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Vues et vécus en Algérie et ailleurs. Forum où au cours des jours et du temps j'essaierai de donner quelque chose de moi en quelques mots qui, j'espère, seront modestes, justes et élégants dans la mesure du possible. Bienvenue donc à qui accède à cet espace et bienvenue à ses commentaires. Abdelmalek SMARI

L’art d’abattre les morts (2) et fin

A L’Innocente


Le chœur

Qui peut boire de la coupe des lépreux

Qui peut embrasser le bourreau avec le sourire

Du cœur, dans les yeux et sur le visage

Comme Jésus, celui-là saura aimer.

 

- Khomeiny : Brûler les livres, cher disciple de Nitzsche, n’est pas sagesse. Une telle sottise produit immanquablement des effets contraires.

- Zadeh : Vous-mêmes, dit-on, vous avez brûlé le livre de Rushdie et promis un million de dollars à qui aurait eu vif ou mort.

- Khomeiny : Je vois ici la source de tes informations, je vois Maggie ! Tu penses qu’avec tous les problèmes de notre révolution, avec la guerre que les différents régimes réactionnaires des Arabes et les Etats impérialistes à travers le monde, tu penses qu’avec tout ça, un chef révolutionnaire comme moi puisse avoir le temps de lire une œuvre aussi volumineuse comme « Versets sataniques » ? La vérité, fiston, que vous ne voulez pas reconnaître est que, comme tout le monde, j’avais appris par ouï-dire que l’auteur s’était déclaré, via son œuvre, un apostat et j’ai réagi comme tout musulman cohérent : « S’il est vrai - ai-je dit - qu’il a déclaré la guerre à l’Islam, il est logique que l’Islam se défende et lui rende la pareille. » Quant au million de dollars, il était proposé par un riche commerçant qui vendait les tapis entre l’Iran, l’Europe et les Etats-Unis. Il n’a jamais payé de taxes et il croyait qu’avec de telles paroles zélées, stupides et mensongères il se serait mis à l’écart du ridicule. Je parie que tu avais tenté, toi aussi, de vendre les tapis dits d’Orient, mais tu n’as pas eu autant de chance que lui, alors tu as investi ta misère d’existence dans l’art d’abattre les morts.

- Zadeh : Vous avez peut-être raison. Maintenant que je pense, le volume du coran que Nima avait brûlé, l’avait immédiatement revu sur l’étagère de sa bibliothèque. Je dois dire, en tant qu’auteur, que j’ai moi-même procédé à la punition dudit héro : je l’ai traité de merde.

- Khomeiny : Mon jeune compatriote, zélé et stupide toi aussi, tu n’as pas encore connu en profondeur la grandeur de la culture humaine et celle des Perses en particulier. Tu n’as que peu d’expériences dans la vie. Tu lis ou comprends rarement, comme tous les aliénés arrogants d’ailleurs, et tu as commencé déjà à t’attaquer aux inexpugnables vérités de notre monde. Le mystère et la superstition sont deux choses bien distinctes, même si elles ont l’obscurité et la confusion en commun. Ainsi donc tu as sanctifié sans le vouloir le coran. S’il est vraiment besoin de juger l’homme, il faut commencer toujours par soi-même. Aussi faut-il combattre ce qui constitue l’avoir des dieux, avant les dieux eux-mêmes. La justice c’est le seul mot peut-être qu’on doit écrire avec tous ses caractères. Pas un caractère de plus, pas un de moins.

- Zadeh : Vous paraissez plus modeste et modéré de ce que donne à voir de vous toutes les télé du monde et leurs journaux ! Peut-être que la violente réaction du monde, contre vos vues despotiques, vous ait mis des bornes… ou peut-être avez-vous enfin compris que toute rigueur fanatique est absurdité. C’est la logique qui sous-tend ce phénomène (d’ailleurs salutaire) d’instabilité idéologique, de conversions et de contre-conversions ou si vous voulez de (tira e molla) ou le fameux "Chedd u-erkhef" comme disent certains Méditerranéens.

- Khomeiny : Quoi que tu dises de moi, j’ai toujours été cohérent avec mes idées et je n’ai pas reculé comme toi devant les feux brûlants de la révolution. Je l’ai assumée jusqu’à maintenant malgré les lâches Arabes et malgré les menaces du régime américain et de ses serviteurs et valets de tout bord.

