Vues et vécus en Algérie et ailleurs. Forum où au cours des jours et du temps j'essaierai de donner quelque chose de moi en quelques mots qui, j'espère, seront modestes, justes et élégants dans la mesure du possible. Bienvenue donc à qui accède à cet espace et bienvenue à ses commentaires. Abdelmalek SMARI
"C'est une expérience éternelle que tout homme
qui a du pouvoir est porté à en abuser."
Montesquieu
Il y a de quoi se tirer une balle dans la tête
J'ouvre cet écrit par la citation du « Quotidien d'Oran » qui fait allusion à la triste nouvelle de
l'assassinat du chef de la DGSN feu Colonel Ali Tounsi. Je n'omets pas de ma part de souhaiter paix et miséricorde à l'âme de ce fils de l'Algérie qui, sa vie durant, n'a cessé de servir notre
cher pays et qui est mort pour lui préserver la dignité et l'honneur.
« … cette affaire – écrit notre quotidien - est liée à des contrats signés dont la légalité serait douteuse. C'est ce qui aurait amené le patron de la police à suspendre son subordonné, qui aurait mal pris d'apprendre la chose dans les colonnes d'un journal. Il y a tant «d'affaires» de malversation présumée dans l'octroi de marchés publics que l'on se prend à souhaiter vivement que leurs protagonistes ne soient pas armés. »
Le lecteur sait donc que c'est de corruption que nous parlera le présent article. La corruption, comment est-elle conçue, pratiquée, vécue, défendue et aussi combattue chez et par homo berbericus?
C'est dire d'abord à tout Pharaon, la société oppose un Moïse ou en termes actuels: à tout Oultache, elle oppose un Tounsi. S'il y a celui qui est prêt à tuer pour défendre ses affaires de malversation, il y a celui qui est prêt à mourir pour défendre la légalité.
On peut m'objecter que dans cette étrange division sociale des rôles entre les tenants des intérêts égoïstes et les défenseurs de l'intérêt public il y a des gens qui restent de toutes les façons impunis pour les méfaits qu'ils causent à la communauté.
Un exemple? Que l'on pense à l'entorse faite à notre constitution par notre président et ses hommes afin de s'assurer un 3e mandat. Que nous sachions, cette violation n'a pas été réparée. Ma foi, oui; et c'est une exception, s'il est encore vrai qu'à toute règle il devrait y avoir une exception.
Mais ne perdons pas l'espoir, ya-l-khaoua: l'age, en politique, est de longue haleine et il se mesure en siècles et millénaires. Si les hommes qui nous gouvernent sont à l'automne de leur vigueur politique, notre pays est encore jeune. Et alors travaillons pour mettre fin à ce genre de corruption qui se cache derrière une apparence de légalité plébiscitée. Et sachons que le cours de l'histoire et l'évolution des esprits ne sauraient faire marche arrière.
Glissons donc...
Je vais poursuivre en citant des faits anormaux puisqu'ils ne font pas honneur à ceux qui les accomplissent et à ceux qui les subissent.
Avec lesdites citations je compte donner une idée de ce que j'entends par le mot corruption que j'utiliserai dans cet écrit.
D'emblée, j'annonce que corruption est synonyme de pourriture. Que ce phénomène soit d'ordre physique ou qu'il soit d'ordre moral, il conduit inexorablement à la nécrose et donc à la mort du corps social. En arabe le mot utilisé est fassade.
Écoutons notre ministre des ressources de l'eau, Abdelmalek Sellal qui dénonce la corruption qui traverse de part en part notre société avec tous ses points cardinaux et toutes ses strates des plus humbles jusqu'aux cadres, jusqu'aux élus du peuple, jusqu'aux institutions nobles et vitales comme les hôpitaux et le corps de la protection civile!
« Pour ce qui est des factures qu'on dit qu'elles ont augmenté, je dois d'abord dire qu'au niveau de plus de 600 communes, les gens ne paient pas l'eau ou la paient à un prix dérisoire. »
« Démagogie électorale aidant, les élus, auparavant surtout, ne faisaient pas payer l'eau aux citoyens. »
« A Chlef, vous verrez que les gens ont placé une trentaine de tuyaux juste à la sortie du château d'eau pour voler l'eau. »
« A Alger, par exemple, le directeur général de Seal vous dira qu'il y a beaucoup de gens qui continuent à voler l'eau. Il y a actuellement en moyenne 250.000 foyers qui ne paient pas l'eau. »
« Il faut savoir qu'en cas de non paiement, Seal n'enlève pas les compteurs aux gens, parce que c'est une mesure barbare ... Si je vous parle des dettes que nous doivent certains hôpitaux ou certaines structures, il y a de quoi se tirer une balle dans la tête. Mais on n'arrêtera jamais l'eau à un hôpital ou à une caserne de pompiers. »
C'est dire combien l'Algérie (structures publiques et citoyens) est corrompue. Mais disons toute de suite avec les mots de Tzvetan Todorov que « Le népotisme, le "pantouflage", la corruption ne sont pas d'invention récente ; [mais] ils n'en restent pas moins inacceptables. »
Il faut toutefois faire attention car comme le dit encore M. Sellal: « dans certains cas, ce sont des règlements de compte. Quand quelqu'un n'a pas un marché, il accuse l'autre d'avoir la gale. »
Alors, sommes-nous – si ou non – corrompus?
