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Vues et vécus en Algérie et ailleurs. Forum où au cours des jours et du temps j'essaierai de donner quelque chose de moi en quelques mots qui, j'espère, seront modestes, justes et élégants dans la mesure du possible. Bienvenue donc à qui accède à cet espace et bienvenue à ses commentaires. Abdelmalek SMARI

Lieu de malaise, lieu de guérison ou de la Mémoire comme Grandeur des peuples

 

« Notre empire prendra de la géographie quand il prendra

la vastitude de l’histoire. Et nous serons grands et fiers lorsque

nous nous approprierons tout notre passé, nous accepterons

nos blessures qui nous ont été faites et ce qu’il en naquit parfois

comme terribles fleurs de sel ou de pierres. »

Kamel Daoud

 

Je suis un lecteur assidu des articles de l’écrivain et journaliste Kamel Daoud sur le Quotidien d’Oran.

Ses écrits ont une ironie et une pertinence qui nous font pleurer et sourire à la fois… de nos bêtises, bien entendu.

Certains de ses écrits sont fort profonds et parfois ils touchent les cimes pures de la poésie. Ecrits sensibles, sincères, courageux, ironiques toujours, et limpides…

 

Ecrire c’est une grande peine avec de petites satisfactions, quand elles existent.

Parfois en lisant M. Daoud, l’on ne peut s’empêcher de noter dans ses mots une sorte d’amertume ou de tristesse, dont l’auteur semble souffrir… il souffre – et ça se voit - à cause de notre médiocrité, nous autres Algériens.

Il me vient de le consoler, de lui dire de tenir bon, de ne pas céder devant le « chantage » algérien et surtout de ne pas verser dans le défaitisme et le négativisme, paresse de l’esprit dont sont champions la plupart de nos gens, notre ghachi.

 

Je lui ai demandé l’autorisation de republier sur mon blog deux de ses articles :

1 - Rapatrier un jour les cendres de Camus ? et

2- Dans une prison, il y a le toit et les barreaux(*).

Cette faveur, l’auteur me l’a accordée fort volontiers et avec une grande gentillesse.

Bref, ces deux articles résument bien, à mon avis, le combat de notre auteur – et celui des rares citoyens et intellectuels comme lui -, sa justesse, sa sincérité et un quelque chose inhérent à ses écrits qui ressemble au désespoir mais il n’est pas désespoir. Car il n’a rien à voir avec la paresse ou la lassitude mentale qui souvent caractérisent l’esprit de berbericus, le paralyse et le catapulte hors-Histoire !

 

Ce quelque chose qui ressemble au désespoir chez notre auteur est plutôt une espèce de spleen, de poésie donc.

Une espèce de tristesse active et positive, apte à réveiller chez le lecteur sérieux l’espoir, la conscience et la force d’agir…

« Le mal qui est dans le monde » écrit un autre Algérien, Albert Camus « vient presque toujours de l’ignorance, et la bonne volonté peut faire autant de dégâts que la méchanceté, si elle n’est pas éclairée. »

N’est-ce pas là le sens du combat des hommes justes, des rares hommes comme Daoud, pour une dignité non-négociable de l’homme ?

Et ce ne devrait pas nous étonner si une telle conscience et un tel engagement nous viennent d’un admirateur et lecteur sérieux de Camus.

 

Outre cet article présenté ici sur l’auteur de La peste, Kamel Daoud est auteur de Meursault, contre-enquête où il rend en effet un surprenant hommage à Albert Camus(**).

Merci M. Daoud et bonne continuation !

Abdelmalek Smari

 

 

 

Rapatrier un jour les cendres de Camus ?

Faudra-t-il un jour rapatrier les cendres d’Albert Camus ? Pour le moment, il est dit qu’il n’est pas algérien. Pourtant né en Algérie. Avec des livres éclairés par les paysages algériens, la terre d’ici, la lumière, le sel aussi et surtout.