- Zadeh : Je ne voulais pas me faire brebis et engraisser docilement votre troupeau. Non. C’est horrible pour une sensibilité comme la mienne.

- Nietzsche : Cher Zadeh, je doute que tu m’aies lu et si tu m’as lu, tu as mal compris, comme les Nazis d’ailleurs et les autres fascistes.

- Khomeiny : Je t’avais dit qu’il t’arrive rarement de lire ou de comprendre.

- Nietzsche : Certes, j’ai parlé des sommets dans mes ouvrages et dans ma philosophie, mais toi tu avais compris que de sommets, il n’en existait qu’un seul ! Chaque désir est un sommet en soi qu’il nous incombe d’escalader et d’assumer surtout. Autrement les hommes n’échapperaient jamais  à leur condition d’hommes… de troupeaux.

 

Le chœur

Je suis un homme de doute

Ce n’est pas une vertu, je reconnais

Et pas même un défaut

C’est ma nature, c’est un fait

De l’inexorable fuite du temps

Et de la mort ? Je m’en fous

Mythe est toute certitude

Je ne nie donc pas si j’affirme

La vérité est une roue

Sans trêve elle tourne

Et rode autour du doute

Qui me cherche, dit-elle,

Ne trouve qu’ombres et mystères

Où seul le doute éclaire

Et se fait guide et chemin.

 

- Le professeur : L’as-tu terminé, donc ?

- L’écho : Oui, je l’ai trouvé triste comme roman, pour ne pas dire lugubre. C’est plein de lamentations stupides et d’auto-flagellations. Ça m’a fait venir à l’esprit J. du Marquis de Sade.

- Le professeur : Es-tu sûr qu’il s’agit de J. de Sade et pas de la tienne ?

- L’écho : Combien j’ai souffert sans toi, ma chère J. à jamais perdue ! Mais ce n’est pas ça qui me rend triste.

- Le professeur : existe-t-il une douleur plus forte que l’échec d’amour ?

- L’écho : Zadeh a tiré sur dieu.

- Le professeur : Encore ! Mais combien de vies a-t-il ce dieu qu’on ne s’arrête pas d’assassiner, depuis l’antiquité grecque jusqu’à nos jours !

- L’écho : Je dois avouer que la réplique de Nicole à Nima m’avait trop amusé. Ecoute-la, professeur : « Nima, tu es ma cacca parce que tu as fait de moi un soleil et puis tu m’as ensevelie au fond du C. Il vaut mieux qu’on ne se revoie plus, toi et moi. En plus tu m’as accusé de t’avoir éloigné de ton dieu. »

- Le professeur : Passons aux choses sérieuses, qu’est-ce que tu  penses de la vérité ?

- L’écho : Tout est doute sauf la douleur et l’injustice. Notre connaissance du monde ressemble à ces impressions des beaux panoramas lointains et fugitifs qui martyrisent les yeux d’un voyageur de Tgv qui cherchent vainement à saisir et à préserver pour les moments insupportables de non-perceptions, pour les difficiles moments de disettes perceptives.

- Le professeur : Intéressant, pour quelqu’un qui vient directement du Moyen-Âge et qui cite le Tgv avec nonchalance. Déjà ! j’allais oublier que ladite civilisation arabe a vécu l’histoire à rebours : d’abord, la Renaissance et ensuite le Moyen-Âge !

 

Le chœur

Deux rêves en voyage

Sur le train de tristesse

Ah, si jeunesse savait

Dit le vieux de quatre-vingt automnes

Ah, si vieillesse pouvait

Rétorqua le frais sourire

De vingt printemps

Pendant que l’heureuse fleur

Remplit la coupe aux papillons

 

- Zadeh : Khomeyni voulait tuer Rushdie. Ces chauve-souris hideuses de fanatiques religieux ont toujours agi de la sorte, à commencer par les bourreaux de Socrate…

- L’écho : Ne cours pas trop vite… ami… tu risques de faire tomber tes ouailles dans le ridicule. Socrate a été condamné par la démocratie et les démocrates de la première heure.

- Zadeh : Et Halladj ? ne me dis pas que lui aussi était crucifié par les démocrates Arabes. Non ! C’était les horribles fanatiques mollahs aux barbes hirsutes, aux têtes de mules et aux cœurs d’acier qui lui fauchèrent la vie et le génie encore fertile. Pourquoi ? tout simplement parce qu’il a osé défier leur dieu et lui ôter le monopole de la vérité.

