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Vues et vécus en Algérie et ailleurs. Forum où au cours des jours et du temps j'essaierai de donner quelque chose de moi en quelques mots qui, j'espère, seront modestes, justes et élégants dans la mesure du possible. Bienvenue donc à qui accède à cet espace et bienvenue à ses commentaires. Abdelmalek SMARI

Le cigare de Thomas Edison ou un nouveau homo berbericus est-il possible ? (3)

 

" سافرْ ففي الأسفار (جمّ) الفوائد " ...

عليّ بن أبي طالب

 

 

Chère lectrice, cher lecteur ; puisqu’on est en train de congédier la saison des voyages et des vacances, je vous propose cet écrit qui serait une réflexion sur le voyage que homo berbericus vit encore comme une problématique presque existentielle. Ce ne sont donc pas de sentences mais de simples impressions de voyage de l’un de ces malchanceux de l’histoire et victime de sa propre bêtise et de celles des autres hommes aussi…

 

Le voyage : un domaine où l’élite peut briller et illuminer le tout-venant

Il fut un temps où je me vantais tant de moi-même pour n’importe quelle entreprise ou exploit que j’accomplissais ou du moins que je croyais avoir accomplis. Maintenant, c’est différent : je tends plutôt à observer avec une certaine froideur parmi mes actions celles qui me paraissent plus extravagantes. En ce moment précis je pense à mes voyages ; déjà trop pour ceux qui ne voyagent pas, encore peu, très peu, pour les infatigables globe-trotters.

Il va de soi que nous autres, Algériens, faisons partie des gens statiques. Et ce n’est pas par hasard que nous sommes statiques de mentalité aussi. Bien sûr, nous avons nos raisons. Bien sûr il y a parmi nous celui qui échappe à cette sentence cruelle. Bien sûr il y a celui qui tend à se dépasser soi-même, mais chez nous ces bonnes âmes sont aussi rares qu’invisibles.

Cette carence n’est surtout pas due à la pauvreté matérielle ; après tout, nos hommes – et nos femmes aussi – ne sont pas si démunis ni si avares que ça. Nous dépensons jusqu’aux yeux de la tête pour acheter une batta neffa/chemma, un plateau de millefeuille, de zalabia, de f’taier ou de croissants mouchés - pleins de mouches -, des moutons ou des bœufs pour l’Aïd et les Nachras, des quintaux de couscous et autant de poulets et de raisins pour agrémenter des fêtes mal-faites d’ailleurs (puisqu’elles ne nous héritent que fatigue, déception et ruine), des kherdaouates, des kachabia wobri, de l’or et des gandouras ‘‘genoua’’ et des autres mahrojates

Notre carence est due plutôt à notre misère morale : d’abord nous ignorons les beautés du monde, puis nous répugnons l’idée même de quitter les girons sûrs, bien que fétides et visqueux, de nos lieux familiers, des visages familiers, des habitudes familières…

Ensuite nous avons comme une sorte de peur bleue de dépenser de l’argent pour des entreprises inédites que nous considérons, par ignorance, irrévocablement insensées et sans intérêt. La réalité est que nous ne savons rien faire de notre temps et de notre argent, et pour cause : nous manquons de modèles vivants qui devraient nous éveiller, nous introduire à la vie moderne et nous en indiquer les doux chemins à suivre.

Nous sommes envieux et psychologiquement malades : au lieu d’aspirer au changement, oxygène de la vie décente et digne, nous avons tendance à régresser. Nous agissons comme le renard de la fable qui faisait couper la queue à tous ses congénères. Nous ressemblons au stupide énergumène de la blague qui accepte volontiers qu’on lui crève un œil pourvu qu’on en crève tous les deux à son prochain. Nous sommes mal organisés…

Enfin quand il y a quelqu’un qui échappe à ce malheureux destin, c’est le sens de culpabilité qui l’assaillit et le taraude en tuant en lui jusqu’au plaisir qui devrait tirer de ce dit salut : « Ai-je le droit de jouir de la douce vie, alors que mes concitoyens endurent le calvaire de toutes les frustrations ? »

Et encore… ! Même ces rares favoris, parmi nous, qui réussissent à voyager, ne font que se déplacer dans leur nébuleuse opaque de comportements figés, médiocres et grossiers qui leur offusquent toute vue claire des nouveaux paysages et des nouvelles gens.

