Vues et vécus en Algérie et ailleurs. Forum où au cours des jours et du temps j'essaierai de donner quelque chose de moi en quelques mots qui, j'espère, seront modestes, justes et élégants dans la mesure du possible. Bienvenue donc à qui accède à cet espace et bienvenue à ses commentaires. Abdelmalek SMARI
Clown-général
Continuez à raconter l’histoire
l’histoire des peuples vaincus,
vos clients succulents, vos sujets,
en vous faisant payer cher
avec l’une ou l’autre
des matières, brute ou grise,
ou toutes les deux à la fois.
Continuez à taire les autres
Continuez à raconter l’histoire
de la silhouette d’un clown nu,
élevé au grade de général,
que vous avez habillé et armé
de la tête jusqu’aux pieds
pour lui faire ensuite un portrait,
relique étrange, papier de tournesol
que noircit votre tertre théorie
sur la solidarité humaine.
Aem Smari
« Même pas le mercure du baromètre est aussi variable que ces catégories de voyageurs qui, quand le navire fend l’onde superbement, ils pâlissent d’admiration et ils jurent que le commandant est le plus grand de tous les commandants jamais existés, et ils proposent même une souscription pour lui offrir une plaque souvenir; mais si le lendemain la brise tombe et les voiles pendent inutiles ils hochent la tête et avec des lèvres serrés ils sifflent doutant que le commandant soit bien un marin, et ils ajoutent d’en douter profondément. »
Charles Dickens "Amérique"
Ça me ferait plaisir de savoir…
« p.s. : Ça me ferait un grand plaisir de savoir ce que tu penses de tout ce qui est en train de se passer en Afrique du nord, dans ton pays! » Tu me demandais, chère Stefanie.
Merci pour ton intéressement… mais je ne sais pas malheureusement si je suis en mesure de répondre à ton expectative…
Sache seulement que, moi, je ne connais pas ces pays. J’ai été quatre ou cinq fois pour deux ou trois jours, quatre à la limite et de passage, à Tunis.
De la Libye je savais seulement que c’était un pays arabe avec à son sommet, comme chef de l’Etat et leader suprême de la révolution de 1969, le colonel Kadhafi.
En Egypte, je n’y ai jamais été. J’avais par contre lu pas mal de sa littérature. D’ailleurs la littérature arabe est, presque, littérature égyptienne et vice versa.
Du Maroc, j’ai vu ses deux capitales en deux, trois jours. Imagine-toi un peu l’idée que je peux avoir eu de ce pays et de ses habitants en moins de 24 heures, si nous excluons le sommeil!
De l’Algérie, par contre, je sais ce qu’un citoyen politisé puisse savoir du propre pays, c’est-à-dire peu de choses et en plus imprécises; car la réalité reste plus opaque et complexe même si l’arrogance de l’esprit humain tente de faire croire qu’elle peut nous en définir la nature, en dévoiler les mystères et en simplifier le grouillement des complexités et des différentes imprévisibilités.
Au-delà de cette difficulté méthodologique, il en existe une autre, physique celle-ci: il y a 20 ans que je me suis établi en Italie. Il y a 20 ans que je me suis éloigné de mon pays et le peu de jours, 20 à la limite, que j’y passe une fois l’an, ne me permettent pas de suivre de manière précise et pertinente les changements des coutumes et l’évolution de la conscience politique de mes concitoyens.
En outre je ne voudrais pas jouer à l’expert, comme on voit dans ces jours en tv: des gens qui ne savent rien de ces pays mais qui avec effronterie font des (pseudo) analyses, avancent des (pseudo) hypothèses et concluent en décrétant des sentences et des prophéties si inexorables que la course du temps, le "renaître" du soleil ou l’attraction gravitationnelle!!!
Pour ce qui me concerne, je tâcherai d’exprimer mes impressions personnelles avec les réserves que j’ai formulées ci-dessus comme prémisses.
Maintenant je te fais une question, pour compléter et mieux expliquer ma réponse: Combien de siècles l’Allemagne, ton pays, a-t-elle mis pour conquérir d’une manière "définitive et irréversible" son progrès social, économique et politique?
