zopire. Incitation à la violence ou à la détermination dans les affaires sérieuses et vitales? Alors pourquoi la refuse-t-on à
Mahomet. Et téméraire Zopire ajoute « périssons s’il le faut ». Mais Mahomet aussi a le droit d’user de cette maxime. C’est au tour du thème de tyrannie, puis celui de barbarie,
criminalisation, fraude, guerre, monstre, artisan de l’erreur. Voici quelques unes des couleurs avec lesquelles Voltaire dépeignait Mahomet. Couleurs d’une telle splendeur qui ne laissent pas
d’espace à la tolérance. Voltaire a-t-il recouru à Mahomet pour éviter et déjouer la censure ? ainsi identifiait-il les religieux avec Mahomet et ceci avec le fanatisme. Mahomet -
semble-t-il nous dire – ressemble à un religieux. Il y ressemble puisque ce n’est qu’imposteur. Il y ressemble en raison même de cette imposture. Le religieux de référence pour un français de
l’époque est un curé, un catholique, un chrétien. Avant Voltaire, Cervantès avait renversé la métaphore : il n’avait pas dit : les soldats
sont des troupeaux de moutons, mais les moutons sont des troupes de guerriers. Voltaire aussi ne disait pas directement ce que les catholiques sont vraiment pour lui, c'est-à-dire :
haïssables ! mais il dit ce qu’est Mahomet, leur bête noire, leur semblable. Ainsi est-il arrivé à dire l’indicible et dénoncer avec douceur et force l’indénonçable. « Ceux qui
diront que les temps de ces crimes sont passés, qu’on ne verra plus de Barcochebas, de Mahomet, de Jean de Leyde, etc … font trop honneur à la nature humaine … » Quand Voltaire luttait et
voulait faire croire que son écrit aurait évité de recréer des Ravagnac, lui aussi faisait trop honneur à la nature humaine. Pourtant il « sait que Mahomet n’a pas tramé
précisément l’espèce de trahison qui fait le sujet de cette tragédie » mais il n’a aucun respect pour un marchand de chameau, pour
quelqu’un qui n’est pas né prince légitime, ou appelé au gouvernement par le suffrage des siens ! Ecoutons-le encore : « Mais quiconque fait la guerre à son pays, et ose
la faire au nom de Dieu, n’est-il pas capable de tout ? » Quoi, monsieur Voltaire, un procès aux intentions ?
Enfin si l’on reste fidèle aux cours et sens réels de l’histoire, à sa vraie logique, on peut arriver à la conclusion, d’apparence absurde, que Mahomet fut tout comme
Voltaire un chrétien. La différence est que pendant que l’extravagance de Mahomet le portait à l’errance et donc au Schisme, celle du Voltaire éclairé et donc sauvé par les évangiles
l’avait porté à se contenter d’une espèce de réforme douce. Tous les deux néanmoins pensaient de purifier la religion de l’ingérence de l’homme.
Smari Abdelmalek