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Vues et vécus en Algérie et ailleurs. Forum où au cours des jours et du temps j'essaierai de donner quelque chose de moi en quelques mots qui, j'espère, seront modestes, justes et élégants dans la mesure du possible. Bienvenue donc à qui accède à cet espace et bienvenue à ses commentaires. Abdelmalek SMARI

Le luxe indispensable : Tristes intellectuels du pays délicieux ! ( 8 ) et fin

« ‘‘Gambadez, mes enfants, jouez, courez ;

vous l’avez mérité’’, s’enthousiasmait la voix

chevrotante du vieux directeur des études. Non

El Mechouar n’était pas la géhenne ; c’était juste

un univers incompatible avec le statut des enfants.

On nous a aimés avec les moyens du bord alors

que nous réclamions l’amour du monde entier. »

 

Yasmina Khadra    « L’écrivain »

 

 

 

Je participe donc je suis… autrement, ni Etat ni temple ?

Pourquoi cette réticence au civisme ? Pourtant, payer ses impôts c’est participer aux œuvres publiques. Œuvres pour lesquelles le Citoyen, contribuant, aura peur de les voir ruinées par les saccageurs et les saboteurs.

C’est comme ça qu’il faut concevoir les impôts : une identification de l’individu avec l’intérêt général qui aura pour effet une espèce de mécanisme générateur de solidarité sociale et d’éducation morale et civique. Cette participation à l’œuvre commune sera une sorte de camp d’entraînement où le Citoyen apprendra à être responsable, à s’exercer pour vaincre son égoïsme et sa barbarie. Je participe donc je suis… responsable.

L’impôt est l’épine dorsale de toute collectivité et est la vie et la raison de tout Etat. C’est le vrai moteur de toutes les guerres et de toutes les prospérités. L’histoire de la fondation du premier Etat de l’Islam, avec ses guerres de la Riddah en particulier, nous dit combien l’impôt est vital dans la vie des sociétés humaines.

Cette vérité nous la jette en face, encore une fois, l’histoire d’une partie de ce même monde de l’Islam : le déclin des villes nord-africaines vers la fin du Moyen-Âge est advenu parce que les princes et les Autorités étatiques de ces dernières n’arrivaient plus à prélever des taxes, en raison de la perte du monopole sur le chemin du sel et des épices.

L’on sait qu’alors avait déjà commencé le processus de mise en marge des Arabes et dans le même temps s’est enclenché celui de mise en marche des nations vives et vigoureuse de l’Europe rajeunie après le vieillissement du Moyen-Âge. Ces nations qui avaient découvert d’autres voies et su se passer de l’importance des Arabes en s’arrêtant de leur payer taxes et droits, les contraignant par là même à mourir à petits coups par inanité et par inertie.

La fameuse formule qu’on attribue à Jésus Christ « Donner à César ce qui appartient à César et à Dieu ce qui est à Dieu » a été bien interprétée par les Chrétiens d’occident et a engendré chez eux le sens profond et lucide du civisme et de solidarité sociale. Ce n’est que récemment, après que ce civisme leur est devenu une seconde nature que ces nations vives ont commencé à utiliser ce précepte fondamental comme argument et outil pour priver Dieu de la politique. Leurs peuples n’ont plus besoin de ce prétexte khaldounien (la religion-prétexte) pour amener leurs concitoyens à veiller sur l’intérêt public.

Comme toujours homo berbericus, qui est à la traîne, saisit les choses par le derrière : ainsi a-t-il voulu exclure Dieu (déjà !) – qui pourrait ne rien à voir avec les déboires des hommes – en pensant de brûler les étapes et d’arriver droit et vite aux fruits de la bonne interprétation du rapport Dieu/César. Tout comme ce corbeau qui, croyant avoir découvert le mode idéal pour se procurer de la bonne moelle, élève les os très haut dans les airs pour les laisser ensuite tomber sur la terre comme l’a toujours fait l’auteur du procédé (un autre oiseau intelligent et inventif). Seulement voilà : étant imitateur et donc stupide, le corbeau ne sait pas qu’il faut les laisser tomber sur un terrain dur et cassant ; pas sur les tendres touffes d’herbes des prés.

