Vues et vécus en Algérie et ailleurs. Forum où au cours des jours et du temps j'essaierai de donner quelque chose de moi en quelques mots qui, j'espère, seront modestes, justes et élégants dans la mesure du possible. Bienvenue donc à qui accède à cet espace et bienvenue à ses commentaires. Abdelmalek SMARI
قُل دائما
ً: لا.
ربما لا تليق كلمة نعم ، إلا بذلك الزائر الأخير:
الموت .
أدونيس
Dis toujours : Non.
Peut-être que le mot Oui ne sied qu’à ce visiteur ultime :
La mort.
Adonis
« Apparemment, il (Bouteflika) n’a pas jugé utile d’entrer dans l’histoire comme un chef d’Etat qui aura ouvert la voie à de nouvelles mœurs politiques en Algérie – cette Algérie qu’il dit vouloir voir ‘forte et sereine’ – mais aussi pour d’autres pays, notamment les pays arabes dont les peuples continuent, malgré tout, d’espérer beaucoup de l’Algérie en matière de changement politique. »
Mohamed Hennad - El Watan 16-4-9
Il faut que l’histoire retienne
Pour ne pas donner raison à Bouteflika, pour ne pas se laisser prendre par ses filets propagandistes, pour ne pas entrer dans - et faire - son jeu... les citoyens authentiquement démocratiques, qui aspirent à la dignité politique, feraient mieux de parler au nom de - et à - tous les Algériens dont les Kabyles et les soi-disant islamistes. Justement tout Algérien (même Bouteflika) ne saurait concevoir un autre pays (fût-il la Kabylie-land) que l’Algérie.
C’est pour ça que nos apprentis démocrates auront toujours tort devant nos apprentis dictateurs. Et c’est paradoxalement pour ça que Bouteflika a des partisans parmi ses plus intraitables adversaires: comme par exemple un Said Saadi, un Karim Tabbou ou un imam ivre de la folie Fisiste ou talibanesque !
C’est là l’une des erreurs mortelles de nos hommes politiques qui veulent faire l’opposition constructive mais ils échouent toujours, les pauvres. Ils pensent qu’en monopolisant une région ou une sensibilité (comme font les islamistes aussi), ils auraient dans la poche le gros du reste des citoyens. Or ils devraient savoir qu’une politique est nationale ou elle ne l’est pas ; à moins qu’il y ait sotto-sotto quelque dessein de sédition, de séparatisme ou de nihilisme (comme l’islamisme destructeur).
Quelqu’un pourra dire: « A quoi ça sert maintenant de nous mettre en garde contre un danger consumé et une mort constatée ?! A quoi bon toute cette littérature inutile?! »
Il faut bien quand même que l’histoire retienne qu’un certain novembre 2008 la loi fondamentale du pays a été bafouée par quelqu’un, et non des moindres : le président de la république en personne, avec la complicité de la majorité de nos dits élus du peuple qui ont trahi ce même peuple.
Il faut que l’histoire retienne aussi que quelques humbles citoyens ont dit « Non ! » à ce flagrant abus de pouvoir et de confiance et ils ont essayé d’en dissuader le président et ses mauvais conseillers-complices.
Et puis pour paraphraser un enfant algérien « Si l’Algérie est libre et que nous ne puissions pas dire ce que nous pensons de nos affaires, ça ne sert à rien. »
C’est notre droit de dénoncer cette régression inutile ; alors que nous devrions marcher et aller de l’avant, que je sache ! « Celui qui recule – disait Sadeq Er-Rafii, il y a un siècle -, ne fera jamais un pas en avant. » Et ça va de soi.
Et maintenant qu’allons-nous faire ?
Ceci étant dit, nous n’allons pas tout de même jusqu’à prêcher, nous aussi, la violence pour répondre à la violence. Nous devons continuer à faire confiance aux personnes qui nous gouvernent sans jamais baisser nos gardes critiques. C’est cette confiance lucide qui aiderait nos gouvernants à comprendre et à être à la hauteur de leur mission de gouverner au XXIe siècle.
