Chers amis lecteurs, je vous ai parlé auparavant de la grande nostalgie de homo berbericus pour son Andalousie
perdue. Voici un texte qui recueille quelques impressions de voyage d'un ami qui se vante d’être ce même homo et qui réclame la même nostalgie pour le même pays perdu ! Impressions éternelles d'un
voyage éphémère accompli sur les traces d’un grand mythe, d’une nostalgie déchirante, d’un désir, d’une folie…
« Je rêve beaucoup – dit-il, notre homme, et poursuit -, je rêve de plusieurs délices et, entre autres choses, d'être en Espagne.
D'abord je rêve que je ne suis que dans un rêve qui n'a que trop duré et que le moment du réveil ne tardera pas à venir. Ensuite l'obsession insistante des délires et des autres bouffées
d'hallucinations me font voir dans les haillons du temps des habits de soie blanche et fleurée.
Je ne veux plus croire que la nature du temps soit semblable à celle du carrosse d'or qui à peine le voit-on en orient, le voilà aux ébats avec les ténèbres.
Je ne veux pas non plus croire que les splendeurs d'un passé se soient éteintes malgré le lourd poids des jours qui ont réussi à accumuler une telle couche de siècles et changer tant de
trônes et de régents.
Je rêve que le temps s'est arrêté là où l'avaient laissé les génies constructeurs des alcazars et de leurs jardins de roses et d'ombres, des murmures des claires fontaines et de leurs eaux
dansantes de joie, et d’autres gais poèmes dont est capable la matière quand elle sait épouser l’esprit.
Je rêve que les mystérieuses arabesques, formes limpides d'une grâce pure, créatures vierges, sensibilités candides qui suivent dociles et insouciantes les fantaisies des yeux ou de la main d'un
capricieux Maure architecte .
Je rêve que Charlemagne a implanté son palais là où il l'avait mis, laid comme la mort, pour exalter la distance qui sépare les splendeurs de mon astre des ténèbres des barbares d'alors.
Je rêve d'aller crier à tue-tête : merci à l'ibérique péninsule, à ses gens et à ses siècles qui ont préservé mon unique joyau, ma beauté rare que le monde a vue et eue une seule fois.
A chaque fois que je vois du nouveau, je m'arrête pour de longs moments à regarder comme un béat les formes et les couleurs, jouissances de mes yeux.
J'imagine, mieux encore, je vois que l'Alhambra est une propriété qui me revient de tous les droits. Je veux à défaut que la terre parfumée d'Espagne couvre ma dépouille vive et la couvre
morte.
Je fais tant de projets pour apprendre une langue que j'ai toujours haïe et savoir gré à un peuple que j'ai toujours méprisé à cause des sévices infligés aux Maures et des méchants plaisirs de tous
ses Cids.
Je me vois déjà en train d'écrire une très belle lettre en une parfaite langue de Cervantès et de Lorca à M. le consul d'Espagne lui vantant mes qualités et mes talents et offrant mes services à la
culture et à l'histoire de l'Espagne.
Je rêve de découvrir et déchiffrer quelques manuscrits et je me vois déjà faisant partie d'un grand peuple honoré, admiré, chéri ; lesquels honneur, admiration, amour le débordent pour arriver
jusqu'à moi, me réchauffer, me secouer, tels les dards d'un soleil puissant, vainqueur des orages et des nuages noirs, me noyer enfin dans le tumulte de la vie et les flots du bonheur.
Je rêve d'une maisonnette non pas au Canada mais dans un espace qui accepte de devenir mon bien propre. Une maisonnette avec des porches et des arcs ciliaires et des forêts
de colonnes et des clairières de patios avec des fontaine candides, parées de couleurs d'iris vers lesquelles tombent à genoux des rayons de soleil demandant à l'ombre pardon et pitié.
Une maisonnette qui me permette de retrouver une seconde fois le giron de ma mère que j'ai tant aimée, que la vie m'avait donnée et dont le temps - l'infâme, l'impitoyable temps - m'en a privé sans
m'en avoir demandé mon avis.
Je rêve que mes poèmes sont des rayons de bonheur et que ce bonheur soit une houppelande de soie brodée de dentelles qui couvre mon Andalousie. Ou plutôt je rêve, de ne pas être poète, mais un
simple mortel aux désirs sauvages que l'œil d'un poète me scrute avec l'envie follement attendrie pour l'insouciante jouissance d'une crinière qui galope aux quatre vents vers les pays lointains où
ardent les désirs avaleurs des objets d’amour.
Je rêve des roses de l'Alhambra qui me baignent de leur rosée pendant que l'aube chante mon ivresse et le reste du chemin.
Je rêve de descendre par une journée torride vers la fraîcheur d’un Guadalquivir avec quelque vierge Sévillane à éteindre les cuisants sens qui ne meurent que pour ressusciter plus vifs encore et
plus insolents.
Je rêve de l'ombre donc et de la symphonie de l'eau qui murmure et répète les prières sibyllines inscrites, en or, ciselées sur le marbre et les matériaux qui défient sereinement la mort et se
moquent du passage des jours et des empires.
Je rêve de me promener dans l'éternel printemps des jardins d'un alcazar auréolé d'une couronne de fleurs et vêtu de pétales de roses là où chantent les aurores.
Je rêve de m’adonner, libre, à des jeux interdits qui sentent l’innocence comme les touffes de romarin qui embaument les pelouses andalouses.
La seule chose dont je n'ai pas rêvé est d'être chassé de ce paradis. »
Avis : Chers lecteurs, la 3e partie de « Berbericus homo de zaouias et de superstitions, de despotismes, de vertus… égoïstes et des 17 vices » sortira le 3 février, au lieu du 1er. Je vous remercie
pour votre compréhension.
Smari Abdelmalek