Bien que l’on dise que les musulmans soient incompatibles avec la laïcité, il faut noter que par contre ils ont toujours vécu tiraillés entre les extrêmes du tandem religion/Etat. D’où la décision ferme de ne rien donner ou concéder à l’Etat ou à Dieu mais de tout réclamer de Dieu et de l’Etat. Cet infantilisme s’observe nettement chez les religieux modernes surtout - ou ceux parmi eux qui justement ont choisi le camp de la religion pour justifier leur hostilité à l’Etat sous prétexte que ce dernier soit impie et n’ait donc aucun droit  sur l’individu croyant – qui ont érigé cette avarice et cette ingratitude au statut de principes et de dogmes religieux.

Le problème c’est que, leurrés et dupés de la sorte, la plupart des Algériens ont fini par ne plus payer rien à personne, ni à l’Etat ni au temple.

 

Tout le monde est un seul pays

Ainsi donc est-il nécessaire pour nous de travailler afin de transformer l’idée erronée qui suppose que l’Etat soit fondamentalement répressif ou, pire encore, une sorte de corps étranger - bien qu’il soit chair de notre chair -, au lieu de voir en lui un cadre et un instrument de libération et d’épanouissement civilisationnels.

Nos intellectuels, avec le funeste appui des experts Cartitas urget, tendent à rendre mystérieux des processus historiques irrépressibles qui pourraient et devraient être bien clairs pour les Citoyens afin qu’ils pensent et agissent en connaissance de cause, avec conviction et en toute liberté donc dans les vastes champs minés de ce qu’on appelle la Citoyenneté ou la participation active et lucide du Citoyen à la gestion de la res publica.

En confisquant la parole des Citoyens avec l’infondée et absurde excuse de les défendre d’un fictif Eta/ogre, nos intellectuels et leurs sponsors ou souteneurs leur interdisent paradoxalement l’accès à l’autonomie et à la responsabilité civiques.

Non seulement ils ne veulent pas les responsabiliser et les aider à s’affranchir de l’empire de leur paternalisme piétiste mais ils s’attaquent à l’histoire pensant peut-être de ridiculiser les fondateurs des empires et des civilisations quand ils les accusent d’imposture et d’obscénité épistémologiques. Ils ne savent pas que c’est eux-mêmes, leurs propres êtres, qu’ils tournent en dérision. D’ailleurs ils sont champions dans l’interprétation étriquée et mystificatrice : ainsi « Donner à César ce qui appartient à César et à Dieu ce qui est à Dieu » devient une simple formule magique de division des pouvoirs pour affaiblir ces pouvoirs et pour mieux les abattre.

Pour eux la zakat serait une pratique d’exaction. Ils ne se posent pas l’hypothèse que c’était déjà la première ébauche de légitimer une pratique sociale fondatrice des sociétés et des empires : apprendre à payer les taxes librement.

La zakat, ce concept noble et opérationnel pour la fondation et la maintenance de l’Etat, version arabo-islamique, deviendrait une vulgaire et ignoble pratique de charité et d’aumône. Et un chef comme Abou Bakr le premier Khalife - grand parmi les grands stratèges de l’histoire universelle -, qui déclara la guerre non pas à ceux qui buvaient le vin, forniquaient, blasphémaient, désertaient les mosquées, mangeaient le porc, ne faisaient pas ramadhan ; non, non pas à ceux-ci mais à ceux qui avaient refusé de payer les impôts ; un chef comme ce grand homme d’Etat deviendrait un terrible chef fanatique, vorace, sanguinaire et stupide.

D’ailleurs les Algériens étaient-ils capables de créer une notion si articulée et si riche de sens et si opérationnelle, comme celle de la zakat ? Les Algériens qui dénigrent un homme aussi grand, sont-ils capables d’inventer de notions pareilles et de créer le propre nom ou outil épistémologiques ? Savent-ils au moins combien ils sont ridicules avec leurs protecteurs et les protecteurs de leurs protecteurs ?

Un autre concept est celui de la Dhimma. On ne peut pas dire à Bill Gates de changer le nom de son système software, pour la simple raison qu’il est l’inventeur et le promoteur d’un tel système. Le mot zakat n’en a pas moins droit à exister avec toute sa noblesse et toute sa fierté, pour la simple raison qu’il était élaboré par des siècles de pratique de politique fiscale de l’une parmi les plus grandes civilisations humaines. Il avait eu son rôle historique. Et comme tous les concepts, il avait et il a aujourd’hui encore des imperfections dans son aspect applicatif, mais il a servi.

