Vues et vécus en Algérie et ailleurs. Forum où au cours des jours et du temps j'essaierai de donner quelque chose de moi en quelques mots qui, j'espère, seront modestes, justes et élégants dans la mesure du possible. Bienvenue donc à qui accède à cet espace et bienvenue à ses commentaires. Abdelmalek SMARI
Ou de la vraie force de l'Amérique
Quand l’Amérique toussote, c’est en quelque sorte le monde entier qui se prépare à prendre la parole
Chères lectrices, chers lecteurs je suis en train de lire un livre très intéressant qui traite de la culture, la culture dominante de notre époque historique.
Un livre sorti chez Flammarion il y a à peine une année qui est encore frais et il restera toujours frais tant que la culture gardera sa valeur et son importance dans la vie des hommes : individus et nations confondus.
C’est un livre qui parle donc de notre culture moderne. Notre, car il n’y a déjà presque personne sur la face de la terre à laquelle cette culture soit encore étrangère, presque personne qui ne s’en sente concerné.
Cette culture est appelée de toute façon à relever le défi de la globalisation, en devenant justement elle même globale, en acquérant des proportions à la mesure et à la hauteur d’un tel défi.
Il se trouve que pour le moment le seul pays capable de faire vaincre à cette culture sa bataille de la globalisation est l’Amérique.
Et ce n’est pas certes parce que l’Amérique est une superpuissance militaire qu’elle domine les cultures du monde (même s’il lui arrive de voyager avec les bombes, les caramels, les tomahawks et la coca-cola…).
Mais c’est grâce à sa capacité économique, à son prestige, à son savoir faire, à sa volonté de faire la locomotive de notre époque, et surtout aux apports des différentes ethnies et cultures (parvenues de tous les coins de la planète) qui constituent le tissu social de cette Amérique.
En fait, de par leurs origines diverses, ces mosaïques de peuples et de cultures qui forment la nation américaine se trouvent à représenter d’une manière ou d’une autre tous les peuples de la planète.
Quand l’Amérique toussote, c’est en quelque sorte le monde entier qui veut prendre la parole.
L’Amérique c’est un peu la capitale du monde : elle est grande, puissante, cosmopolite, arrogante et importante, comme Alger pour les Algériens ou Paris pour les Français.
Cette grande culture globale, commune à tous les habitants de la planète, l’auteur du présent livre l’appelle "culture mainstream".
Il est écrit à ce propos à la quatrième de couverture :
« Mainstream [’meinstri:m] adj. - mot d’origine américaine: grand public, dominant, populaire. L’expression « culture mainstream » peut avoir une connotation positive, au sens de « culture pour tous », ou négative, au sens de « culture hégémonique ». Un film mainstream: qui vise un large public; un média mainstream: media de masse; un produit mainstream: qui se vend massivement; « il veut être mainstream » : il veut plaire à tout le monde. »
Bonne lecture !
Extrait du Chapitre 8 « USC, l’université du mainstream »(*)
Pour comprendre la puissance des industries créatives aux Etats-Unis, dans le cinéma comme dans la musique, l’édition ou Internet, il faut s’intéresser aux universités américaines.
Il y a en Amérique plus de 4 000 établissements d’enseignement supérieurs dont 1 400 universités, et le pays leur consacre environ 3 % de PNB quand, en Europe, l’enseignement supérieur est deux fois moins riche, en moyenne, avec environ 1,5 % du PNB.
Pourtant, le système universitaire américain n’est pas, contrairement à ce que l’on croit souvent, un marché, ancré dans le secteur privé : 77% des universités américaines sont publiques, généralement financées par l’un des cinquante Etats (c’est le cas d’UCLA, de Berkeley ou de l’Université du Texas à Austin).
Les autres établissements ne sont pas non plus des entreprises a visée commerciale, mais des associations à but non lucratif (Harvard, Yale, Stanford, USC).
Toutes ces universités, qu’elles soient publiques ou à but non lucratif restent cependant très onéreuses pour les étudiants qui doivent s’acquitter de frais de scolarité exorbitants, entre 20 000 et 40 000 dollars par an par exemple a USC (sans la pension, selon les diplômes et le niveau d’études).
Les étudiants américains ont cependant accès à des bourses et des emplois rémunérés (« work-studies »), ce qui explique le paradoxe des universités qui sont à la fois plus chères et socialement plus diverses que leurs équivalentes européennes.
82 % d’une classe d’âge entre dans l’enseignement supérieur aux Etats-Unis (quand ce pourcentage stagne a 59 % au Royaume-Uni, 56% en France et 48 % en Allemagne).