En attendant, il ne faut pas se taire non plus : il faut travailler d’arrache-pied pour rétablir l’Art. 74. Notre résistance doit être aussi énergique et doit procéder de la même force offensive de ceux qui nous ont littéralement violés et émasculés. Il va de soi que l’énergie que nous mettons dans cette résistance reste au niveau des idées, des principes et des actions politiques, loin de toute surenchère ou infantilisme suicidaire.
Il faut faire en sorte que les citoyens n’oublient pas l’Art. 74 de la Constitution introduit par Zeroual et violé par son successeur. Il faut faire en sorte que les Algériens sachent et sentent le drame et la tragédie de ce coup d’état constitutionnel. Il faut en informer d’une manière systématique et assidue, claire et convaincante, le reste des citoyens encore obnubilés par les discours mielleux de la mystification dont l’objectif majeur est celui d’asservir les Algériens et de les déposséder de leur dignité politique.
Que tous ceux qui ont dénoncé ce véritable coup d’état envers notre constitution se souviennent qu’en politique, le temps a tout son temps pour réajuster les torts et corriger les erreurs, pourvu que nous n’oubliions pas, pourvu que nous ne mettions pas à somnoler, pourvu que nous continuions à nous informer, à y croire, à rappeler et nous rappeler, à dénoncer, à nous organiser, à travailler la main dans la main pour avoir de nouveau notre Art. 74.
La critique fait mal parce qu’elle est analyse et décomposition. En constatant le morcellement de l’objet soumis à l’analyse, l’on se sent pris par une sorte d’angoisse terrible : celle de la mort. Ainsi avons-nous peur de perdre la rassurante harmonie de la vue d’ensemble. Et alors seul celui qui a de la patience et de la prévoyance s’en réjouit ; car il sait qu’au fond l’analyse critique des mœurs n’entame en rien les personnes et leur dignité, mais seulement leurs habitudes qui ne devraient jamais en avoir assez de changer et d’évoluer.
«En décidant, en toute liberté, de renoncer définitivement à ma carrière politique, j’ai estimé qu’il était temps que l’alternance se concrétise afin d’assurer un saut qualitatif à nos mœurs politiques et à la pratique de la démocratie, tant était loin de ma conception la notion d’homme providentiel à laquelle je n’ai jamais cru.» » Le Quotidien d’Oran du 14-01-09
Ces mots de M. Zeroual, notre ex président, nous rappellent que nous avons perdu quelque chose d’aussi précieux que notre liberté et donc de notre dignité.
Ça se voit hélas que la lucidité et l’honnêteté de M. Zeroual n’était qu’une brève accalmie dans la mer des tempêtes où se perd un peuple arriéré comme le nôtre. Le comportement de M. Bouteflika a prouvé par neuf, a juré même, que le gouvernant en Algérie est fait de la même pâte dont est confectionnée la plèbe : il procède de la mentalité mythique (Bourdieu).
Une telle gaffe politique me rappelle l’histoire drôle mais pitoyable de ce groupe d’ouvriers de la Sonatrach à Skikda (dans les années 80, je pense) lors d’une fuite d’un gaz toxique. Les Japonais - qui supervisaient alors, comme un pâtre, le troupeau d’ouvriers algériens - sont restés assez calmes pour pouvoir étudier la direction du vent. Ils se sont réfugiés à une dizaine de mètres du lieu de l’incident ; ce qui leur avait permis aussi d’observer et d’interroger le problème même et d’en étudier la solution éventuelle.
Nos ouvriers (chair de la chair de notre Chaab el ‘adhim) avaient perdu les pédales (les avaient-ils vraiment ?) et s’étaient mis à courir dans le bon sens… du vent ! De temps en temps quelqu’un tombait, presque asphyxié, mais ce vent insolent et complice du noir destin ne cessait d’alimenter nos innocents ouvriers de ce gaz non moins insolent et de ses toxines.
L’homme qui fabrique un fanal et devient jaloux de sa lumière
Les noms des Noriega, Saddam et, un peu plus loin mais très proche de nos cœurs, le sinistre Dey Hussein doivent nous rester aggravés dans la mémoire, sur l’étendue même de notre épiderme comme un tatouage de l’infâme précarité qui nous caractérise.
