Vues et vécus en Algérie et ailleurs. Forum où au cours des jours et du temps j'essaierai de donner quelque chose de moi en quelques mots qui, j'espère, seront modestes, justes et élégants dans la mesure du possible. Bienvenue donc à qui accède à cet espace et bienvenue à ses commentaires. Abdelmalek SMARI
« C’est dans telles lettres, qui ne
sont pas d’abord destinées à
être publiques, qu’on voit les
véritables sentiments des hommes. »
Attribué à Voltaire
La barquette et l’iceberg
Dans cette deuxième partie je me réfère principalement à deux ouvrages de Voltaire : « Le traité sur la tolérance » et « Mahomet le prophète», en plus de quelques sites internet. Je me suis senti, moi homo berbericus, comme une insolente barquette qui pensait d’explorer tout un iceberg du nom Voltaire. Mais je me suis trouvé à en contempler les seuls contours de quelques reliefs de l’une de ses multiples facettes. De toute façon mon écrit aura le mérite de rendre compte de cette contemplation et peu importe si elle est réussie ou non. Car connaître c’est aussi s’efforcer et essayer de connaître. Dans cet écrit je suis parti de la question « Pourquoi Voltaire avait choisi Mahomet ?» pour arriver à une réponse non pas religieuse, mais humaine ou, si vous voulez, historique où le doute se la dispute à la vérité. De l’intolérance j’ai eu l’occasion (il ne m’est rien arrivé, heureusement pour moi) d’y goûter grâce au concours de la rue de Milan et à celui de certains foyers milanais et de la mosquée du fameux Viale (Avenue) Jenner. Toutefois, je retiens les uns et les autres victimes de l’aliénation d’un long travail de mystification, commencé le jour où les yeux de l’humanité commencèrent à voir la lumière. C'est-à-dire le jour où les hommes apprirent l’alchimie de verser les propres démons sur l’Autre, leur semblable, et à lui cracher l’enfer et le soufre dessus. Quand j’ai trouvé le mot imposture se répéter exagérément, dans le texte de Voltaire - « Mahomet le prophète » Christian Bourgois éditeur, 2006 – et dans celui de la lettre à sa Majesté le Roi de Prusse, je me suis arrêté pour le considérer. Je découvre que Voltaire de 1737 n’avait pas des mots complètement originaux. La thématique même était vulgarisée, archi consumée et périmée donc. En est-il vraiment ainsi d’un génie de sa trempe? Evidemment non. J’ai cherché et trouvé toutefois que l’auteur avait cédé à sa dimension humaine (comme pour narguer sa dimension divine ?). Et du fait même de cette humanité, Voltaire avait montré comme il était difficile pour lui de se libérer complètement des signes de son temps et des mœurs de sa patrie. « On y voit entre autres beaucoup de preuves que Mahomet a été un Imposteur, et qu’il a fait servir son Imposture à sa Cupidité », avait dit P. Bayle de Mahomet. Bayle que Voltaire retenait parmi les grands philosophes de son temps. Voltaire, l'infatigable bouffeur de curés, se montrait parfois jaloux de sa religion : « Si notre sainte religion a été si souvent corrompue par cette fureur infernale, c'est à la folie des hommes qu'il faut s'en prendre ». Il prêchait donc pour une religion épurée de la bêtise des clercs et de leur fanatisme et intolérance. Certes, avec son Mahomet, il entendait donner une peinture concrète et indéniable de l’absurdité et du péril du fanatisme, mais il n’a pas oublié, fin diplomate comme il était, de faire un clin d’œil à l’église et en caresser l’orgueil dans le sens du poil. Condamner le fanatisme à travers un cliché (recourrant par exemple à un mot, une métaphore, à l’image du fou de la montagne ou à Mahomet … ) ne doit pas signifier que ledit cliché soit coupable de quelque délit ; ni défendre le symbole doit signifier défendre le fanatisme et ses aberrations. Voltaire en utilisant l’image stéréotypée d’un Mahomet fanatique voulait attirer l’attention des gens sur l’ampleur universel du phénomène, sur le lien direct entre la sacralisation des mœurs et habitudes et l’avènement du fanatisme. Il voulait aussi préciser le concept et le définir. Il voulait lui donner une existence historique, matérielle pour le rendre tangible, reconnaissable et donc neutralisable. Ou bien Voltaire voulait-il se mesurer avec les morts ? avait-il besoin d’une telle prouesse ? Il n’y a pas pire de celui qui cherche à se mesurer avec les morts. L’on sait qu’une telle velléité souvent pousse les sans têtes, les en-mal-de-gloire, à commettre des crimes et des bêtises. Exemple ? ce général (Henri Gouraud ?) qui écrase du regard de mépris un inerte amas de pierres et de poussière qu’il croyait être la tombe de Saladin ou, pire et incroyable encore, qu’il croyait être Saladin lui-même ! Si Voltaire avait l’intention de dire par sa Pièce qu’il était plus malin ou plus honnête de Mahomet, il aurait agi de la sorte et donc bassement et bêtement. Mais il est peu probable qu’il en fût ainsi dans son cas.