En revanche, si l’accès à l’université est plus ouvert aux Etats-Unis qu’ailleurs, le nombre d’étudiants qui sortent diplômés au bout de trois ans est en déclin, notamment dans les universités publiques et les scolarités courtes des « community colleges » (moins de 50 % en moyenne actuellement, soit l’un des plus mauvais taux parmi les pays industrialisés, seule l’Italie faisant encore moins bien). Les graduate schools, en deuxième et troisième cycles, ont de meilleurs résultats.
Au-delà des statistiques, toujours difficiles à comparer, un point indiscutable est la vitalité culturelle des campus américains qui hébergent 2 300 salles professionnelles de théâtre et de musique, 700 musées d’art ou galeries professionnelles, des centaines de festivals de cinémas, 3 527 bibliothèques (dont 68 avec plus de 2,5 millions de livres, dont celle d’Harvard qui est la seconde au monde après la bibliothèque du Congrès), 110 maisons d’édition, environ 2 000 librairies, 345 salles de concerts de rock, plus de 300 radios universitaires et autant de labels de musique indépendants. Toutes choses qui créent un environnement favorable à la création et des interactions constantes avec les industries créatives comme à USC.
« Nos enseignants sont uniquement des professionnels de l’industrie du cinéma et de la télévision, poursuit Elizabeth Daley, et les étudiants sont incités à travailler au sein de ces industries en permanence. Si vous venez à USC, c’est que vous aimez Hollywood. Vous n’en avez pas peur, vous n’êtes pas réticent à travailler pour un studio : au contraire, c’est votre but. Et ici, ce sont les professionnels qui viennent à vous. Parfois, un étudiant obtient tout à coup, au cours de sa scolarité, parce qu’il a été repéré par un de ses professeurs, un stage ou un job chez Disney ou chez Dream Works : alors, on le laisse partir, pour travailler, et puis on le laisse revenir par la suite, au bout d’un an. Nous sommes très souples.
L’école de cinéma de USC, qui compte I 500 étudiants, n’est pas une école d’acteurs. Les plus réputées sont ailleurs, à Harvard, à Yale, Columbia. Les spécialités de USC concernent plutôt le business, la réalisation, le numérique, le montage et le son. Dans le seul département « production de films », il y a l50 professeurs, dont 50 à temps plein, pour seulement 600 étudiants.
En visitant le campus, on a une idée des moyens à la disposition des élèves qui ont chacun leur bureau personnel, accessible 24 heures sur 24.
L’université est organisée comme un véritable studio, mêlant constamment la théorie et la pratique, et mobilisant les ressources internes pour réaliser de véritables films : l’étudiant en production coordonne un projet que tourne l’étudiant en réalisation, dans lequel jouent des acteurs professionnels, et que filment les étudiants cameramen, etc.
Techniquement, tous les équipements des studios, depuis les salles de montage, jusqu’aux mix-rooms, en passant par les editing rooms, sont ultramodernes; ils ont été offerts à USC par Sony, Hewlett Packard ou IBM.
Sur la gauche du campus, les bâtiments se succèdent : la Steven Spielberg Music Scoring Stage (salle d’enregistrement de musiques de film), le Carlson Television Center, le Jeffrey Katzenberg Animation Building (un studio réservé aux films d’animation), l’USC Entertainment Technology Center et, un peu plus loin, la Stanley Kubrick Stage.
Au centre, près des bâtiments de la direction, il y a le « magasin » où les étudiants peuvent emprunter librement et sans autorisation l’une des 80 cameras Arriflex 16 mm, l’une des 50 cameras Mitchell 16 mm, ou 1’une des 500 cameras digitales.
Au cœur du campus, fierté des étudiants, il y a le nouveau bâtiment portant le nom de George Lucas. En offrant 175 millions de dollars en 2008 pour construire ce bâtiment prestigieux, M. Lucas, tel Luke à la fin du premier Star Wars qui réalise son destin en devenant un ]edi, a été promu parrain principal de USC.
Pour expliquer ce don philanthropique de grande ampleur, aussitôt qualifié à Los Angeles de « blockbuster gift », George Lucas a dit simplement : « J’ai découvert ma passion pour le cinéma dans les années 1960 lorsque j’étais étudiant à USC, et mes expériences sur ce campus ont modelé toute ma carrière. Je suis très heureux aujourd’hui de pouvoir aider USC à continuer à former les cinéastes de demain. comme USC l’a fait pour moi. »
(Outre Lucas, les studios Warner Bros., Fox et Disney ont également financé ce bâtiment, comprenant salles de cours et de montage, à hauteur de 50 millions de dollars.)
Plus loin sur le campus, je visite la Doheny Memorial Library, la bibliothèque de USC, qui rassemble les archives de nombreux cinéastes, producteurs et, par exemple, l’intégralité des archives de Warner Bros. Beaucoup de bâtiments sont massifs, ils ont gardé un peu de la grandeur des jeux Olympiques de 1984 qui ont eu lieu notamment sur ce campus.