Si le terme zakat renvoie à la purification ou religionisation de l’impôt ; si la Religion d’alors dans cette partie du monde était l’Islam et l’Islam était la Religion, alors la zakat est Islam ou plus précisément relève de l’Islam. Or un non Musulman, Citoyen de l’empire musulman et par définition ne reconnaissant pas l’Islam, ne pouvait ni devait justement subir la zakat car elle est faite pour les Musulmans. Y a-t-il de plus cohérent que ça ?

Puisque le devoir de Citoyen transcende les confessions et les couleurs de la peau, le devoir du non Musulman de participer à la construction et à la maintenance de la Cité ne s’abroge pas pour autant : ce que vient abrogé à son profit c’est l’aspect confessionnel de l’impôt-zakat. Quant à l’aspect fiscal, il demeura intact et imprescriptible. Et l’on ne voit pas pourquoi le Citoyen non Musulman devrait être épargné de la condition d’être Citoyen !

Alors par finesse d’esprit, par sensibilité attentive et par souci aussi de respecter les gens des autres religions, les pères fondateurs de la civilisation de l’Islam avaient forgé cet autre concept paria : la dhimma et dérivés. Cette institution emprunte son nom aux gens de dhimma, les gens du livre, c’est-à-dire les gens qui ont le droit d’être protégés et, au même moment, le devoir d’être solidaires avec leurs concitoyens. Tout le monde est un seul pays - dit-on.

C'est selon la formule américaine « no taxation without representation ».

 

Une règle politique universelle

Et moi je n’entends pas défendre une pratique de l’Islam, mais affirmer une règle politique universelle que les Musulmans avaient comprise et appliquée - au mieux qu’ils pouvaient - pour sauvegarder la cohésion sociale de leur empire naissant. Empire qui se révéla ambitieux et vorace et qui avait besoin de toutes les énergies possibles, à sa disposition, pour grandir et se fortifier.

Ainsi donc, ces concepts et d’autres encore - élaborés pour la même fin sous d’autres cieux géographiques et à travers différentes époques historiques - ont-ils pour fin de garantir les moyens de subsistance pour l’Etat, ce cerveau macroscopique et de nature sociale et politique. Cerveau qui semble râteler pour son propre ego tout l’oxygène, alors qu’il ne le fait en réalité que pour la survie de la société en général.

Qu’on songe par exemple aux mobiles profonds des guerres. Quand la Révolution Française avait épuisé la France et vidé les caisses de l’Etat, le Directoire chargea le général Bonaparte non pas d’exporter la révolution (ce qui était l’un des vrais motifs manifestement mystificateur, idéologisant l’histoire) mais d’envahir l’Italie pour s’emparer surtout des « riches greniers de la Lombardie ».

L’histoire humaine peut et doit être écrite par les fiscalistes ; et ça ne sera que plus juste et plus pertinente. Les taxes sont une réalité ; et des termes comme « Donner à César…, la riddah, la dhimma ou autres encore » sont des concepts historiques et d’administration fiscale. Concepts qui rendent compte de réalités tangibles et indispensables à la vie des hommes. Réalités pour lesquelles ces mêmes hommes sont prêts à mettre à feu ciel et terre pour les garantir. Ils sont prêts à allumer les guerres quand les rendements locaux ne suffisent plus ou quand leurs Etats se pervertissent et deviennent avides même si – agissant ainsi – ils courent à leur propre ruine avant qu’ils causent la ruine des autres.

Comment vit l’Etat et végète, si non grâce à la contribution ou, si l’on veut, la participation de chacun des Citoyens qui le constituent ? Pourquoi devons-nous le soutenir ? Mais qu’est-ce que l’Etat ? Est-il légitime ? Est-il indispensable ? Pourquoi se laisse-t-il identifier avec le bourreau plutôt qu’avec la providence ? Et pourquoi, même s’il est vu souvent comme la barakah de la providence, est-il toujours honni et haï ?

L’Etat, l’on ne cesse de répéter, c’est cette structure organisatrice qui émane de la nécessité pour un groupe de dégager des ressources en les concédant à une partie des membres de ce même groupe afin qu’il (ledit groupe) s’assure ordre, sécurité, protection, solidarité, entraide … tout le monde est d’accord là-dessus, mais le problème c’est qu’on veut donner non pas suivant ce que la loi établit mais suivant les caprices et l’humeur du moment, c’est-à-dire selon l’égoïsme de chacun, c'est-à-dire Rien !

