Vues et vécus en Algérie et ailleurs. Forum où au cours des jours et du temps j'essaierai de donner quelque chose de moi en quelques mots qui, j'espère, seront modestes, justes et élégants dans la mesure du possible. Bienvenue donc à qui accède à cet espace et bienvenue à ses commentaires. Abdelmalek SMARI
Pour les gens du terroir dans le Constantinois, d’où sont originaires mon père et ma mère, Yennayer, dont le premier jour marque le nouvel an amazigh, est appelé d’un autre terme. Terme qui est proche mais légèrement différent du premier : Yennar.
Ma maman nous disait, à mes frères et moi, que ce mois est tellement froid et rugueux surtout dans les campagnes pauvres. Mais celui qui en souffre le plus est la chèvre, la pauvre !
Ce mois est tellement gênant pour cette brave mais combien frileuse bête que quand le mois s’en va, elle ne laisse pas de tirer un profond soupir de satisfaction ! et à sa manière, elle s’en venge en lui criant : Tazzzz fik a Yennar ! comme pour dire : « Désormais on va vers un climat plus doux et clément, quant à toi, Yennar, va voir ailleurs si j’y suis. »
Bien entendu, cet anecdote nous renseigne sur les modalités de l’apprentissage des repères temporels et météorologiques par les paysans qu’étaient ma mère, mon père et leurs rejetons ainsi que toutes les gens de leur terroir.
D’où nous vient-il ce legs séculaire ?
Nos aïeux, inspirés par la dimension romaine de berbericus (le nom dérive en fait du latin "ianuarius"), l’avaient adopté avant que les vicissitudes historiques nous ont appris d’autres datations : celle des Arabes d’abord et enfin celle moderne que le berbericus actuel attribue par erreur aux Français mais qui est bien romaine.
Les Français, d’ailleurs comme le reste des peuples de la terre à notre époque, l’ont appris eux aussi des Romains.
Ma mère et mon père et les gens de leur terroir, fêtaient-ils Yennar ? certainement !
Comment ?
Ils fêtaient bien cet évènement en le confondant – bien que païen – avec les fêtes pieuses de Mouloud, Achoura et autres Muharram…
Les enfants (élèves de l’école coranique) ont droit à une vacance d’une journée. Quelle joie, alors ! mais le plus beau pour ces bambins studieux reste l’ambiance de la veille, quand le taleb leur distribue en abondance les dattes sèches que leurs parents offrent au maitre avec quelques sous en plus comme son « dû » ou salaire mérité.
Quant aux adultes, ils manifestent leur joie en changeant tout simplement le diner ! Changer le diner signifiait dans ces temps-là faire un banquet, une fête.
Il ne faut pas être un fin observateur pour voir nos rues et nos places converties pour la circonstance en marchés de volaille et nos gens en marchands : qui vend les poules, qui les dindes, qui les canards…
En fait ce soir-là on égorge un poulet, une dinde si la famille est nombreuse ou un canard. On prépare une sauce bien riche de protéines donc et on mange – différemment aux autres jours simples – à satiété.
Dans le terroir de mon père et ma mère, les délicieuses et grosses bêtes étaient accompagnées du F’tir, une sorte de crêpes (tridet-tajine) passée à la sauce rouge de tomate et de paprika.
On ne connaissait pas encore la salade mais on mangeait les légumes vertes cuites à vapeur dans les couscoussières ou bouillies dans l’eau et assaisonnées à l’huile d’olive.
Quant au dessert il consistait en ceci : les oranges surtout et quelquefois les pommes ou autres fruits de la saison.
Enfin les grands avaient droit à un café bouilli sur les braises et à une veillée de contes et d’intimités un peu prolongée dans la nuit autour d’une tabouna ou d’un grand kanoun.
Il arrive aussi à berbericus, cette nuit-ci, de bien dormir ; puisqu’outre la paix du ventre, il devient bon avec les siens et ce grâce à la baraka de cette fête séculaire.
Il lui arrive même d’effacer volontiers de son cœur toute rancœur et tout ressentiment vis-à-vis de ses proches, comme ça se fait pendant les fêtes pieuses.
Mais puisque chaque manifestation de dimension historique peut avoir son âge d’or que malheureusement le temps et les aléas de la vie n’arrivent plus à leur restituer, mon père et ma mère ainsi que les gens de leur terroir se consolaient en nous racontant :
« Jadis, quand le pays était mieux nanti et plus pourvu, les familles fêtaient Yennar avec un poulet pour chaque membre de la famille, même les nouveau-nés avaient chacun sa part ! Vous vous rendez compte ?! Ah, le bon vieux temps ! Le merveilleux temps de jadis, généreux et pleins de barakah ! » soupiraient-ils nos parents et leurs amis du terroir.
« Le calendrier berbère, écrit Maria Paola Palladino de l’Association italo-algérienne Jawhara, suit le calendrier julien, et donc le premier mois commence le 14 janvier grégorien. Toutefois à cause d’une probable erreur, introduite par certaines associations culturelles berbères actives dans le camps des restaurations des traditions en voie de disparition, aujourd’hui la plupart des Algériens pensent que la date du premier jour de l’an berbère coïncide avec le 12 alors qu’il devrait tomber le 14 du mois de janvier. »
Enfin pour d’autres informations sur cette nouvelle vieille fête algérienne, je vous renvoie, cher/e lecteur/rice, à ce site du quotidien online El-Watan : http://www.elwatan.com/culture/yennayer-2963-la-fete-multimillenaire-revient-11-01-2013-199020_113.php
Joyeux Yennar à tout le monde, mais il ne faut pas oublier que, par souci d’économie historique et anthropologique, il conviendrait peut-être mieux ne pas ajouter d’autres morcellements à notre humanité déjà en pièces à cause des myriades de divisions qui la rongent et la tuent, en souhaitant singer le nouvel an universel.
Et puis Yannar, Yennayer ou janvier c’est toujours de INAUARIUS qu’il s’agit.
Abdelmalek Smari