Au département d’écriture de scenarios, Jack Epps Jr., son directeur, lui-même un professionnel (il a fait le scenario de Top Gun) me reçoit.
« Ici, on apprend aux étudiants à être des écrivains, avant de devenir des scénaristes. Il n’y a pas de règles pour écrire un bon script, nous aidons à la fois les étudiants a développer leurs techniques et en même temps nous les laissons très libres. »
A USC, la formation est très interdisciplinaire, et les futurs scénaristes sont également formés à la production et à la réalisation afin qu’ils se rendent compte, m’explique ]ack Epps, de ce que signifie concrètement tourner un film qu’ils ont écrit. Leur travail principal consiste à produire des pitchs de télévision et des pilot-es de cinéma, comme dans le monde réel.
Avec sérieux, et un brin d’humour, Jack Epps ajoute : « Nous avons même un cours spécialisé dans le "re-writing". Les étudiants réécrivent les scenarios des autres étudiants qui n’ont pas été jugés bons. Ça peut servir, car à Hollywood, le "re-writing" est un métier à part entière. »
Les scénaristes des séries Grey? Anatomy ou des Sopranos, parmi d’autres, sont d’anciens élèves de l’université et ils interviennent régulièrement comme professeurs à USC.
Les films réalisés sur le campus sont innombrables et tous les examens et diplômes consistent en une présentation d’un produit culturel professionnel achevé.
Les etudiants obtiennent des budgets pour tourner ces films : en moyenne, chacun reçoit 80 000 dollars pour faire un film, financé par le département « business » de USC où les étudiants-producteurs collectent des fonds pour les étudiants-réalisateurs.
La plupart de ces films sont tournés avec des acteurs professionnels et, grâce à un bureau appelé Festival Office, que dirige sur le campus un agent de la William Morris Agency , ils sont projetés dans les festivals professionnels, notamment a Sundance, l’alternative « indie » à Hollywood.
« Chaque année, je reçois des centaines de films provenant de ces écoles de cinéma, des films collectifs ou très personnels, qui racontent des histoires étonnantes et différentes, souvent écrites par de jeunes latinos, de jeunes noirs, des gays. Il est là le sang neuf du cinéma américain », confirme Geoffrey Gilmore, alors directeur du festival de Sundance, interrogé à Los Angeles.
Ces passages entre l’université et le monde culturel réel sont permanents, dans le cinéma, mais aussi dans la musique ou l’édition.
Lorsqu’on visite USC ou les écoles concurrentes, comme UCLA et Tisch School de NYU, on est frappé pat l’énergie, l’innovation constante et la créativité des étudiants.
L’une des clés du système culturel américain est la multiplication des passerelles entre ces universités et la culture underground qui les entoure : les petites galeries d’art des universités, les centaines de radios et de télévisions libres sur les campus, les milliers de festivals de courts métrages à travers les Etats-Unis, les showcases du théâtre expérimental d’off-off Broadway, les myriades de clubs et de cabarets plus ou moins louches avec leurs « open mic sessions » ou les ateliers de « creative writing » dans l’Arts incubator tout proche.
Partout, près des campus, j’ai vu des cafés « arty » qui proposent des projection de films ou des restaurants végétariens avec, dans une arrière-salle, des concerts alternatifs de rock hybride ou de rap latino. Souvent j’ai découvert des petits magasins qui vendent des DVD amateurs ou des librairies qui, pour survivre, se sont transformées en coffee-shops et proposent des lectures de scénarios ou de poésie.
Toute cette vie artistique est baptisée « street-level culture », mêle les genres et on a du mal à y distinguer le professionnel de l’amateur, le participant de l’observateur, l’homogénéité de la diversité, et l’art du commerce.
Sur tous les campus, j’ai vu ce dynamisme culturel époustouflant : la culture y est « messy » (bordélique), « off hand » (désinvolte), « Fuzzy » (confuse) et toujours « indie » (indépendante).
Le marché, pourtant, sait parfaitement récupérer ces niches culturelles et communautaires : en dépit, peut-être, de leurs intentions, beaucoup de ces étudiants « indépendants » contribuent en fin de compte à nourrir les industries créatives, ils seront récupérés par le commerce et, à partir d’un art authentique et a but non lucratif, finiront par produire une culture mainstream.
L’Amérique nous prouve qu’il est souvent difficile d’être juste à moitié commercial.
(*) - « Mainstream – Enquête sur cette culture qui plaît à tout le monde » de Frédéric Martel - Editions Flammarion, 2010
Choisi pour vous par : Abdelmalek Smari