Pourquoi Mahomet donc?
Je pense que Voltaire, comme Montesquieu avec ses « Lettres », voulait dire que ce qui sépare le civisme de la barbarie tient toujours à un cheveu : le fanatisme. C’est presque ou c’est déjà la malheureuse constante de l’humanité, qu’est cette tare infamante. Voilà peut-être pourquoi Voltaire accepte de monter sur un cheval du nom Mahomet pour dire sans risque de payer de grands frais les bêtises de tout le monde, des hommes donc. Une autre face de la bêtise humaine est l’arrogance qui a trouvé ses lettres de noblesse en la tyrannie et que le despotisme oriental a bien représenté pour des siècles. « Scipion » de Metastasio se voulait une consolation (et quelle consolation, si la musique divine d’un Mozart s’y joint !) pour un roi qui avait perdu la guerre et aussi l’espoir de se relever. Le poète avec le musicien réussirent à le divertir et à le consoler, à le guérir donc de la honte de la défaite et du mal du désespoir. La recette fût de l’envoyer à se ressourcer chez l’un des grands généraux de Rome, artisan incontesté de la fondation de la cité éternelle et de sa gloire. N’était-ce pas à une sorte de consolation que Voltaire tendait pour apaiser les esprits irrités de l’église par le sérieux tracas que leur causaient les déistes ? Voltaire, le jeune de « Mahomet », avait alors à peine la quarantaine, presque le même age du prophète de l’Islam quand il commença à poser les premières fondations de la civilisation qu’il lèguera à l’humanité. Plus tard, quand il deviendra un homme illustre, Voltaire reviendra au sujet du cléricalisme, dans son fameux Traité, pour donner une gifle à l’église ou à son clergé. Par souci de justice ? ou par mea culpa ? «L’on a cependant – lui a-t-on reproché - osé écrire de nos jours, et répéter vingt fois, que les Turcs sont moins intolérants que les Chrétiens » http://www.cromohs.unifi.it/10_2005/minuti_islam.html. L’erreur de Voltaire réside peut-être dans le fait qu’en son temps, on réduisait l’existence des peuples à la seule dimension religieuse. Une pratique et une vue d’esprit qu’on retrouve malheureusement encore aujourd’hui bien ancrées chez une bonne partie de nos contemporains et chez leurs chefs surtout. Ces chefs qui sont là à se prélasser sur leur perchoir de gloire en goûtant jusqu’à la satiété les fruits âpres et amers du sadisme et des cruautés qu’il sèment près les peuples damnés sur terre. Cela se note avec tout le champignon de l’absurdité quand on veut faire passer les rebelles qui résistent à l’oppression globale pour des fanatiques religieux. Oppression conduite par les multinationales du pétrole, les trafiquants d’armes, les maîtres des médias et de la propagande mystificatrice sis à Wall Street et opérant de la Maison Blanche. L’on traite Mahomet d’imposteur. Depuis combien de temps déjà ? depuis le cri du Pape Urbano II, 1095 (voir la première partie de cet écrit) et l’inauguration des croisades. En tout cas Voltaire n’est en ça qu’un docile suiveur qui traite Mahomet comme un simple marchand de chameaux, un vulgaire sacerdoce oubliant ou feignant d’oublier qu’il est le fondateur d’une grande civilisation. On le traite ainsi, jusqu’aujourd’hui, comme l’on traite les soi-disant musulmans à qui on ôte tout habit de vie mondaine et séculaire. Que signifie cette obsession de les caractériser de la sorte ? un étiquetage péjoratif du type : « Tu es religieux, ergo fanatique. Tu es fanatique ergo violent. Tu es violent ergo aveuglement égoïste, injuste donc, tu prônes la haine, tu nuis aux autres, il faut te poursuivre, te neutraliser, te soumettre, t’exterminer (Voltaire – le pourtant tolérant Voltaire - utilisa le même terme pour Mahomet) enfin il faut avoir tous les droits de vie et de mort sur toi sans que tu puisses en avoir un, même pas celui de dire Aï. »