Ces rares favoris ne font donc que déplacer leur position statique, comme ce dit « roi-des-rois » qui - à Tripoli comme à Tokyo, Paris ou Rome (exceptée New York) - ne sortira jamais de sa tente ; et si quelqu’un, par farce ou par intérêt cynique, accepte de le voir, il ne peut que l’aller dénicher dans sa tente, dans son amovible grotte moisie et puante de primitivisme et de vulgarité !

Que peuvent-ils percevoir ces rares favoris dans les pays de leur prédilection ? Ils ne vont pas voir les musées. Leur tête étroite ne peut pas concevoir une absurdité pareille. Une tente bédouine, fût-elle celle du roi-des-rois, peut-elle héberger le Louvre ou le Colisée ?

Que voient-ils donc, nos voyageurs ? Les jardins, les rues, les édifices, les vitrines, les monuments ? Sauront-ils écouter les gens du pays, les observer, leur parler, les connaître et se faire connaître ? Non. Tout ce dont ils sont capables est qu’ils continuent à contempler ce qu’ils ont toujours contemplé à/de l’intérieur de leur tente, de leur tête.

Ils ont un faible émouvant pour le chiffon et pour les Nike. Puis viennent les téléphones portables que, s’ils peuvent, ils les raflent par sacs, par malles, par containers… Il n’y a pas que ce genre de gadgets ou de khardawate qui vont leur faire tirer la langue et couler la bave ; il y a les saintes 4x4. Là alors c’est l’extase, même si ça sent amertume et impuissance !

Ils n’auront donc pas le temps d’apprendre que, là où ils se trouvent, c’est un nouveau monde. Cette ignorance ou cette idiote sensibilité fait en sorte que nos rares braves favoris continuent à snober les caractéristiques culinaires des lieux en préférant la loubia, la douara ou l’obsolète casse-croûte fritte-omelette comme s’ils n’avaient pas quitté encore leur douar.

 

De gargotte en gargotte

On les voit, ces pourtant-favoris, essaimer de gargotte en gargotte, ignorant tout du pays hôte : ses plats caractéristiques, ses traditions, ses mœurs, sa littérature, ses paysages, l’organisation de ses villes avec leurs différentes commodités (commodités qui ne manquent que chez nous damnées et – semble-t-il – heureux : vespasiennes propres et suffisantes, transports disponibles et réguliers et amènes aussi, l’accès facile à l’information), les défauts de ses gens, leurs qualités, leur personnalité, leur rythme, le respect des lois, du temps et de l’environnement, la solidarité mutuelle, leurs rythmes propres, leur goût, leurs mélodies, enfin de quelle manière ces gens organisent leur travail et comment ils aiment leur pays et s’ils en sont fiers…

Mais, hélas, nos favoris n’ont que faire de cette sorte de science ; c’est trop pour eux ! Ce serait déjà assez s’ils réussissaient à se hasarder quelques pas au-delà de leur mansarde d’hôtel ; mettons jusqu’au plus proche des bazars ou des souks où ils espèrent trouver de la marchandise à bon marché (car usée, ramassée ou volée), seul butin de leurs efforts, seul trophée de leurs dures aventures don-quichottiennes.

Mais faisons mine de les comprendre… qu’allons nous leur proposer à la place de ces mœurs transfuges, mal mises, inutiles, impropres au lieu ?

Que nos voyageurs se débarrassent d’abord de cette tente ou qu’ils la laissent au moins dans leur lieu de provenance. Car le voyageur devrait être léger. « Ba’id el-hejj 3ala bou sbibit » disait-on déjà, quand la Mecque était rggiungible presque seulement à pieds.

Ainsi devrait-il en être de leurs bagages : notre voyageur devrait avoir pour objets personnels nécessaires un guide touristique (indispensable !) avec un peu de lexique (profane ou spécialisé) des lieux à visiter. Un tel guide ne lui ferait sûrement pas de mal.

Durant le voyage, il peut penser à ses chers amis ou à ses proches, avec un petit sms ou un mail à partir de son portable ou d’un Internet-point. Il peut même, s’il veut, leur envoyer une photo à partir du même gadget (portable) ou une carte postale. Un calepin - pour qui aime écrire – sera toujours indispensable pour prendre des notes de voyage ou l’objectif d’un appareil photo, pour un amant daguerriste.