Il y a anarchie quand il y a excès de générosité et il y a anarchie aussi quand il y a avarice. Ces deux extrêmes sont l’expression d’une même anomalie : le vice d'interpréter la loi par l’arbitraire de l’individu, où celui-ci en serait la mesure et donnerait la quantité qu’il veut, s’il veut, quand il veut, à qui il veut et il s’en interdirait si ça lui chantait et il chantagerait celui à qui il aurait donné…

Pourtant, l’homme est contraint de vivre en société dans un état de rapports infinis, complexes et nécessaires avec ses semblables et avec le monde ; et c’est justement le rôle de l’Etat de réglementer ces rapports et ces relations en accordant toute l’importance au bien-être de la communauté, en veillant à l’intérêt général et en garantissant une certaine Culture (avec C majuscule) de civisme et de doux-vivre utiles à tous et à tout, même à la religion !

 

Feus grands Arabes

Qu’y a-t-il donc de plus scandaleux dans des Etats qui cherchent à protéger leurs sujets en recourant à des outils conceptuels originaux, respectueux et honnêtes ? Concepts forgés ad hoc et qui se gardent bien de froisser la sensibilité d’une part non indifférente de leurs Citoyens que les cultures et les confessions diverses rendent différents. Et puis ils (feus grands Arabes) étaient les maîtres de leur temps et de leur destin. Ils ne devaient pas, comme les inutiles Arabes d’aujourd’hui, rendre des comptes à Paris qui n’existait même pas alors, à Londres ou à Washington.

Ces Arabes-là, avec les peuples qui leur tournaient autour, étaient de vrais souverains, pas comme les souverains arabes d’aujourd’hui qui sont des vrais fantoches. Pourquoi donc s’acharne-t-on encore à leur chercher querelle, à leur en vouloir bien qu’ils n’existent plus depuis des siècles ? Pourquoi cherche-t-on à leur reprocher leur mode d’avoir conduit pour des siècles la civilisation humaine, battu la mesure et scandé le rythme que leurs contemporains suivaient avec admiration et conviction, comme nous suivons, nous-mêmes aujourd’hui, ces suiveurs d’antan ?

Qu’auraient-ils fait ces dénigreurs à leur place ? Et pourquoi est-ce qu’ils ne font pas bien et mieux, eux-mêmes, ce que les autres époques ont mal fait ? Ils sont hic et nunc, les dénigreurs de l’histoire; ils ont une époque, du temps, un prétendu savoir et en plus ils se présentent comme des maîtres de la civilisation et du progrès… pourquoi est-ce qu’ils ne réussissent pas à forger un système conceptuel original, utile et moral pour les choses de la vie et pour la conscience des choses et de l’époque sans aller parasiter leurs vies, leurs arts et leurs savoirs auprès des productions parisiennes, washingtonniennes, tokyoïtes ou florentines ?

Leur image fait pleurer de honte et de pitié. Leur image ressemble à ce touriste qui regarde la tour de Pise et reproche à ses architectes et constructeurs la torsion ou l’inclination. Leur image renseigne sur le vide qu’ils n’ont rempli que de ridicule et quand ils ne sont pas capables de ça c’est de haine qu’ils le remplissent. Voilà le portrait type du serf qui n’ose regarder le vrai maître qu’une fois mort ou absent.

Que pourraient-ils faire, ces dénigreurs? Peut-être seraient-ils allés ailleurs (encore faut-il qu’ils en soient capables) dans les arcanes des siècles morts – après le procès - pour exécuter la sentence et justicier les habitants des tombes, les morts, les vrais morts. Car il y a des morts faux (quand on n’arrive pas à accéder au rang des grands édificateurs de la civilisation universelle, on est mort). Ces dénigreurs ne sont même pas dignes de mourir, pour la simple raison logique qu’ils n’ont pas existé, qu’ils n’ont pas eu l’occasion d’avoir une vie digne de ce nom.

Ces messieurs, ou ils sont ignorants ou ils sont incapables de lire la réalité par leur propre esprit et par leurs propres moyens épistémologiques. Ils sont de par ça incapables de critique. Ils sont comme l’âne de la fable qui voulait chanter mais qu’il ne faisait entendre que ses âneries.

