Vues et vécus en Algérie et ailleurs. Forum où au cours des jours et du temps j'essaierai de donner quelque chose de moi en quelques mots qui, j'espère, seront modestes, justes et élégants dans la mesure du possible. Bienvenue donc à qui accède à cet espace et bienvenue à ses commentaires. Abdelmalek SMARI
« Le fait que ce que je ne suis pas soit loin de moi n’est pas si
étrange ; par contre quelle est la chose la plus proche de moi que
moi même? Et voilà, je ne peux comprendre la force de ma mémoire,
quoique je ne puisse pas dire moi-même en dehors d’elle. »
Aurèle Augustin – Confessions
A Rome, toute !
« Tu n’as pas idée, ai-je dit un jour à l’une de mes collègues, de ce que Saint Augustin est ignoré par les Algériens ! »
« C’est évident, me dit-elle ; il était catholique et vous êtes musulmans ! »
Sa réponse me rappelle, par sa superficialité, la réponse d’un enseignant de Français à l’école primaire pendant un cours de recyclage qui - à la question « Qui était Ben Khaldoun ? » - répondit : « Un docteur au Coran ! » ‘‘quelle idée ! aurait-il ajouté ’’
Voilà ce qu’on voudrait faire d’Augustin : "un docteur en Bible" ! et c’est en tant qu’homme d’église, et seulement d’église, qu’on nous le présente et que les Algériens le perçoivent ! Et c’est pour cette raison qu’il ne les concerne pas.
Et du reste, n’est-ce pas ce que se fait pour tous les peuples qui se réclament tambours battant de l’islam : s’ils ne sont pas des docteurs au Coran, ils sont cheikhs, imams ou prêtres !
Cette anecdote me fait venir à l’esprit la réponse que me donna un jour un jeune homme à qui j’avais demandé des informations sur un château que la négligence et notre ignorance, en plus de l’action corrosive des éléments, abîmaient et continuent à abîmer : « C’est un bâtiment romain ! trancha le jeune homme. »
En réalité il s’agit d’un monument architectural arabe beau et fort précieux. Et, par surcroît, c’était un des châteaux qui avait accueilli comme hôte, Ibn Khaldoun, le précurseur illustre de la Sociologie "ante litteram".
Ces monuments historiques, entre autres, si nous excluons les ruines romaines, sont très rares en Algérie parce que la France coloniale était plus attentive à l’héritage romain qu’à celui d’origine arabe ou Turque.
Les stratèges de la colonisation se sont précipités à achever ce que les éléments n’avaient pas encore fini d’abîmer.
« Il faut faire oublier à ces macaques d’Indigènes qui ils sont ! » prêchaient à cor et à cri ces stratèges funestes.
Et pourtant ils auraient pu être plus gagnants encore s’ils avaient su être un tantinet plus justes ; car la richesse matérielle ou morale d’une terre qu’ils avaient conquise, et qu’ils voudraient à jamais posséder, aurait pu être la leur aussi !
Mon maître de Français de l’école primaire m’a avoué récemment dans un mail qu’enfant – à l’époque de l’Algérie dite française -, il mourait d’envie de participer à la procession qui avait lieu tous les ans à Annaba pour rappeler Saint Augustin.
Avec quelle nostalgie me décrivait-il la gravité et la force de ce désir jamais assouvi, malheureusement, car mon vénérable Taleb était alors petit et sa mère le lui interdisait !
« Pourtant, m’écrivait-il, je mourais d’envie d’y participer, marqué par l’ambiance solennelle qui se dégageait au passage des croyants qui chantaient durant tout le parcours des chants à la gloire de Dieu et de Saint Augustin. »
La présence de Saint Augustin se sentait vivement donc, mais seulement dans les cœurs des Européens chrétiens qui habitaient l’Algérie.
Raisons d’une exclusion
Pour les Algériens de souche, Augustin ne leur appartenait pas pour la simple raison qu’il était accaparé par le champ adverse, l’occupant et usurpateur de leur terre et de partie de leur mémoire ; Augustin était une affaire chrétiano-chrétiennes, quoi.
Cela se passait dans le temps où il fallait, selon les enseignements du maréchal Bugeaud, « empêcher aux Arabes [Algériens indigènes] de semer, de récolter, de paître… » ;
Cela se passait dans le temps du « Code de l’indigénat » dont la visée stratégique fut de déposséder les Algériens de tout bien moral ou matériel et de les intimider quotidiennement (Abdallah Laroui in "Histoire du Maghreb" II, Petite collection Maspero, Paris1975).
A cette amputation mémorielle s’ajoute une exclusion de type sémantique où l’Indigène, via le langage mystificateur, se trouve taxé d’une différence irréductible, incompatible avec le reste de l’humanité, avec ces Chrétiens qui partageaient alors avec lui sa terre, son histoire, son sort et sa quotidienneté.