Ce n’est pas être génial que de comprendre que l’alternance politique, en cas de conflit avec l’alliance sacrée des nations-requins, permet de délimiter les responsabilités des gouvernants dans le meilleur et dans le pire.
Dans le meilleur des cas, elle reconnaît sans ambiguïté les mérites des bons gouvernants. Dans le cas contraire elle fait éviter au pays les conséquences de la mal gouvernance en en imputant la responsabilité à l’agent gouvernant. N’est-ce pas ça le sens de l’ « être-responsable » ?
Ce que ni le Dey, ni Noriega, ni Saddam n’avaient pas voulu comprendre à leurs malheureux destins : penser à l’alternance comme tactique stratégique infaillible non seulement pour sauver leurs personnes ou leur honneur historique mais aussi et surtout pour garantir la survie même de leurs pays.
Un roi de l’antiquité à Tyr avait compris cette sagesse et l’avait usée et avait su sauver - dit-on son – son pays, comme l’atteste cette citation du critique d’art Ibrahim El-Ariss que je laisse en arabe :
عن الملك بيركلس، الذي كان يحكم مدينة صور في الأزمان القديمة. لكنه ينهار ذات يوم امام تهديدات امبراطور اليونان المدعو انطيوخوس، الذي كان يبدو قادراً على تدميره وتدمير مدينته، ولا يكون منه – أي من بيركلس – إلا ان يقرر ذات يوم تسليم مقاليد الحكم الى وزيره الأول هليكانوس لمبارحة صور، حفظاً لها من ان تُدمّر إن هو بقي فيها، على يدي الإمبراطور اليوناني.
La raison politique devient-elle une raison mythique à peine touche-t-elle la terre de nos douars? Ou bien nos politiques, par leur bricolage, démontrent-ils une fois de plus que la culture de l’alternance et la démocratie reste encore totalement étrangère à notre terre, hors de portée de l’esprit prélogique de homo berbericus, une sorte de jeu trop dangereux pour les Algériens scandaleusement immatures et primitifs que nous sommes ?
Nos gouvernants, par leurs comportements d’un autre age, font en sorte que ces valeurs (mortelles pour les frileux et délicats Algériens que nous sommes) deviennent peu crédibles car ils les vident de leur sens et de toute leur utilité historique. Ainsi, nos gouvernants, contribuent-ils à bidonvilliser notre esprit et notre culture, comme si notre médiocrité, entamée des siècles auparavant, ne suffisait pas déjà à nous rendre malheureux et ridicules aux yeux des autres nations !
Certes ces valeurs sont le produit d’une longue histoire collective dont la plupart des Algériens n’ont pas encore pu prendre conscience et dont les rares élus de la providence (nos élites, toutes catégories confondues) n’ont pas encore bien intériorisées et maîtrisées.
Mais nos gouvernants doivent savoir qu’il faut toujours commencer par un petit pas. Zeroual l’avait fait en concrétisant le rêve de démocratie en Algérie par la limitation du nombre de mandats présidentiels. Bouteflika - semblable à ce personnage étrange dont parlait Adonis qui « hier, il a fabriqué un fanal et aujourd’hui il est jaloux de sa lumière » - nous a contraint de faire deux pas en arrière. Or le progrès et la sérénité politique reposent sur le cumul sélectif des expériences historiques et l’effort personnel de l’individu pour acquérir ce trésor de valeurs, l’enrichir et le transmettre enfin aux générations futures.
Une hâte suspecte
J’ai fait un cauchemar: « Je me vois dans un taxi qui m’emmène, seul, vers la ville (civilisation ?) Une voiture blanche qui procède dans une atmosphère crépusculaire, clair-obscur, étrange et angoissante. Le chauffeur est un ami, un certain N. En réalité, il fait l’ingénieur - je le sais par cette omniscience du rêveur. Il a une calvitie qu’il réussit bien à cacher grâce à des boucles de ce que lui reste des cheveux. Puis, comme ça se passe normalement dans les rêves, c’est son frère qui se présente à moi. C’est lui qui se trouve maintenant au volant. Dans la vie cette personne fait le délinquant. Ce changement de cartes, à même la table, me déconcerte mais le nouveau chauffeur me rassure. Et qu’importe ? L’essentiel est d’arriver à la clairière ou aux lumières de la ville. »
La peur et le désarroi ne se sont emparés de moi que plus tard, en plein jour, quand j’ai repensé à ce rêve terrible pour le lire à la lumière des évènements et pensées qui s’étaient écoulés la veille. J’avais eu vent, par les journaux, de l’intention de M. le président de remanier l’article 74 de notre constitution, notez bien, en extrême urgence et avec une détermination redoutable.