La critique est aussi critique de la critique. Elle n’est pas seulement une vogue ou une mode que l’idéologie dominante du moment (dominante par le prestige, la propagande, et la force de frappe) impose. Ou bien ces messieurs voulaient-ils nuire à l’histoire des hommes qui étaient mille fois plus utiles à l’humanité qu’eux… et alors ils se comporteraient comme des vers qui rongent une charogne? Ingrats comme ils sont, ils ne veulent pas voir la grandeur de ces peuples d’antan et en apprécier à leur juste valeur les peines, les efforts, les sacrifices, les réalisations et les gloires aussi.

D’ailleurs sont-ils capables de comprendre ce qu’était l’humanité avant les Arabes et ce qu’elle était devenue grâce à eux, après eux ? Ou bien sont-ils envieux de leurs mérites historiques que jamais, au grand jamais, ils ne pourraient songer (pas même en rêve, eux qui ne rêvassent et délirent que trop) en réaliser une figue sèche ?

 

Grandeur et misère des hommes

Ce comportement social généralisé a une origine psychologique. On peut s’en rendre compte en observant nos propres réactions devant le succès de notre prochain : l’admirer ou l’envier. Figurez-vous si l’on a devant nos yeux une personne ou un peuple qui deviennent un rond-point obligatoire, distributeur de sens et de directions, dans les chemins de l’histoire ! C’est une espèce de rêve qui ne saura certainement jamais être conçu ou réalisé par des éphémères insectes de l’histoire, jamais. C’est une espèce de rêve impossible mais qui suscite admiration ou critique des esprits sains et envie et dénigrements bilieux des esprits médiocres.

Nos soi-disant critiques se comportent plus en dénigreurs envieux qu’en penseurs qui soumettent à l’analyse et au jugement les idées des hommes et leurs actes, l’histoire et les parcours de l’évolution des hommes, les échecs et les réalisations, les abus et les erreurs de leurs méthodes, les limites humaines, enfin la grandeur et la misère des hommes.

Nos intellos sont comme leurs cousins Moyen-orientaux qui l’autre hier – quand l’Amérique chantait les louanges à Saddam -, eux, ils se prosternaient, le cul en l’air, et tremblaient devant les effigies du Rais. Après cette nuit de miel, quand la même Amérique décida de déchoir le même Rais en le dégradant au rang du diable et de dictateur, ces cousins de malheur se mirent, de leur côté, à psalmodier le mouaouidateine (prières) contre le Rais maléfique.

Aujourd’hui que l’Amérique a pendu Saddam par la corde et les mains de ses compatriotes, les voilà enfin relevés et qui semblent jubiler de joie ! Espèce d’étangs pourris qui n’ont de propre que leur puanteur et leur fétidité.

Pauvre cerveau berbericus dont les représentants sont nos intellectuels ! Saurons-nous jamais être protagonistes de nos idées, de nos sentiments ? Saurons-nous jamais que l’histoire, elle, sait bien se passer de nous si nous continuons à humilier des pans entiers de ses réalisations ? Ou bien sommes-nous nés pour être traînés comme des lourdes masses inertes et inconscientes ? Nous préférons tout lire et interpréter en clefs de religion et de superstition !!

Nous avons réduit toute la vie sociale et politique de l’Algérien au religieux. Nous avons fait de lui une espèce de homo islamicus. Nous avons parlé, de part et d’autre (adulateurs et dénigreurs de l’Islam), de pacte, protection, tolérance, laïcisation, exaction, humiliation, intolérance et qu’en sais-je encore ? Nous avons parlé de tout sauf des impôts ou des taxes !

Nous nous refusons de voir dans la zakat-dhimma un système fiscal, à l’instar de tous les systèmes fiscaux du monde et de l’histoire des Etats et des royaumes. Pourtant une bonne part de nos intellectuels se considèrent et se vantent même d’être laïcs ! Le malheur est qu’ils se complaisent dans ce rôle et se sentent heureux, tranquilles, béats, pas du tout imbéciles.

 

La misère politique et les cacheurs de la réalité

Mais pourquoi cette mystification qui porte nécessairement au divorce entre le Citoyen et sa Cité ? S’agit-il d’ignorance, de mauvaise foi, d’aliénation ou de méninges abêties et abruties qui peinent encore à saisir les jeux et les enjeux de la vie des sociétés ?

La faute est à ce manichéisme - signe d’analyse encore primitive et non mûre de la politique - : un Citoyen est ou religieux ou laïc. Quand au qualificatif bon ou mauvais : le religieux est le bon Citoyen pour le religieux et le laïc est le bon Citoyen pour le laïc. Point de demi-mesure !