De l’unité de l’Allemagne jusqu’à nos jours ils sont passés déjà deux siècles environ. Mais déjà avant cette période même l’Allemagne, la grande Allemagne, avait un Fichte, un Goethe, un Hegel et bien d’autres grands esprits de la science, de l’art, de la politique, de l’économie, de l’histoire…
Maintenant je t’invite à aller chercher dans les pays de l’Afrique du nord les grands hommes et m’en citer au moins un.
Je suis sûr que tu ne trouveras personne sauf quelque lutin qui sache à peine sa propre langue, des malheureux et évidemment des martyrs, beaucoup de martyrs.
Et puis il n’est pas dit que l’évolution file toujours toute droite et lisse, sans arrêts ou régressions dramatiques parfois, malgré la présence historique ou effective de cette souche de grands hommes, de ces esprits universels.
« Rappelons-nous, écrit l’Algérien Rachid Mimouni, que c’était la démocratie de la république de Weimar à permettre l’accession de Hitler au pouvoir. »
Cette introduction, chère Stefanie, pour te dire que je ne crois pas beaucoup en ces soi-disant révolutions.
Avant de continuer, je t’invite à réfléchir sur ces citations :
1) Jean-Noël Ferrié écrit dans le quotidien Le Monde du 15-03-11 « Hosni Moubarak n’a pas été chassé du pouvoir sous la pression d’une opposition politique crédible, mais par une agrégation de mécontentements qui a pris corps après la chute de Ben Ali en Tunisie. Sans autre contenu idéologique. »
…
« La transformation en porte-parole des manifestants de la place Tahrir de l’ancien directeur général de l’AIEA, Mohamed El-Baradei, qui, jusqu’à l’an passé, ne s’était pas préoccupé de politique égyptienne, montre à quel point le pays ne disposait pas de figure d’opposant crédible. » ajoute Jean-Noël Ferrié.
2) « Il était devenu banal, écrit Alain Gresh (voir le Monde Diplomatique du mois de mars 2011), dans les couloirs de l’Elysée comme dans ceux des chancelleries occidentales, de ricaner de la « rue arabe ». Fallait-il vraiment tenir compte de ce que pensaient ces quelques centaines de millions d’individus dont on ne pouvait attendre, au mieux, que des slogans. »
Et pour cause !
Non, les événements en cours dans l’Afrique du nord ne sont pas des révolutions, pour la simple raison que les gens qui ont amorcé et mené le mouvement de rébellion ne s’étaient pas préparés et ils n’étaient pas non plus convaincus du résultat. Ces évènements sont certes des mouvements mais des mouvements browniens.
Au début les révoltés pensaient…
Au début les révoltés pensaient tout au plus conquérir si ce n’est des droits modestes, du moins des promesses comme d’habitude et des mensonges trompeurs.
Les révoltés n’étaient pas prêts ni matériellement ni stratégiquement à mesurer la portée de leurs actions ni à savoir que dans de brefs délais ils auraient effrayé et fait fuir du pays leurs dictateurs. Ils n’y voyaient pas, les pauvres, la main des States et de l’innocent ange Obama.
Ce ne sont pas des révolutions parce que ces gens n’avaient pas de projet de gouvernement, ni étaient eux-mêmes prêts à prendre la relève et à remplacer dans le « cas où » leurs gouvernements déchus.
Il ne faut pas être un Bismarck ou un Léo Strauss pour comprendre que les gens que nous trouvons aujourd’hui au sommet de l’État tunisien ou celui de l’Egypte, après les révoltes des derniers mois, ne font pas partie des révoltés mais ils sont les mêmes hommes qui jusqu’à hier faisaient partie de l’ex nomenclature qui tournaient autour des ex dictateurs, les obéissaient et servaient avec un zèle rare leurs régimes.
Il est évident que, opportunistes et caméléons comme ils sont, ces serfs des dictateurs étaient prompts à tourner la veste et à montrer qu’ils n’avaient rien à voir avec le régime ancien.