Au retour, il aura droit non pas à un tapis Samira ou à un nouveau portable (il doit épargner le peu d’argent pour pouvoir se payer la visite de quelques monuments ou musées ou se permettre un voyage pour admirer d’autres beautés qui se trouvent un peu loin de son hôtel (une autre ville, la périphérie même). Car les souvenirs maintiendront vif, dans notre mémoire, le voyage accompli et témoigneront de l’affect que nous avons de nos amis ou proches et à qui nous dédions de tels cadeaux.

Certes il est insensé d’exiger de notre homo de faire comme s’il faisait partie des nations riches dont les citoyens ont une grande culture de voyage et de vacances, des moyens comme le récent low cost, une monnaie forte ou assez résistante comme par exemple la livre turque, des facilités douanières et pafistes (de la police des frontières) amènes et consciencieux.

Nous savons par exemple qu’un citoyen de l’Union Européenne n’a pas besoin comme homo berbericus d’un visa pour aller en Turquie, en Egypte ou au Maroc entre autres pays (sa carte d’identité lui suffit). Privilège qui est absolument interdit à Berbericus !

Quant à gagner l’un des pays européens, c’est une entreprise presque impossible pour lui ; il lui arrive parfois d’avoir le passeport, le visa, une belle bourse remplie de devises fortes, d’être propre et parfumé, d’avoir une cartable et de prestigieux diplômes, de mastiquer le français ou l’allemand, de ne pas faire Ramadan, de crier qu’il est anti-arabe et pro-occidental et que sais-je encore… mais un simple pafiste de l’un des pays de cette « Union sacrée » le peut refouler sans recours et sans appel !!!). L’on comprend donc la réticence de Berbericus à visiter ces holly-contrées.

Mais il ne s’agit pas ici de lui intimer l’ordre de voyager aux pays qui ne veulent pas trop de lui ; il s’agit plutôt de montrer à ce désespéré de damné de la terre - il peut bien avoir un très haut rang social dans son douar - que voyager, ne signifie pas aller nécessairement dans l’un de ces pays étanches ou ne pas bouger du tout !

 

Le voyage comme remède à la dah’cha de l’existence

Faire du tourisme signifie bouger, changer de panoramas, briser la routine de ne voir que du-déjà-vu, organiser un peu son propre temps pour l’arracher à l’emprise de l’ennui et de l’asthénie existentiels, visiter les musées de sa propre ville et des villes environnantes, aller quelquefois à Djebl el Ouahch (pour les Constantinois) ou à Tidis ou à Chtaibi ou Guerbez pour respirer un bol d’air marin, contempler l’œuvre grandiose du barrage de Beni Haroun, se hasarder dans les autres régions non moins riches et variées de l’Algérie… Et si l’on arrive quand même à épuiser ces possibilités, il nous reste les pays amis ou frères… en faire des photos ou des vidéos… enfin s’inventer son propre plaisir.

Eh oui, le plaisir aussi (comme toute manifestation culturelle humaine) est à inventer. Il n’est jamais donné d’emblée – si on exclut le cas des Kavés, des ignorants et des paresseux. C’est déjà assez si l’homme reçoit la lumière du jour et la chance de grandir et d’avoir les rudiments d’une éducation. Le plaisir est enfant de l’imagination, de l’intelligence, du savoir-vivre et de la volonté personnelle. Il est toujours à rechercher, à soigner, à cueillir… bien qu’il soit, dans sa version humaine, de forte teneur culturelle, il reste l’une de ces pratiques qui sont fondamentalement personnelles, intimes qui ont une composante non-indifférente d’onanisme…

On a des musées intéressants dont l’entrée coûte des moins-qu’une-misère, des sites archéologiques à l’air libre si ce n’est à l’abandon, des paysages magnifiques et variés, des sentiers pour promenades champêtres, des villes historiques, des manifestations culturelles qui peuvent avoir lieu dans une ville plutôt que dans une autre, des régions culturellement très spécifiques et d’autres joyaux encore, dons de la nature et de la culture…

Et c’est dommage de devoir attendre un visa qui n’arrive guère. C’est dommage que nous ayons associé dans notre esprit « tourisme » et « pays européens ». C’est dommage aussi que nous ayons inventé une équation absurde comme : pour faire du tourisme, il faut être Européen !