Voltaire réactionnaire ?
Voltaire dans cette tragédie s’est montré réactionnaire. Et c’est je pense la raison pour laquelle sa pièce avait essuyé un échec. Nous ne devons pas oublier cependant qu’il avait à peine 40 ans quand il s’est attaqué à Mahomet, un jeune chalutier turbulent face à un vieux bateau serein et assagi par les exploits et les siècles. A certains passages l’on a l’impression que ce n’est pas les mœurs qu’il faisait jouer mais sa haine propre contre le personnage. Respecter l’œuvre veut dire en respecter les personnages, veut dire leur reconnaître le minimum de dignité. Car nul n’est complètement ange ni complètement démon. Refuser cette dignité à l’homme, veut dire mystifier et mentir. Si ce manque de respect vient de la part de l’auteur même, le lecteur fera de même et l’œuvre sera naïve parce que incroyable. Elle sera sans grand intérêt et donc indigne de considération. C’est aussi là une forme de mystification déterminée par l’attitude d’intolérance. Voltaire s’était montré fanatique envers Mahomet et ce n’est que justice : le fondateur de l’Islam n’était-il pas considéré à l’unanimité d’une Europe chrétienne comme un imposteur ? Voltaire aussi épousait cette opinion. Il n’acceptait donc pas que la bêtise et le fanatisme régnassent chez lui ni dans son aimable patrie. Mais le problème du fanatisme est qu’il agit comme une pulsion irrépressible et qui tend donc à se réaliser inexorablement et au dépend du bon sens et de la sensibilité de l’homme. Et c’était contre ce risque que Voltaire, le bouffe-curés, aurait du se mettre à l’abri et se protéger. N’est-ce pas à cause d’une certaine intolérance – certes subtile et indécelable aux yeux du patriarche de la tolérance - que Rousseau eut le traitement qu’il avait eu à cause de ses écrits ? pourtant Voltaire parlait dans son « Traité sur la Tolérance » de l’absurdité et de la barbarie de s’exterminer pour des paragraphes ! N’était-ce pas le même Voltaire qui définît Rousseau, son compatriote et contemporain, comme un “blasphémateur séditieux” et invita le gouvernement à brûler ses oeuvres et agir contre lui avec “toute la sévérité de la loi” ? Alors, l’extrême sévérité de la loi était la mort. Puis immédiatement ajouta-t-il dans « Le sentiment des citoyens » : “l’on a pitié d’un fou; mais quand la démence devient fureur, on l’attache. La tolérance, qui est une vertu, serait dans ce cas un vice”. Le reste du texte cherchait à montrer que Rousseau, justement, constitue un cas de fureur. Après des insultes comme « dément, traître, calomnieux (insultes aussi graves que celles que l’auteur avait réservées à Mahomet), Voltaire nous donna enfin l’idée de la punition qu’il avait en tête « Il faut lui (à Rousseau) apprendre que l’on punit légèrement un romancier impie, l’on punit avec la mort un vile séditieux. »