- L’écho : Ton discours ne convainc pas trop. Que dire de l’heureux destin qu’avait eu Ibn Arabi, qui a contesté la déité à dieu au profit de l’autocréatrice et autodidacte Nature ?

- Zadeh : Parbleu ! Si cela est vrai, lui aussi ne disait pas moins de Halladj !

- L’écho : Tu regrettes peut-être qu’on ne l’a pas tué ? Ou tu y vois une espèce de racisme arabe anti-persan qui tue les penseurs persans et épargnent ceux dits Arabes ?

- Zadeh : Et pourquoi pas ? Mais il me vient de dire que par sa mort, tactique, Halladj qui n’était pas du tout provocateur comme Giordano Bruno ni idiot comme Khomeyni, a démasqué la véritable figure lâche et terrible de l’Islam. La prétention de l’Islam en tant que religion tolérante (admettons par absurde que religion et tolérance ne soient pas un oxymore) a quand même reçu un sacré coup qui a démoli ses fondements et l’orgueil de ses adeptes.

- L’écho : C’est ce qu’on dit aussi de Socrate face à la démocratie et aux démocrates. Mais ce qui reste quand même embêtant dans l’histoire de Halladj particulièrement, c’est que ce dernier n’a pas su être original. Il a voulu singer dieu et il n’a pas été capable, comme Mahomet, de créer une nouvelle épistémologie. Etre dieu c’est créer aussi un discours digne de dieu. Or tout ce qu’il a pu faire le pauvre est que, grisé comme il était par son pouvoir sur les foules, il a cherché à destituer les vrais dieux, c’est-à-dire : les Politiques. Voilà ce qu’enseigne l’histoire quand les passions se taisent.

- Zadeh : Ce qui est embêtant dans ton discours c’est que tu donnes pour acquis le fait que Halladj voulait faire dieu, alors qu’il voulait tout simplement l’anéantir. Quant à la politique, il ne l’aimait pas.

- L’écho : Il faut savoir interroger les choses et les discours, saisir leurs ombres ou leurs échos, pour pouvoir comprendre ce qu’est mémoire et ce que ne l’est pas. Les grands prophètes comme toi ont échoué et rejoint le camp des ratés de la vie et de l’histoire, car ils n’ont pas pris en considération cette simple exigence de la justice, ou de la décence si tu veux : la politique c’est le moteur de l’histoire ou au moins le fuel. Sans politique, Mahomet n’aurait pas compté dans l’histoire. Et sans Mahomet, que tu le veuilles ou non, une bonne partie de notre culture moderne demeure boiteuse. Bien sûr, l’on construit toujours notre monde et nos nécessités avec ce qu’on a ou ce qu’on entrevoit, et Mahomet, tout comme Khomeiny, font partie désormais de ce qu’on a, de ce que l’histoire passée a réalisé pour nous autres modernes. Pour des siècles encore, l’humanité continuera le cours que lui ont tracé les siècles passés par les mains et le génie des hommes et de leurs exploits, indépendamment de leur couleur de peau ou d’idée. L’humanité ne pourra plus se passer des Mille et une nuits, des délires de Halladj, des divins vers de Dante et des versets du satanique Rushdie. Les petits cœurs se doivent de grandir ou d’exploser.

 

Le chœur 

Détruis ma parole

Et tu verras que tu me tueras

Moi aussi.

Et puis que peux-tu, toi, 

Insecte parmi les insectes ?

Sais-tu au moins ce que tu veux ?

Pour effacer la mémoire

Il faut de… la mémoire.

 

- L’écho : Tuer dieu pour moi n’est pas un problème, c’est comme chasser le vent avec des bâtons. En plus, je n’ai rien contre dieu, au maximum je suis un peu un Ivan Karamazov.

- Zadeh : Contre son œuvre, tu veux dire contre l’homme ?

- L’écho : Pas tout à fait, disons plutôt contre l’œuvre de son œuvre, la bêtise humaine plus exactement. Essayons plutôt d’apprendre du marteau de Michel-Ange ou du pinceau de Léonard. Arracher les laideurs de ce monde ou le combler de beautés, c’est ce que devrait être le destin de l’homme…

- Zadeh : Ah, ces Algériens! On s’ennuie toujours avec eux. Chassez-les par la porte du mensonge et de la présomption, ils vous reviennent par la fenêtre du sophisme et de la mystification !                                               

 

Smari Abdelmalek

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