Poursuivons citations et constatations: « Début décembre 2009. Comme chaque année, l’ONG Transparency International (TI) vient de publier son indice de perception de la corruption. La lecture du document provoque la colère du président Abdelaziz Bouteflika. Implacable, l’ONG juge que la corruption en Algérie est en constante augmentation. Pis, la mise au jour de multiples scandales financiers (Khalifa Bank, Banque commerciale et industrielle d’Algérie, Banque nationale d’Algérie…) et les procès retentissants de fonctionnaires véreux et d’élus locaux indélicats sont agités comme la preuve de l’institutionnalisation de la corruption et non comme des gages de la volonté de lutter contre les malversations et autres détournements de deniers publics. »
Cherif Ouazzani - Jeune Afrique du 02-02-2010
Ça fait mal de nous soumettre à ce genre d’examen de conscience et de reconnaître nos torts et nos bêtises. Mais c'est l'unique moyen qui nous permet de nous délivrer de nos misères physique et morale puisque il nous porte à avoir une idée de notre médiocrité extrême, il nous secoue un peu et ébranle notre conscience engourdie et la stimule peut-être en nous poussant à avoir honte de nous mêmes et sans doute à envisager des solutions adéquates à nos vrais problèmes.
Ces examens seront aussi des terrains d’exercice de notre raisonnement et des occasions d'exploration de notre sensibilité et d'appréciation de nos qualités morales... quand elles existent bien sûr. Ça nous enseigne enfin la vigilance, la lucidité et le courage d'être justes, libres et responsables…
Si nous nous promenons dans nos marchés - et nos rues sont toutes des points de ventes et des marchés - nous voyons autant de marchandises que de marchands ; c’est dire autant de chaos, de kherdaoute et de tromperies.
Si nous considérons l’attitude de nos marchands et celle de nos acheteurs aussi (car il ne saurait exister l'un sans l'ombre de l'autre puisqu'ils sont ombilicalement liés par une sorte de complicité), nous verrons qu’il y a tout, la marchandise d'abord, le vendeur ensuite et l’acheteur, l’argent qui démange les poches et les yeux comme une bête en chaleur, l’ostentation de l’honnêteté, les sourires qui s’efforcent d'être vrais, le sang rouge et les coups de gourdins, la poussière et la canicule ou la boue et la pluie (cela dépend des saisons), nous entendrons enfin les gros mots de la piété et ceux de la rogne aussi, les vociférations…
Oui dans nos marchés il y a de tout et le tout baigne dans une atmosphère de vie… une vie bien de chez nous. Et ça nous égaie un tantinet (quand on adopte une attitude exotique) et ça nous aide à vivre nos misères et notre inconscience… dans une inconscience totale.
Tout y est donc, mais voilà: dans ce tout, on ne tardera pas à se rendre compte que le prix manque à l’appel avec bien entendu la bagatelle d’autres menus futilités incommodes : le droit de la taxe communale (elmek's), la qualité des produits, l'humanité des prix… mais, comme le respectable lecteur sait pertinemment, ces carences ou ces futilités n'empêchent pas homo berbericus de dormir, figurez-vous si elles l'empêcheraient d’exister dans cette condition de morale morte qui ressemble à de la paix, mais paix n'est pas!
Donc, à part ça il y a de tout dans nos marchés qui peuplent les trottoirs, les rues et les temples et ce tout ne baigne pas que dans une atmosphère de vie. Il est aussi tout ambiguïté.
Une ambiguïté indispensable à notre mentalité de marchand suppliant; mentalité de charabia qui nous rend vrais, réels, nous-mêmes.
Bien que nous ressemblons aux canards de Konrad Lorenz, on dirait que nous nous exercions à quelque … technique de marketing de pointe! Mais je pense que c'est plutôt le plaisir de nos actions mêmes qui nous importe le plus au monde; le plaisir de faire, de palabrer, de jurer, de manifester par les gros mots son honnêteté, de montrer notre force et notre virilité à coups de sabres et de bâtons... c'est ce genre d'actions et de soucis qui semblent intéresser nos marchands et animer nos marchés. Le gain ? Ça vient par la force des choses et puis ça n'intéresse pas trop puisqu'on fait ce qu'on fait par plaisir, par habitude, par insensibilité...