La révolution est, fondamentalement et avant toute considération, une prise de conscience historique;
elle est la volonté et la capacité lucide de toutes les couches précaires d’une classe majoritaire et opprimée de combattre une poignée d’hommes de pouvoir qui constituent une classe exploiteuse et oppressive;
elle est ordre dans les idées et dans les actions;
elle est une entreprise sérieuse porteuse d’espoirs et de prospérité non du chaos;
elle est un ciment de militantisme politique qui devrait lier ensemble les opprimés et leur donner unité et force;
elle est un projet de lutte et de société conçu et réalisé par les enfants de la nation même en révolte;
elle est préparation des hommes de la relève;
elle est un déracinement de tous les hommes du vieux régime et de toutes leurs pratiques d’exploitation et d’oppression;
elle est une lutte contre les exclusions sociales et toute forme de ségrégation de couleur, de sexe, de classe, d’âge, de langue et de confession;
elle est une lutte pour le respect des droits de la majorité (et de toute autre minorité) non pas pour remplacer une minorité exploiteuse par une autre et donner ainsi un nouveau souffle au système d’injustice et d’oppression…
Personnellement je ne crois pas que les révoltes des Tunisiens, des Egyptiens ou actuellement des Libyens jouissent de ces critères de "révolutionnité".
Puis le cas de la Libye a enlevé le voile qui couvrait l’implication des States: c’est le même Obama qui s’est révélé un clown, un ogre, un terrible serviteur de la guerre et de la mort… c’est lui le vrai fauteur de ces soi-disant révolutions arabes et ce pour servir le Capital.
Il y n’y a pas donc de révolution en ce sens que, dans l’âme et dans la pratique de ces populations en révolte, il manque un arrière-plan culturel,
il manque encore quelque siècle de temps (il n’est de toute façon pas encore temps),
il manque encore une vision historique et géostratégique,
ils manquent encore les instruments épistémologiques et la sérénité méthodologique nécessaires pour s’orienter dans l’histoire,
ils manquent encore une vision unie, une autonomie, un projet social original et clair et des moyens logistiques pour pouvoir réaliser tels programmes et miracles.
Puis il y a trop di divisions et de factions entre ces dits révolutionnaires ! signe de chaos, d’incohérence, d’irresponsabilité, d’inconscience, d’immoralité… !
Il a y eu finalement dans le passé récent ou lointain de ces pays plusieurs tentatives et formes de ces insurrections mais comme nous voyons elles n’ont rien porté de concret; du moins les progrès espérés ou rêvés ont été insuffisants ou de peu d’importance.
Mais il y a eu quand même, relativement aux ambitions de ces peuples et à leurs potentialités réelles et concrètes, des changements astronomiques (!). Changements qui demeurent invisibles cependant, vu l’immensité des réalisations qui restent encore à faire: comme le fait de marcher pour un nouveau-né, comme le fait de parler, comme le fait de grandir:
Oui, comme les étapes de croissance de l’enfant qui tout en grandissant, et malgré toutes ses métamorphoses radicales et extraordinaires, reste encore enfant.
Et c’est bien insensé que de vouloir comparer les performances de cet enfant en croissance (sa capacité de marcher, son acquisition de la langue, des règles sociales, de la force physique et des capacités mentales…) avec celles d’un adulte déjà fait, les juger et y voir ensuite une imbécilité chez l’enfant…
Ces événements, ça va de soi, ne seront jamais perdus de la mémoire de ces peuples.
Ces événements seront capitalisés et sommés aux autres expériences déjà acquises et aux autres crises de croissance déjà vécues.
Ces événements doivent donc être considérés comme des expériences de vie avec de beaux jours et d’autres misérables.
Combien de fois l’enfant tombe avant d’apprendre à marcher!
Combien de rues doit faire un Etranger en Italie pour apprendre la langue italienne décemment!...
Au long de leurs chemins historiques quelques-uns de ces pays y laissent la ghirba, d’autres résistent mais jamais ils réussissent tous et à tous les coups.
De toute façon dans la vie d’un peuple il faut beaucoup de secousses ou de révoltes historiques pour que ce peuple réussisse à capitaliser l’expérience des décades et les tribulations des siècles qui devraient propulser directement ce peuple dans l’âge mûr…
A suivre
Abdelmalek Smari