L’Indigène est du coup ramassé et fourré pêle-mêle dans un sac qu’on ficelle et sur quoi on écrit : « Autre, différent, intouchable, inapprochable… »
« Nous - affirme en effet Mgr Teissier -, nous avons une idée et une expérience de l’agir de Dieu par la grâce qui n’existe pas dans la pensée musulmane. L’islam Aussi sait que l’homme, pour être fidèle à Dieu, a besoin d’être guidé par Dieu, mais il n’y a pas une réflexion élaborée sur la grâce et la liberté, qui est un sujet spécifiquement chrétien. »
Ici avec cette affirmation de Teissier aussi bien catégorique qu’injustifiée nous touchons le fond de l’exclusion de homo islamicus entier de la sphère de l’humain spirituel !
C’est une affirmation fausse ou du moins injustifiée puisqu’elle ignore le mot « Fadl » qu’on peut tranquillement traduire et définir comme équivalant le mot « grâce ».
Cette gaffe épistémologique, de la part d’un homme de dieu, d’un homme de prétendu savoir universel, ignore de même les réflexions philosophiques élaborées par un Ghazali, entre une pléiade de penseurs et philosophes musulmans.
Ainsi se complète le tableau de la méfiance totale de la part de Berbericus vis à vis de l’occupant de jadis et du mystificateur d’aujourd’hui.
Cette attitude ad escludendum peut être une - mais pas la seule - explication de l’ignorance que les Algériens – dans leur presque totalité – affichent aujourd’hui vis à vis de la mémoire et de la personne de leur illustre aïeul.
Toutefois l’on constate la naissance, même tardive, d’un certain intérêt de la part des Algériens pour leur patrimoine culturel de l’époque chrétienne.
Est-ce signe d’un complexe d’aliénation ou s’agit-il d’une vraie prise de conscience?
Augustin peut être comparé aux pyramides de l’Egypte et sa culture aux richesses historiques de ces pyramides qui étaient restées longtemps méconnues à leurs héritiers légitimes.
Ou bien est-ce qu’il nous fallait les yeux des autres pour que nous puissions enfin nous rendre compte du génie algérien… ignoré par les Algériens ( !) ; pour que nous puissions enfin connaitre la valeur de notre trésor de savoir et de sagesse, et en éprouver orgueil et fierté ?
Les pionniers de la reconquête de cette partie de l’histoire de l’Algérie semblent nous dire: « Il faut se débarrasser de chaque prétexte pervers et de chaque complexe de nous sentir étrangers à nos écrivains et philosophes anciens, nos seules pyramides.
L’histoire d’Algérie, arbre Algérie
L’histoire constitue les racines de l’arbre Algérie ; et les habitants actuels en sont le feuillage et les fruits dans la présente saison.
Compter d’une façon ou d’une autre sur notre histoire pour aller y puiser de l’eau et des aliments est une nécessité vitale pour les feuilles, les fleurs et les fruits que nous sommes ; même si nous sommes loin de cette origine et de cette source nutritive, perchés comme nous sommes là-haut dans le ciel de l’instant présent.
Les colonisateurs ont trouvé les moyens pour couper ce mouvement d’aller et retour avec leur intox et leurs mystifications, avec leurs crachats de mépris du type :
« Vous n’êtes qu’une mosaïque de tribus et de clans hostiles les uns aux autres !
Vous n’avez pas un État!
Vous n’avez pas le sens de la citoyenneté !
Vous n’existez que grâce à nous et par notre grâce !
Vous n’avez pas et vous ne saurez avoir le sens de l’histoire… ! »
Et nous ? nous avons cru à ces crachats, à ces mensonges, à leurs mystifications! Le malheur c’est que cette aliénation, cette croyance plus bête que naïve n’épargne aucun Algérien.
Et que l’on ne pense pas que les gouvernants algériens soient descendus de quelque Olympe pour gouverner leurs concitoyens ; ce serait bête.
Car à l’instar de leurs compatriotes, nos gouvernants sont eux aussi enfants de la même terre et de la même histoire, notre terre et notre histoire.
Eux aussi subissent les mêmes inhibitions, les mêmes fautes, les mêmes faiblesses, les mêmes clichés et autres lieux communs…
Peut-être que c’est justement le problème de l’éloignement de la propre histoire ancienne qui produit une identité schizoïde et ambiguë, tantôt refusée tantôt hosannée.
Notre malheur viendrait de notre embarras devant cet héritage anomal, incompris, mal assumé donc puisqu’il est entendu comme doublement étranger : romain et de surcroit chrétien catholique dans un pays complètement arabisé, complètement islamisé !
A suivre
Abdelmalek Smari
* Conférence faite à l’occasion de la semaine augustinienne, le 1er septembre 2007, à Cassago Brianza (Cassiciacum) Varèse pour l’association Historique-culturelle St Augustin.