Puisque les journaux sont souvent fragmentaires dans la distillation des nouvelles et des informations, je suis allé consulter le site web de la présidence. Le discours du président annonçant le malheureux amendement, y était déjà. Je l’avais lu.
Ses déclarations me laissèrent un lourd et fastidieux sentiment d’impuissance. L’homme est fort, déterminé et personne ne l’arrêtera ! - me suis-je avoué. Il osait parler de la justice, du respect de la loi, de la démocratie… devant les juges pour avouer son intention préméditée d’humilier notre loi fondamentale ! Comment le petit peuple arrive-t-il à apprendre à respecter la loi ?
La faute est un peu à nos intellectuels aussi
En agissant de la sorte, comme s’il était l’unique personnage politique qui existe en Algérie, le président compte-il convaincre quelqu’un ?
En réalité, son discours et ses agissements n’ont d’effets que sur les gens indifférents je-m’enfoutistes, les niais, les opportunistes, les superstitieux aussi et les paresseux à esprit rétrograde, suranné et périmé.
Mais qu’importe ? Ces gens, que pourtant il arrive à lui-même de les appeler citoyens, ne comptent que comme compte un bétail dans une ferme.
Ce genre de comportement n’a qu’un nom : la gouvernance arbitraire, la dictature. Comment en est-on arrivé là ? C’est dû peut-être aussi au type de langage et des analyses bidons de notre intelligentsia. En fait celle-ci, inconsciente ou complice ou indifférente, tend à nous présenter notre président comme l’unique personne responsable de toutes les douceurs et de toutes les bêtises et misères de tous les Algériens !
Avec leur discours vide et leur langage malade, nos intellectuels (heureusement qu’il y’en ait quelque exception, malheureusement, rare) ont poussé les citoyens à avaler et assimiler un tel complexe de nullité citoyenne et existentielle ; à démissionner devant leur engagement moral, à se renier, à se sentir non concernés par les affaires publiques. Affaires qui sont par définitions leurs, qui leur appartiennent de plein droit non seulement pour en user mais aussi pour les défendre avec conscience, justice et fermeté.
L’on a vu des citoyennes corrompues, candidates concubines, excitées et inconscientes, qui criaient Bouteflika zaoudjouna ! De quel type de maisons sont-elles sorties ? sont-elles des femmes ou des hordes de femelles en rut ? Dans quelle époque vivent-elles ? Quel type de femmes et citoyennes représentent-elles ? Connaissent-elles la dignité?
Y a-t-il un espoir après un tel comble ? J’aimerais bien interpeller la société des femmes qui se battent pour leur dignité et la société des hommes libres et justes - qui les soutiennent dans leurs lutte contre l’oppression et l’humiliation des mâles – sur ce qu’ils pensent de ce prostitutionisme. Personnellement je ne l’aime pas.
Nos intellectuels aussi ont leur part de responsabilité dans le marasme algérien : ils n’ont pas su non plus hisser les citoyens vers les idéaux qu’ils semblent défendre et prêcher.
Au contraire, ils se sont abaissés avec leurs idéaux et leur langage jusqu’à faire perdre à ces idéaux et à ce langage leurs qualités intrinsèques et leur pertinence d’être la vraie locomotive du progrès civilisationnel et moral. Ainsi ont-ils fini eux-mêmes par se fondre dans l’acide et les sulfures érosifs de la médiocrité intellectuelle et de l’obnubilation politique caractérisant les Algériens.
Cette obscénité est la preuve par neuf que les Algériens, ou bien, ils sont Kouava ou bien il sont des ‘Abid qui ne sauraient exister que pour adorer un maître, quel qu’il soit ; pourvu qu’il se présente tel !
