Vues et vécus en Algérie et ailleurs. Forum où au cours des jours et du temps j'essaierai de donner quelque chose de moi en quelques mots qui, j'espère, seront modestes, justes et élégants dans la mesure du possible. Bienvenue donc à qui accède à cet espace et bienvenue à ses commentaires. Abdelmalek SMARI
A l’intérieur comme à l’extérieur de la mosquée, les fidèles, différents par leur aspect, leur couleur et leur origine, ont déjà pris place sur des nattes ou des tapis.
Ils sont là assis ou en prière, tranquilles et polis comme une porte automatique, sous l’œil vigilant des services de l’ordre.
« Aujourd’hui, c’est vendredi. » déduit Ahmed qui se trouve lui aussi là à chercher dans l’ambiance quelque détail ou souvenir qui le rapportent un peu en arrière dans le temps.
Il soupire, tout en regardant un couple d’opérateurs d’une télévision locale - Monsieur avec une caméra et Mademoiselle avec un microphone. Le couple va et vient au milieu de la foule et des rangs des fidèles à la recherche de quelqu’un à interviewer.
« Moi, pense-t-il en s’éloignant, je ne dirais rien à ces mystificateurs, à ces tronqueurs
des bouts de phrases… je parie que quoi qu’on leur dise, ils le sortent toujours de leur contexte et déforment ainsi la réalité des faits ! »
La voix de l’imam arrive aux oreilles des fidèles qui se trouvent à l’extérieur grâce à un haut-parleur accroché à la grille en fer battu d’une fenêtre.
Le vénérable imam passe aisément de l’arabe à l’italien, comme s’il s’agissait pour lui de parler la
même langue selon qu’il s’agisse de prière ou de prédication.
« ... Et selon vous, mes frères, pourquoi ? tout simplement parce qu’ils ont peur de nous, voilà ! Mais 60% de ce qu’on dit de nous est faux...»
« En voilà un autre qui donne des numéros ! dit Ahmed irrité. Il les a compté peut-être ! »
« C’est moi qui vous le dis, poursuit l'imam, et vous le savez bien, vous aussi, mes frères ! Les stupéfiants, la prostitution, le crime… tout ça existe, mais est-ce de notre faute à nous ? La drogue – parlons-en clairement -, on peut la trouver aujourd’hui dans n’importe quel bistrot et n’importe quel bar, mais hélas, certaines langues calomnieuses s’efforcent à nous faire croire que c’est l’Hotel House qui est à l’origine de ce mal, ce fléau, qui s’est abattu sur notre communauté. On doit faire quelque chose, mes frères… et tous ensemble, n’est-ce pas ? »
Les fidèles écoutent tout en somnolant, en arrangeant leurs tapis, en lisant, en bavardant ou en priant. L’imam est exaspéré, et il hurle un verset « Ne haussez pas vos voix sur la voix du prophète ! » Et les fidèles, un peu effrayés, un peu amusés, se rendent compte du sérieux de la situation et se taisent et se remettent en ordre.
« Malheureusement, poursuit l’imam point affecté par l’interruption, jusqu’aujourd’hui nous n’avons jamais été solidaires ! je ne sais pas pourquoi. Franchement je ne le sais pas ! vous en avez une idée, vous? » Il n'attend pas de réponses car il sait que ce n'est pas d'usage de répondre.
« Nous devons nous mettre d’accord pour comprendre ce qui n’va pas chez nous et essayer de
changer notre vie pour le mieux. Aidons-nous nous-mêmes et Allah nous aidera. Revenons sur le droit chemin comme Dieu nous l’avait ordonné. Mes frères, l’Hotel House est une cité multiculturelle,
certes, mais pour les seuls enfants ! Regardez-les, eux, ils jouent ensemble, tranquillement, comme les oiseaux du paradis. Ils se connaissent bien les uns les autres et s’aiment entre eux
sans complexe. Ils ne se laissent pas berner par les fausses différences. Apprenons d’eux l’art de vivre en paix ! Et quelque chose de bon nous viendra de ce côté-là… vous verrez, c’est moi
qui vous le dis. »
La voix du muezzin s’élève. L’imam et toutes les autres voix se taisent.
« Mes frères, reprend l’imam d’une voix douce, qu’est-ce que ça nous coûte, à nous et surtout à la
municipalité, de rétablir par exemple le beau jardin qui était ici et l’offrir à nos enfants et aux enfants des Italiens ? Transformer cet endroit dégradé et en faire un espace propre avec
des fleurs, des pelouses vertes, des bancs, des balançoires, des manèges et de tout ? Si nous allons de l’autre côté de la porte, là derrière, c’est plein de saleté. Peut-être maintenant,
c’est un peu plus propre mais seulement parce qu’il y a des enfants d’Italiens du Nord qui sont venus ici en vacances. Le nord fait peur aux gens du sud. Et c’est pourquoi la municipalité a
nettoyé les lieux ! chers frères, on a nettoyé pour les enfants du nord non pas pour nos enfants !
Les spéculateurs louent des maisons à ceux qui vivent en douze, tous entassés les uns sur les autres comme des sardines dans une boîte. Nos enfants jouent pieds nus. Des enfants de deux ou trois
ans qui vont touts seuls sans aucune surveillance par les adultes. Beaucoup de parents pensent plus à gagner de l’argent qu’à éduquer leurs enfants. - Que nous importe ?
pensent-ils ! Ils grandissent comme il grandissent. - et les enfants grandissent comme ils ont grandi leurs parents : malades, pauvres et ignorants. Entre-temps ils continuent à faire
des enfants en vue d’obtenir des allocations familiales au lieu de penser à l’avenir de leurs marmots. Nous devons également contribuer à améliorer cette terre tout en exigeant plus de respect
pour nous qui travaillons et payons les impôts ; autrement on donnerait crédit aux mensonges et aux autres calomnies qui visent notre communauté et que les autochtones ne cessent de
réciter à la télévision et dans les journaux. Que Dieu nous aide, nous pardonne et illumine les égarés ! Amen. »
Et avec une voix calme, l’imam appelle à la prière.
A suivre
Abdelmalek Smari