Voyager ne devrait pas signifier échapper aux problèmes que nous pose l’existence, en pensant de les oublier. Les problèmes sont à affronter ; les oublier signifie les cultiver, les engraisser. Les fuir signifie être lâche, paresseux, sans intelligence et imagination. Et pourtant le voyage aide à résoudre les problèmes mais pas de cette manière magique qu’est l’oubli. Non.

Le voyage nous apprend – après avoir connu d’autres mortels – à relativiser nos problèmes ; ce qui nous porte à dédramatiser notre propre condition et à retrouver un tant soit peu de sérénité nécessaire à la bonne réflexion et à la lucide résolution de ces nœuds de l’existence.

La finalité du voyage ? C’est bouger pour ne pas stagner et pourrir. C’est aussi élargir le champ des possibles dont la vie recèle et élargir par la même notre liberté de choix, notre originalité et la satisfaction d’être à la hauteur de notre humanité.

Ces conseils, je ne les ai pas inventés. J’ai moi-même peine à en saisir le sens profond et à en appliquer les enseignements. Mais je crois, bien qu’intuitivement, à leur positivité. Le fait même qu’ils nous invitent au mouvement et au changement justifie pleinement leur valeur non-indifférente, capitale. Ainsi le changement devient-il partie prenante de notre ethos, de nos comportements, de nos habitudes de tous les jours. Et alors nous apprendrions à vivre notre époque et à nous débarrasser de la médiocrité et de l’ennui existentiel.

 

Berbericus au Louvre, koullouna fil hawa sawa oues-salaem !

Je ne prétends pas non plus que notre voyageur doive avoir la spiritualité de cette jeune dame New-Yorkaise qui fait – dit-on – chaque année un voyage au Louvre pour la seule fin d’admirer la Joconde tandis qu’elle est assise et à pleurer d’émerveillement. Le lendemain elle reprend l’avion pour New York. Ou qu’il soit comme cette autre teen-ager qui entreprend un voyage de Milan à La Valette, à Malte, pour admirer un Caravage.

Je ne vais pas prétendre enfin de notre voyageur démuni et peu ou pas du tout amant de musique d’aller assister à des concerts de musique dans d’autres villes d’Algérie ou des pays étrangers, comme le font les jeunes des pays nantis et artistiques, férus de musique qui suivent leurs idoles là où ils se reproduisent… Mais que nos concitoyens imitent au moins les fous supporters de nos équipes de foot qui, eux, se sont toujours débrouillés pour se déplacer.

Qu’ils imitent les spécialistes du trabendo ou des autres multi-Omras ; ils verront qu’ils seront capables de mettre de côté le peu d’argent nécessaire pour faire de temps en temps quelque voyage revivifiant. Car si les moyens déterminent la fin, les objectifs aussi sont capables de trouver ou de s’inventer leurs moyens et les outils nécessaires à leur réalisation.

Nous apprenons donc des voyages que nous ne sommes pas seuls dans ce monde ni d’ailleurs nos problèmes sont uniques et les solutions que nous leur portons si orphelines. Nous apprenons en quelque sorte que « tout le monde est pays » comme disent les Italiens ; que « Koullouna fil hawa sawa » comme disent les maîtres de nos mousselssalate.

Nous pouvons voyager en deux directions diverses mais pas contradictoires, car toutes deux nous permettent de glaner des informations utiles à notre enrichissement moral et à notre épanouissement intellectuel. L’une des directions porte vers l’intérieur grâce à la lecture, à la méditation, à l’observation, aux différentes interrogations et aux idées que nous nous faisons de notre existence et des rapports que nous entretenons avec les mondes qui nous entourent. Mais à elle seule, elle reste insuffisante ; parfois elle est contre-productive et peut même porter à des monstruosités faustiennes, si elle n’est pas renforcée par l’autre direction.

Dans la seconde direction, il s’agit du déplacement physique proprement dit. Ici aussi, cela dépend du voyageur : s’il est capable, il peut faire tant de découvertes sur lui-même et sur les mondes qu’il croise durant ses voyages et il n’en sortira que riche de savoir et de sagesse et sa personnalité gagne en force et en pertinence.