Du reste nous étions des laquais au service des envahisseurs turcs pendant 3 siècles et français pendant 132 années; en quoi ça peut nous gêner de faire encore les serfs pour un dit maître local pendant cinq infimes années!?
Des traditions du président
Et puis que signifient ces traditions et ces valeurs dont parle le président, dont il se pose comme unique sauveur et protecteur ? Sont-elles importantes seulement pour nous faire avaler son savant discours de rationaliser son abus du pouvoir ? Pour nous faire accepter le fait accompli ?
Pourquoi ce remaniement de la constitution alors que des traditions archaïques, qui gênent mortellement notre marche vers le progrès et la dignité, doivent-elles rester intactes et bien au chaud des marécages de la stagnation et de la putréfaction ? Pourquoi la constitution doit-elle être renouvelée… et encore : vers le négatif ? Pourquoi cette transgression vers le bas ?
S’il est vrai, comme dit le président, que l’Algérie soit une belle vierge et que tous les Algériens soient amoureux fous d’elle, pourquoi est-ce qu’il n’y a que lui qui doive en être le prétendant éternel. Les Algériens auraient dû comprendre cette métaphore et y lire clairement les intentions du président de ne plus démordre de l’Algérie (el koursi) : peut-on être berbère, arabe et pardessus tout musulman dans un pays musulman et accepter tranquillement qu’on partage sa femme, ou ses concubines avec quelqu’un d’autre – fut-il son propre frère ?!!
S’il vrai que cette exécrable tradition, du reste bédouine, de mourir au koursi, séduit le président par pur patriotisme, alors tous ceux qui ne deviendront jamais présidents ne seraient jamais des patriotes. N’est-ce pas absurde ?
Il avait accompli sa mission en ses deux mandats réguliers. Qu’il veuille enseigner aux fils chéris de cette bien aimée l’art de gouverner avec les bonnes manières et le beau style.
L’Algérie malheureusement n’est pas les Usa et pourtant là les hommes demeurent toujours des hommes tout en concédant leur belle à leurs semblables. Là, les hommes, malgré le vrai machisme, la vraie virilité (civique et morale, civilisationnelle donc), malgré leur libido dominandi fort développée, ils démontrent toujours qu’ils sont de simples hommes, pas plus indispensables que le reste des leurs concitoyens. Ils se montrent vraiment responsables et respectables donc. Ils ne cèdent jamais à la bouffonnerie de se vouloir rois et pour toujours ou Père-éternels.
Mais ce n’est pas ça qui intéresse le président ; comme ce n’est pas vraiment l’urgence de faire fonctionner l’Etat qui lui avait dicté sa manœuvre constitutionnelle… il voulait seulement trouver le mode de rester rivé à son trône.
Et c’est une habitude bien de chez nous que d’être toujours pressé de faire les choses, quand il s’agit de nos propres intérêts. Le président peut dire ce qu’il veut. Il peut améliorer ce qu’il peut de nos institutions ou les changer ou l’adapter à l’air du temps et c’est juste, légitime et nécessaire ; mais de là à faire passer la monocratie à vie comme une évolution positive de la politique, ce n’est pas juste ni légitime ni nécessaire : il a abusé du pouvoir que lui a conféré le deuxième et dernier mandat.
L’alternance en politique est la seule lumière qui éclaire le chemin de ceux qui nous gouvernent. Elle est la dignité des citoyens, elle est la seule légitimité politique de notre époque, le seul ciment organique qui soude les citoyens entre eux et qui assure la cohésion sociale et l’unité dans le respect mutuel et dans l’harmonie.
Notre président sera grand à nos yeux seulement s’il accepte de nous restituer ce qu’il nous a pris: ce grand acquis qui était venu renforcer notre indépendance et réaliser l’un des grands objectifs de Novembre 54 à savoir: l’alternance. L’alternance comme l’avait définie et établie l’article 74 de la constitution algérienne avant la manipulation de novembre 2008. Ah ce Novembre : il nous a créés en 54 et nous a humilié en 2008!
Le président qui voudra être grand à nos yeux, ce sera celui qui nous restituera notre Article 74, notre dignité perdue.