Il y a un autre phénomène curieux : les gens du nord pensent que plus on va vers le sud plus il fait chaud, plus l’air se dilate, se raréfie, devient mou, inconsistant… et ainsi en sera-t-il de la volonté des gens et du temps surtout, expression totale de tout cet état de choses.
Est-ce vrai ? Voyons un peu ce qui se passe, ce à quoi ces gens du nord pensent quand ils disent que le temps n’existe pas dans ces régions chaudes; quand ils disent que les gens du sud n’ont pas une notion du temps, que leur vie coule au gré des évènements qui les dépassent d'ailleurs et les entrainent à contre volonté. Évènements souvent provoqués par les éléments ou par la volonté et les initiatives des gens du nord seuls aptes à choisir et à intervenir dans le cours de l’histoire et dans les destins des gens du sud.
Mais ces gens tendent à oublier, par malice ou mystification, ou ignorent que les gens du sud sont imprécis et cultivent l'art de l'occulte et de l'ambigüité non pas parce qu’ils sont incapables de calculer et prévoir le temps et les évènements, mais que ce mode sciemment imprécis est dicté par les vrais intérêts ou la ir-raison égoïste.
En fait, dans nos marchés on ne cesse d'entendre à chaque stand et attroupement: « Ouech ataou? » « Soum ! » Expressions qu'une oreille étrangère à nos idiomes, risque de prendre pour une espèce de salamalek. Mais en réalité il ne s'agit que d'un rituel qui neutralise l'agressivité en puissance qui anime vendeur et acheteur.
Agressivité imminente qui trouve sa justification dans la petite distance qui sépare encore nos raisons de nos instincts de tout accaparer. Agressivité qui fait rêver le vendeur de prendre le maximum pour sa marchandise tout en gardant sa marchandise pour soi; et l'acheteur de prendre ladite marchandise sans verser un sou! Absurde, non?
C'est aussi une occasion où nous exerçons notre capacité d'apparaitre pour ce que nous ne sommes point. Il s'agit de la cultivation de l'ambiguïté pour attirer mieux les victimes et leur soustraire le maximum.
Quand le vendeur s'agrippe à son « soum! » il sait que le prix proposé par l'acheteur peut dépasser celui que, lui, a en tête. De bon calculateur – n'en plaise aux gens du nord – notre vendeur ne se prononce pas. Autrement quelle espèce de marchand ferait-il s'il se laissait prendre par l'astuce de l'acheteur?
De son côté, quand l'acheteur se colle à son « ouech ataou? » il ne fait que pousser le vendeur à se prononcer, à « mourir par sa propre mort » et déclarer le prix désirée pour sa marchandise.
Dans tous les cas ni l'un ni l'autre veut prendre de responsabilité. C'est dans ce genre de situations que l’origine historique de notre culture et de notre mentalité remonte à la surface dans leurs aspects négatifs et trouve une explication royale.
Et pour le temps ?
Mon hypothèse est qu’il s’agit ici de l'ambiguïté au service des intérêts. Que ces intérêts soient piteux, absurdes, petits, grossiers ou point ambitieux, ça ne change rien à l'équation quasi instinctive de berbericus puisque (comme tout intérêt d'un être humain qui respecte) les siens relèvent de la sphère des désirs. Nous savons que les désirs (forme archaïque ou basique des goûts), ça ne se discute pas.
Bref, je veux dire qu’il s’agit ici plutôt d’une autre manière de considérer les intérêts : ce qui peut être vital pour les gens du nord, pourrait être futile sinon mortel pour les gens du sud. Le contraire est vrai.
J’ajoute cette précision, que nord et sud ici sont relatif. Milan – qui est sud pour un suisse de Berne - est nord pour Palerme qui est à son tour nord pour Constantine qui est nord pour Biskra…
Enfin que ce soit au marché ou dans le domaine des rendez-vous c’est l'ambiguïté qui prime.
Celle-ci crée et cultive la mentalité de l’insistance et de l’indiscrétion ou celle de l’indifférence ou la démission: « Je sais que tu ne me parles jamais clairement alors j’insiste. Tu es indécis car imprécis car égoïste ou plutôt car tu as intérêt à ça… tu sais que c’est de mon droit d’assouvir ou non ton exigence. Et puis si tu insistes, ça me donne l’occasion d’exercer ma libido du pouvoir sur toi. Prix que tu me paies pour me soustraire des biens ou des informations…
Khouya kach ma t'hebb sarf euro?
C'est donc en étant sûr de nager dans le flou des conditions qu'il se crée pour l'occasion, que l'Algérien crache ou pisse ou répand ses mauvaises odeurs sans respect pour la poussière, pour les
murs ou pour la foule.