La raison est, dit-on, son choix de ne pas prendre les armes, c'est à dire de ne pas être du bon côté. Car, pour le moment, l'histoire algérienne est réduite à la mesure de l’histoire du FLN. «Avant» ou «pendant» il n’y avait rien ou que de la traitrise et de la tiédeur.

Le verdict frappe de nullité la grandeur d’Albert Camus ou l’engagement profond et indépassable de Messali Hadj. Et cette histoire d’une guerre et d’un combat est dure, stricte, tranchée par la mort et la vie et ne permet pas encore de voir au-delà. Mais viendra un jour où, pour continuer à vivre, ce pays cherchera la vie plus loin, plus haut, plus profond que sa guerre.

On devra alors proclamer nôtres les anciennes histoires, toutes nos histoires et s’enrichir en nous appropriant Camus aussi, l’histoire de Rome, de la chrétienté de l’Espagne, des «Arabes» et des autres qui sont venus, ont vu ou sont restés.

La langue française est un patrimoine, comme les architectures des colons, leurs traces et leurs actes, crimes ou marais asséchés, génocides et places publiques. Et cela vaut pour les autres : notre empire prendra de la géographie quand il prendra la vastitude de l’histoire. Et nous serons grands et fiers lorsque nous nous approprierons tout notre passé, nous accepterons nos blessures qui nous ont été faites et ce qu’il en naquit parfois comme terribles fleurs de sel ou de pierres.

Un jour donc, cela cessera, et on pensera à rapatrier les cendres de Camus car il est notre richesse d’abord, avant les autres. Il a en lui la trace de nos pas et nous avons nos traces dans ses errances et ses voyages même s’il nous tourne le dos comme on le dit. Même s’il le nie ou le fuit.

C’est ainsi. L’Algérie est aussi les enfants qui l’ont reniée. Et on s’apaisera alors. Car il est triste de voir qu’on n’arrive pas à fêter la naissance de cet homme ni ici où il est né ni là-bas où il est mort. Il est coincé dans le terrible territoire du premier sans-papier. Illustre déchiré. Enfant indésirable et désiré. Un homme qui a posé la question au monde et dont on réduit la réponse à un extrait de naissance. Triste histoire d’un mythe. Misère des deux bords qui repoussent ou se déchirent cet enfant du mauvais couple.

Quand il est mort, Ibn Rochd (Averroès pour les Autres) a été enterré au Maroc, mais c’est à Cordoue qu’on a rapatrié ses cendres. Ibn Rochd était-il «arabe» ? Espagnol ? Andalou et homme de sa quête ?

Ses cendres enrichiront sa nouvelle terre mieux que sa vie n’éclaira les nôtres. Un jour, on l’espère, Camus nous reviendra. Et Saint-Augustin, et les autres, tous les autres, toutes nos histoires, nos pierres, architectures, mausolées et croyances, vignes et palmiers, oliviers surtout. Et nous sortirons tellement vivants d’accepter nos morts et notre terre nous sera réconciliée et nous vivrons plus longtemps que le FLN et la France et la guerre et les histoires des couples.

C’est une question essentielle : celui qui accepte son passé est maitre de son avenir. Les cendres de Camus nous sont essentielles malgré ce que l’on dit. Il est le lieu de la guérison car le lieu du malaise, lui comme ce pan de l’histoire qui est nous, malgré nous.

Ses cendres sont notre feu. C’est ici son royaume, malgré son exil. Cet homme obsède si fort et encore que son étrange phrase pour l’étranger vaut pour lui plus que pour son personnage :

hier Camus est mort, ou peut-être aujourd’hui.

On ne sait plus.

On doit pourtant savoir et cesser.

 

par Kamel Daoud http://www.lequotidien-oran.com/?news=5190229

 

 

(*) Ce second article sera publié prochainement.

(**) « Meursault, contre-enquête » Kamel Daoud, Editions Barzakh, Alger, oct. 2013, 192 p.

(Sortie prévue en France pour mai 2014 aux éditions Actes Sud)

One, two, three… Hadja ou fradja! Elections présidentielles en Algérie du 17 avril 2014

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