D’où vient-il que Voltaire ait eu toute cette haine pour le personnage Mahomet ? elle lui était dictée par son époque et son idéologie. Sa formation – comme nous l’avons montré précédemment - puisait aussi dans les opinions culturelles et politiques d’orientation chrétienne de son époque. Culture où se baignait et se ressourçait mais qui manquait surtout de tolérance. Lui aussi – comme le disait J. J. Rousseau avait besoin de temps en temps de cette rare vertu. En plus il y avait les turcs (musulmans par excellence) qui patrouillaient en cette époque-là aux frontières et aux rivages des nations chrétiennes, catholiques surtout. On sent et on voit que Voltaire sollicite volontiers le consensus des princes et des cardinaux. Qui mieux que les politiques pouvaient savoir que les menaçant turcs, ça sentait mauvais ? Qui mieux représentaient et représentent encore en cette Europe-là la politique si non les cardinaux et les princes ? « Le gouverneur de la province et l’intendant - lit-on dans l’avis de l’éditeur – y (à la représentation de la pièce) assistèrent plusieurs fois. » et l’Auteur fut assez heureux pour que l’un des premiers hommes de l’Europe et de l’Eglise eût entre les mains son manuscrit et que le même observât « que si la pièce était écrite avec la circonspection convenable, elle présentait des écueils qu’on ne pouvait éviter, la poésie cependant restait à revoir et corriger. » Dans l’avertissement des éditeurs qui ouvre « Mahomet », l’on trouve plus un procès pour les musulmans qu’une peinture d’un anti-héros. Parfois en imposture et en fanatisme Voltaire va jusqu’à rejoindre le personnage jusqu’à faire siens ses forfaits et intentions perverses. C’est l’effet peut-être d’une vue plate, acritique, unidimensionnelle. C’est probable et ça se vérifie à chaque fois qu’on ne sait se libérer de l’empire des lieux-communs. Voir dans l’œuvre d’un homme un seul côté « est la manière - disait le même Voltaire – la plus ordinaire de se tromper ». Ce conseil ne l’empêcha pas de ne voir de bon dans l’œuvre de Mahomet que le côté de commerce des chameaux. Et puis Mahomet tout comme Voltaire pouvait avoir le droit de travailler pour sa patrie et de la révolutionner, pourquoi pas ? « Les commencements des troubles excités par Luther … » c’est Voltaire qui parle ainsi pour mettre à l’index les emportements de la rébellion des jeunes. J’y vois quant à moi une confirmation de l’opinion politique du philosophe – à l’age où il avait écrit sa pièce - qu’on peut dire qu’il était plus conformiste - pour ne pas dire réactionnaire - quand il s’agit du changement radical des choses et des mœurs. Il est sage et le rebelle est enthousiaste. Etre fataliste c’est accepter le monde comme il se présente. Voltaire le royaliste ne pouvait tolérer la sédition, ni les avis contraires à l’opinion des souverains et gouvernants. N’est-il pas l’ami des princes et des cardinaux ? Mais ce fatalisme n’est que de façade car à peine les circonstances et l’opinion régnante le permettent-elles, le voici destructeur acharné de ce qu’il ne pouvait naguère dénoncer. Son horreur pour Mahomet n’était en réalité qu’une horreur pour l’image que sa Culture lui avait toujours présenté de Mahomet. Il avait donc attaqué la monstruosité d’une telle image et il était sincère. Plus tard il restera cohérent avec lui-même et c’est ça qui le sauve de la lâcheté. Plus tard ce sera le même esprit qui l’animera quand il se sera attaqué à l’affaire Calas.
A suivre ...
Smari Abdelmalek