Cette mentalité existe chez nos employés où est en vigueur le culte du secret: tout est secret. Ça se voit qu'étant incompétents et irresponsables, nous avons peur de prendre des décisions, d'être clairs... Si tu perds un bagage dans un aéroport ou dans une gare et tu fais la déclaration de perte, on peut te cacher des informations au sujet de ta valise, en arguant le secret de l'opération des recherches! Comme s'il s'agissait d'un document de l'invasion d'un pays!
Une mentalité de mendicité? Peut-être. Mais ce qui reste sûr c'est qu'une telle culture de l'occulte est très répandue. On peut dire qu'il n'y a pas guichet en Algérie qui en manque.
Tertre mentalité qui paie toutefois puisqu'elle permet à nos mendiants d'employés (les preneurs de tchippa, évidemment) de paraître comme des personnages de premier ordre. Ainsi un employé de notre Unique (notre compagnie aérienne) se voit-il comme un pivot central dont tous les voyageurs (les importants commerçants, les passeport-rouges, les pieux hadjis et omristes, les corrompus immigrés et les potentiels harraga martyres des chimères) ne peuvent se passer. Ils ne peuvent se passer de lui ni de la nécessité de le chercher ou de le nommer avec un grand « Si » ou un crocodilien « khouya! ».
La corruption, est-elle une parade pour conjurer les mauvais sorts ?
est-elle franchement et simplement une voie adaptative courte, efficace, à bon marché et toujours donc recherchée et préférée ?
est-ce l’expression masquée de ce divorce entre l'État et le citoyen dont j’ai parlé dans la série d’article « Le luxe indispensable » ?
est-ce l’ignorance ou directement l’absence du sens des lois dans l’esprit de ce ménage de complicité à plusieurs faces : le corrupteur, le corrompu, le médiateur, le témoin indifférent et les autorités qui laissent faire ou qui ne savent pas mettre terme à ce fléau ?
y a-t-il vraiment quelque vrai préjudice ? si oui, envers qui ? Car le complexe de corruption devrait bien profiter à ses promoteurs (le corrupteur, le corrompu, le médiateur, le témoin indifférent et les autorités qui laissent faire ou qui ne savent pas mettre terme à ce fléau ), non ? et alors de quoi nous mêlons-nous puisque ça ne devrait pas nous regarder?
Et puis est-ce vraiment un mal, corrompre ou être corrompu ?
Ce sont ici quelques questions rhétoriques, car nous en connaissons les réponses. Le corrupteur, en corrompant pense s’acquitter du devoir qui lui incombe et acheter le droit qui lui revient. Et c'est plus qu'absurde. Il sait qu’il est lâche mais puisque ça paie…
Mais dans tout ça il fait semblant d'ignorer que ledit devoir n’est rien d’autre que le droit de quelqu’un d’autre (ici l'État en tant que représentant et garant légitime de l’intérêt commun). Il tend à ignorer qu'un droit restera toujours revendiqué et exigé jusqu’à restitution complète, y compris les dommages et intérêts. Il ignore aussi qu’il peut, s’il est vraiment intelligent et s’il ne souffre pas de paresse mentale ou de trisomie, avoir ledit droit qui lui revient sans la bénédiction du corrompu et de toute la chaine des complices et surtout sans devoir faire aucun sacrifice inutile.
Comme tous les idiots, cependant, le corrompu finit par s'appesantir de lourdes dépenses inutiles et ruineuses, payer le double ou le triple de ce que paie un honnête citoyen dans de conditions identiques… comme tous les lâches il finit par mourir autant de fois qu’il répète l'infâme geste de corruption.
Cet état d’esprit (tout un chacun le sait bien et le connaît comme le chemin de sa maison), se traduit par des comportements, des attitudes et par une pseudo philosophie ou art de l’arrangement : puisque je dois donner plus au plus fort (à l'État), pourquoi ne pas m'acquitter d'une telle corvée en payant peu?
Notre espoir est que, de tout temps, il s'est trouvé quelque esprit intègre et courageux (comme aujourd'hui feu Ali Tounsi) qui a dénoncé et dénoncera ce poissonnage moral, où le faible poisson se charge paradoxalement de nourrir les plus forts que lui au détriment de la communauté.
Ces esprits intègres ont toujours fait la chasse aux revenus illégaux exercés par des rois ou des califes sur les princes, par ces derniers sur les marchands… pour arriver à je ne sais quelle abysse de pourriture et d’immoralité.
S'agit-il d'un système mafieux où l’on pratique le racket? Ou bien s’agit-il d’une mendicité que ledit rang noble du prédateur (corrompu) rend noble et prestigieuse ?
À suivre
Smari Abdelmalek