Qu’on regarde Chirac, le pourtant anti-algérien, lors de sa visite aux sinistrés des alluvions, comme il avait été applaudi et avec quelle chaleur il avait été accueilli par ces Algériens. Il avait pris la vedette à notre président, pourtant parfait Algérien et insoupçonnable révolutionnaire !
Pourquoi ? Tout simplement (une simplicité qui requiert des siècles de culture politique) Chirac connaît les lois de son pays (comme il l’avait démontré plus tard) et sait les respecter.
Mais pourquoi faire appel à la loyauté de Chirac : nous avons dans notre histoire lointaine, presque archaïque, des exemples de loyauté politique impeccable.
« Hannibal par contre est Carthaginois et il est trempé de culture grecque… il ordonna à son frère Magon de ne pas hésiter à attaquer quand viendra le moment…, il lui dit : Romani nihil ad hoc genus belli adsueti… les Romains ne sont pas habitués à ce genre de guerre. Sa guerre qui était originale en tout et géniale. » Paolo Rumiz.
Malheureusement notre président n’était pas au rendez-vous avec l’histoire. Ceux qui le comparent à Napoléon, ont raison mais seulement dans un cas : la grande soif de despotisme. Du reste Napoléon, empereur d’Europe, fut écroué par un simple amiral d’une petite mer pour le compte d’une île minuscule. Lord Byron avait toutes les raisons d’en être triste.
S’il y a quelqu’un à qui notre président aurait pu ressembler, s’il avait laissé l’article 74 intact et si le peuple l’avait sollicité spontanément pour un troisième mandat, c’est à Roosvelt. Mais il parait qu’un tel vœu relève, plus que de la chimère, du délire. Mais l’exemple de Roosvelt (élu exceptionnellement pour une 3e fois et violant ainsi la constitution américaine) n’avait portè à la manipulation de la constitution qui était retournée à travailler dans les normes fixées. Ainsi aurait dû être le cas de Bouteflika. Malheureusement il n’en était pas ainsi !
Alternance et résistance à l’alternance ou de la tragédie arabe
Par une bête tradition, les Arabes prennent le pouvoir dans le sang et le crime, le maintiennent dans le sang et le crime et ne le lâchent que dans le sang et le crime. L’essence de la tragédie arabe est que ses protagonistes sont ridicules. Et c’est peut-être ce type de tradition funeste qui a dicté à notre président l’impératif de violer notre constitution. Et c’est peut-être ce type de tradition funeste que notre président entendait préserver au nom de l’authenticité quand il parlait de tradition.
Nos gouvernants savent-ils que leurs gouvernés sont faibles ou, ce qui est presque la même chose, qu’ils sont assez décents pour avoir l’envie de provoquer, à chaque installation d’un potentat au pouvoir, une guerre civile ? Ce n’est pas que nos gouvernants soient grands ou raisonnables (mûrs et responsables), mais ils profitent tout simplement et effrontément de la faiblesse de la plèbe et de ce laisser-faire qui ressemblent à de la décence.
Il y a d’un côté donc ce laisser-faire dû à l’inconscience et à l’irresponsabilité de toutes les strates de la société qui restent épatées par ledit charisme de nos zaims (sauf quelques rares et insuffisantes exceptions) ; et de l’autre côté il y a cet esprit de chacalisme politique qui fait que nos gouvernants recourent d’une manière systématique, urgente et exclusive à l’abus du pouvoir et à la trahison de la confiance du peuple.
Tactiquement l’alternance permet au mandat passé d’être un exemple de gouvernance, un espoir et une chance pour les opposants et une manière de les apprivoiser, de faire comprendre que le pouvoir c’est l’institution et qu’il ne peut en aucun cas être confondu avec les agents qui sont les personnes. Celles-ci ne sont là que pour lubrifier le roulement et assurer le bon fonctionnement de l’engrenage politique.
L’alternance montre que les hommes sont des hommes et que leur rôle réside dans les services qu’ils rendent à la communauté ; que les hommes passent et périssent et les institution restent et continuent à fleurir et à porter leurs fruits ; que les hommes ne sont indispensables qu’autant que l’ombre l’est pour son objet ; que si l’Etat se trompe (ce seront les hommes-agents qui se trompent en réalité), il n’y aura pas de grands problèmes à sauver la face (puisque qui vient par la suite ne se sent pas responsable de l’erreur qu’aurait fait son prédécesseur – et s’il s’agit de mérites, il n’aura qu’à compéter et émuler avec les réalisations de celui-ci). Au contraire il aura les mains libres et la conscience aussi et sera donc crédible dans ses discours et ses entreprises pour remettre les choses en place et corriger les erreurs et les égarements hérités de son prédécesseur.