Evidemment les deux directions peuvent (et doivent) tenter une même personne pour la rendre encore plus sage et plus heureuse…

Et quel que soit la ou les directions de notre voyage, celui-ci nous aidera à redimensionner notre ego et à réduire par voie de conséquences notre égoïsme, notre arrogance et surtout notre ignorance. Nous découvrons notre précarité d’isolés et, en même temps, notre richesse ; puisque nous découvrons alors que nous sommes réunis dans une humanité plus grande et plus vaste que notre petit univers clos, carcéral, tueur de la joie, de la liberté et de l’espoir.

Vaste humanité où chacun de nous se découvre avec un plateau de dons et de mets aussi différents et riches que nos individualités pour les offrir à nos vis-à-vis et où chacun goûte à la sagesse et à l’originalité de l’autre.

Nous découvrons que seuls les gourbis et les autres boite-à-sardines algériennes sont dénudées de toute beauté et de tout parfum.

Nous découvrons que les autres villes du monde ont le même problème de laideur et de puanteur, mais avec quelque chose en plus : la conscience et la force de réfuter et de changer ce type de situation écœurante et humiliante.

Nous découvrons qu’il suffit parfois d’une plante ou d’un vase de fleurs vraies, non pas de plastique, sur une table à l’intérieur des chambres, aux balcons ou devant nos maisons ou boutiques suffit pour effacer comme par enchantement toute laideur et toute puanteur.

Nous apprenons à vaincre la dah’cha de l’existence dans cette époque moderne (qui est aussi la nôtre, malgré tout !) mais qui nous exclut. Ainsi aurons-nous raison de cette peur de vivre qui nous est endémique, qui nous tue… nous arriverons à comprendre notre prochain, à nous faire connaître, à le respecter et à nous faire respecter.

Nous goûterons à sa langue et à sa culture. Nous confronterons avec les siens nos us, nos idées, nos styles de vie. En somme, étant donné notre nature carentielle et notre incomplétude originelle,  nous apprendrons ce qui nous manque et ce qu’on ne peut trouver qu’au pays où nous entreprendrons notre voyage.

Le voyage commence par la visite des lieux les proches et les plus accessibles en attendant d’élaborer d’autres objectifs, de plus ou moins longue haleine, et les moyens de les réaliser. Or ce que nous constatons chez nous, c’est que nos gens semblent indifférents aux beautés infinies qui pourtant commencent à nous inviter déjà dès que nous formulons l’intention de nous mouvoir. Ou plutôt c’est l’air même de ces merveilles qui nous éveille et nous fait bouger. Mais hélas nous sommes comme ces oiseaux migrateurs… tenus en cage !

 

Les trois misères de l’Algérie ; une actuelle et deux historiques

Avant d’entreprendre mon voyage à Istanbul, j’avais fait un autre à Marina di Campo, dans l’île d’Elbe. A mon retour au boulot, il y’avait l’un de mes collègues, de cette race qu’on dit hyper intelligente par le seul fait d’être responsable ou manager, qui m’avait dit : « Ah, salut toi ! Alors ton congé ? où est-ce que tu l’as passé ? » Il ne me laissa pas le temps d’ouvrir le bec qu’il repartit pour s’auto-répondre (d’ailleurs ne sait-il pas tout ? n’est-il pas manager ?) : « Je sais, tu as été ici, à Milan, à l’Idroscalo » ! Comme pour dire « Où penses-tu d’aller, toi - simple employé, trois fois damné de la terre : bougnoule, arabe et musulman (Kavé) -  toi qui n’as pas de culture de voyage et pour qui le mot vacances sonne (ronfle) comme somnolence et torpeur ! »

Quand je lui avais dit qu’au contraire à ses attentes, j’étais là où j’étais. Il eut de la difficulté à avaler sa salive et à rire, lui qui pourtant – métier de marketing oblige – sait rire jusqu’en plein service funéraire de sa mère ou de ses fils.

A part cette gaffe managériale, dictée sûrement par le cliché qui se base sur la réalité d’ailleurs (notre réalité de tiers-mondains captifs de nos bêtises), cela signifie simplement que le voyage, pour briser la routine et s’éloigner du lieu et du travail des collègues, est devenu un point d’honneur et une nécessité pour les nations riches et conscientes. Ceux parmi leurs populations qui ne peuvent obtenir une telle teneur de vie, la rattrapent avec de l’affabulation et autres jugements de valeurs stupides mais utiles puisqu’ils leur permettent d’apparaître sous la lumière de celui qui sait et qui peut faire, pour peu qu’il veuille, tout ce qui lui plait.

Ainsi une autre quidame - qui n’est pas en reste en matière d’arrogance par rapport à son compatriote su-cité – à peine avait-elle appris que j’étais à la cité de la Porte sublime, m’avait dit « j’ai vu un service à la télé (remarquez sa source d’information) sur la Turquie. Ils sont basanés (remarquez aussi ce qu’elle en a retenu comme information) ».

Ma foi,  ici il s’agit bien d’arrogance. Celle-là même qui caractérise ce genre de médiocres personnages élevés dans le mépris des sous-développés, moins nantis, pas blancs, non chrétiens, peu amants de nouveautés et de l’étrange et qui ont un peu peur de l’Autre… 

Je lui ai répondu - exagérant mais plus dans le sens de la réalité que dans celui du mensonge ou de la tendanciosité - : « Bien au contraire, les Turcs sont blancs, puisque leur pays est sur la même altitude de l’Italie ou de la France. Et s’il y a quand même quelqu’un de basané ou de couleur (ce sont les mots qu’elle avait utilisés) ça doit être normal puisque Istanbul a été pour de longs siècles la capitale d’un empire qui faisait trembler de la Russie des Tzars jusqu’à l’empire même où le soleil ne se couchait jamais. Ils pouvaient donc se permettre d’attirer les gens de tous les coins de l’empire, blancs ou noirs qu’ils fussent. »

En tant que capitale d’Empire, Istanbul a su maintenir les richesses qui lui affluaient de toutes parts, des siècles durant. Dans ses jours fastes, elle bourrait l’Anatolie de châteaux et de mosquées. Dans ses jours difficiles elle faisait le dos rond, en attendant le retour de la fortune, comme hypothéquer ou vendre une à une ses infinies colonies ou leurs ressources. L’exemple frappant de cette stratégie sangsuelle est la fameuse politique ignominieuse des concessions par lesquelles les empires rivaux s’insinuaient comme la gangrène dans le corps des peuples que la Turquie dominait et exploitait.

Il n’y a pas que moi qui me lamente de la pratique égoïste et impérialiste des Turcs ; on trouve déjà chez les habitants de la grande Syrie, la Syrie historique, de semblables dénonciations. Et si les Syriens (les actuels pays du Cham : Syrie, Liban, Jordanie, Palestine et Israël) étaient parmi les peuples les plus enclins à l’émigration (heureusement, car ils ont été de grands supports culturel et politique pour l’Egypte des Khédives, entre autres pays), c’est là le témoignage historique de cette contestation de la domination prédatrice turque.

Quant à l’Algérie qui se console d’avoir eu la chance grâce à cette domination de préserver ses frontières actuelles - pour pouvoir réfuter la thèse colonialiste d’une Algérie jaillie miraculeusement (ex nihilis, sans histoire) de la règle et du compas d’un Bugeaud ou de la fumée des enfumades de Cavaignac, Pélissier et autre Saint Arnaud – elle ne saurait oublier l’humiliation de voir son acte de vente aux Français, rédigé et signé en langue turque (Assia Djebbar) !

Une autre contestation vient cette fois des pays dits chrétiens. D’abord ils ne pardonneront jamais aux Turcs musulmans d’avoir pris Constantinople ; puis de les avoir terroriser jusqu’à hier : « Mamma li turchi ! » s’étaient écriés pour longtemps les Italiens, proie à la terreur et à la peur extrêmes ; ensuite, même les très cathartiques art et littérature (« L’italiana in Algeri » de Rossini entre autres tentatives de divertissement) n’avaient su hausser le moral de ces sinistrés Chrétiens tout le temps menacés par les corsaires turcs ; et enfin, le comble advient quand cette même Turquie demande et prétend faire partie de l’Union européenne ! Ça alors, c’est tout simplement de l’inconcevable !!  A suivre

 

P.S : Votre commentaire et vos critiques sont les bienvenus car ils m’aident énormément … Je vous en serai gré.

 

Smari Abdelmalek

 

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