L’alternance crée une espèce de compétitivité horizontale entre les contemporains d’une même époque et verticale entre les générations qui se succèdent. Chaque type de compétitivité, théoriquement sain politiquement (qui accepte l’alternance et ses vertus), contribue par ses projets ou ses expériences à enrichir la culture et la pratique politiques.
La génération présente formule des projets après avoir bu et évalué de manière critique l’expérience de l’antérité et les rêves encore bruts de la jeune génération appelée à prendre la relève.
La vieille génération, sa mission accomplie et son devoir fait, se retire pour faire le bilan des ses idées et de sa praxis et aussi pour observer à tête reposée l’entreprise de la génération qui a hérité d’elle la lourde responsabilité de gouverner.
La génération future regarde, elle aussi, et cherche avec l’impatience et la fougue de la jeunesse, encore sous l’empire de l’inexpérience, à brûler les étapes avant que viennent la brûler et la faire raisonner la réalité, le réalisme et la sagesse des vieux routiers de la politique et de ceux qui sont en plein exercice de la gestion de la chose publique.
L’alternance, ça exprime et met en exergue la personnalité et les qualités des hommes et des femmes du pouvoir durant leurs vies mêmes, avant qu’ils soient morts ou décimés dans la honte par les calamités des révoltes et des contestations, avant qu’ils soient désavoués comme une peste ou une gangrène.
L’alternance est une ressource politique stratégique car elle permet de creuser dans les mines de richesses inépuisables du génie du pays pour en extraire de nouvelles possibilités et de nouvelles opportunités et de nouveaux modes adéquats pour la bonne gouvernance.
Elle permet de préparer des citoyens conscients et responsables qui puissent assurer des avenirs toujours rayonnants, prospères, libres et justes ; car alors ils sauront qu’ils auront affaire à des institutions stables et sûres donc et non à l’arbitraire de l’humeur des gens qui les gouvernent ; qui sont instables et imprévisibles par nature et, je dirais même, par vocation.
Oui, méfions-nous surtout de ce type d’Arabes
Oui l’institution est nécessaire car elle est la seule garante contre l’irrationalité de l’homme qui est toujours proie de ses passions et de ses limites. La stabilité de l’institution (l’Etat dans ce cas précis) ne doit pas signifier l’inamovibilité de quelque potentat assoiffé du pouvoir, mais le fonctionnement avec les paramètres de la bonne gouvernance que nous pouvons aller emprunter chez les nations qui nous devancent en ce domaine précis et dans tous les autres domaines bien sûr.
Il est évident que ces nations ne peuvent être que la France et les Etats-Unis d’abord car nous croyons les bien connaître, puis l’Italie, l’Angleterre, la Suède, l’Allemagne entres autres. Il est évident qu’on ne doive en aucun cas nous adresser à aucun pays fondamentalement despotiques, surtout les pays dits arabes. Oui, méfions nous surtout de ce type d’Arabes.
Ce n’est qu’à ce prix que nous porterons nos voisins et nos amis à nous considérer avec respect et à se fier de nous. Ce n’est qu’à ce prix que nous gagnerons leur estime et leur amitié. Ce n’est qu’ainsi que nous les amènerons à partager avec nous destin, ressources, expériences et solidarité.
Si l’institution s’identifie avec l’homme, celui-ci sénilisant, il sénilise inexorablement avec lui l’institution. Et c’est justement à éviter ce risque que sert la stabilité de l’institution quand elle est régie par l’alternance.
N’oublions pas que moult décisions concernant des évènements décisifs et des destins se jouent au niveau de l’imaginaire : ce qui compte c’est ce que les gens croient comprendre ou percevoir, c’est ce qu’ils imaginent. L’objectivité est rare et a besoin de science, de discipline, d’effort et surtout des opinions critiques que seule l’alternance peut garantir.
L’alternance n’est pas donc seulement une élégance ou une mode politique mais elle est une nécessité, une condition sine qua non pour construire l’Etat et ses institutions, pour éduquer le citoyen et l’engager sur le chemin du progrès, de la liberté et de la prospérité.
Il semble, hélas, que ce mimétisme oriental (Lacheraf) n’affecte pas seulement nos simples quidams de paysans ou de mécanos (à la Fellag) inconscients des enjeux vitaux de l’époque présente et de l’héritage de l’histoire, ignorants, manquants d’imagination et méfiant de leur génie propre, sans personnalité et sans originalité… mais ce mimétisme sévit jusque dans les hautes sphères de notre société, il touche la crème de nos élites gouvernante surtout, avec le président en tête !
Heureuse lacune
Pourquoi cher Président nous faites-vous subir cette honte historique ? pourquoi ? si ce comportement est vital pour vous, il est mortel pour nous et nous frappe dans ce qu’on a de plus précieux : notre dignité. Il est mortel pour l’Algérie, cette belle houria, dont nous sommes tous amoureux fous d’elle et mortellement jaloux.
Quant à Novembre, il n’est plus là où vous pensez qu’il soit (1954 n’existe plus depuis plus d’un demi siècle) mais il est parmi nous, habillé de cette aspiration des Algériens de vivre libres, avec décence et justice, gouvernés par des chefs généreux, justes eux aussi et libres ; pas par des despotes en tous les cas pas par des intrus ou des usurpateurs.
Vous pouvez bien mourir au gouvernail, M. le Président, mais l’histoire ne retiendra de vous qu’une date sans grande signification ou l’effigie d’un chef anonyme. Vous êtes trop intelligent, instruit, patriote produit direct de Novembre pour écrire de cette façon, une page de l’histoire de l’Algérie moderne.
N’êtes-vous pas déjà trop honoré par votre passé révolutionnaire, par votre contribution à la construction d’un Etat algérien qui ne devrait pas disparaître avec la disparition des hommes et enfin par les grandes réalisations, durant vos deux mandats, de la paix sociale et de la résurrection de l’économie nationale ? Qu’ajoutera un minuscule mandat à tous ces honneurs ?
Notre révolution – vous savez ça et vous nous l’avez enseigné – n’a pas de père fondateur, ni de zaim particulier ; pourquoi alors vous vous comportez comme si vous cherchiez à combler cette heureuse lacune de la révolution algérienne ? Comme si vous vouliez être adoré comme l’unique père fondateur de l’Algérie ? Pourquoi, au lieu de transmettre à vos concitoyens l’abnégation et la dignité que vous avait enseigné Novembre 54, avez-vous projeté de nous inculquer l’abjecte culture du culte de la personnalité, l’exécrable sens de l’hypocrisie, de la soumission, de la démission et du défaitisme ?
Les Algériens ne vous ont pas demandé de faire le père éternel pour eux (la plupart d’eux, en ont déjà un et ça aussi vous le savez). Et puis à leurs destins, ils pensent eux-mêmes, comme ils ont fait jusqu’ici et comme ils le feront par la suite quand ni vous ni moi ni nos contemporains ne serons plus ici pour y fourrer nos nez..
Les Algériens veulent tout simplement qu’on respecte leur volonté et donc cette loi qui leur garantit cette forme de dignité ; ce que vous et nos autres gouvernants attendez de nous : le respect de la loi. Vous n’avez pas tout de même l’intention de nous enseigner le non respect de la loi ? Pourquoi détruisez-vous en nous le déjà mal-mis et piètre sens du civisme et de la moralité et nous catapulter directement vers l’age des cavernes, vers l’état de la jungle où il n’y a ni loi ni foi ?
Votre force réside dans l’éparpillement et le chaos des forces de vos gouvernés. Forces négatives de l’ignorance, de l’indifférence, de la paresse mentale, de l’opportunisme, de la complicité, de la superstition, en somme de la médiocrité généralisée.
Ce n’est pas un mystère et il n’est pas besoin d’aller en chercher l’explication par le génie ou par le charisme caractérisant et légitimant...
Smari Abdelmalek