Nos intellectuels n’ont pas encore accédé ou n’ont pas encore franchi le seuil de cette analyse superficielle et primitive. Ils y pataugent encore, ils semblent prendre du plaisir à y patauger ! Ils n’ont pas encore accédé à la conception moderne de la politique : celle-ci est déjà devenue depuis deux ou trois siècles une sorte de division sociale des opinions politiques.

Mais - diable ! - en Algérie, n’a-t-on pas droit d’avoir des tendances idéologiques de ce type (que je présente empiriquement, et qu’il serait souhaitable que nos spécialistes érigent et forgent en concepts et en tendances ideologico-politiques réelles) : les antiquistes, les arabo-islamistes, les berbéristes, les nationalistes, transpercés transversalement par des courants de gauche, de droite, de conservatisme, de modernisme, d’européisme/américanisme, libéralisme, dirigisme, laïcisme, fédéralisme, centralisme, réformisme, révolutionisme, théologisme, individualisme, collectivisme… ?!!

Tous ces courants existent bien en Algérie, mais puisqu’ils constituent une vraie richesse culturelle et une mine épistémologique précieuse, l’on tend à les cacher. Car les Algériens, selon ces cacheurs de réalités, ne devraient en aucune manière se présenter en riches sur le plan des idées et surtout, surtout, ils ne devraient jamais prendre conscience de ces richesses politiques et idéologiques ou les assumer ouvertement et avec engagement !!

Une telle conscience porterait nécessairement ce peuple soumis, non souverain, suiveur, exploité, misérable, ignorant, sans ambition, réprimé, vivant dans des gourbis, mangeant à peine à sa faim ; ce peuple auquel manque l’eau - non pas pour les piscines et l’irrigation de l’agriculture mais - l’eau à boire et peu importe si elle insalubre… Une telle conscience le porterait au réveil, au labeur, au savoir, à l’indépendance, à la prospérité, à la création, au doux-vivre et surtout et enfin à la dignité d’exister comme protagoniste historique et non pas comme un parasite toujours affamé, jamais assouvi.

Que faire ? Un appel à nos intellectuels à refonder la manière de poser nos problèmes, surtout les méthodes et les outils conceptuels, et chercher d’en faire une priorité et une culture politique nationale. Il serait souhaitable de dresser par exemple un visage politique en terminologie moderne de l’Algérie actuelle, qui sera accessible donc à l’appréhension et à la capacité compréhensive des nouvelles générations composant ses habitants.

Pour ce faire, il convient de sonder et reconnaître les alliances stratégiques ou tactiques structurelles ou conjoncturelles, d’intérêts ou de sensibilités entre les forces et les courants politiques qui secouent en sourdine l’âme de la nouvelle Algérie. En identifiant et en objectivant ces impressions vagues et indécises, en leur donnant forme, en les rendant ainsi tangibles grâce aux définitions et aux conceptualisations… ;
En théorisant donc ces vagues impressions, en les culturant, on réussit à aider les gens à se connaître eux-mêmes, tels qu’ils sont, à se reconnaître aussi et à s’identifier à l’idée qu'ils se font d’eux-mêmes.

C’est ainsi qu’ils arrivent à s’assumer et à être responsables de ce qu’ils pensent, de ce qu’ils veulent ou de ce qu’il émane d’eux, de leurs positions politiques et de leur forces citoyennes de construction de la Cité. N’oubliant pas que la Cité n’est après tout que le Citoyen.

Il convient d’étudier les projets de nos compatriotes à la lumière et en termes de la pensée politique moderne, en faire parler les promoteurs et les protagonistes, les aider à clarifier et peaufiner leurs idées en les interrogeant, en les critiquant, en faisant des contre propositions, en débattant via media, meetings, associations… tout ça avec lucidité et courage sans avoir peur de s’exposer à l’observation et à la critique. C’est au prix de ces sacrifices, de ces efforts, de ces engagements que l’Algérie deviendra égale à elle-même, l’Algérie qui s’était levée grande et libre un certain 1er Novembre.

 

L’édit d’Alexis de Tocqueville

Réveillons-nous chers Citoyens, soyons modestes et reconnaissons notre responsabilité dans le malheur qui nous étreint et nous tenaille : c’est la clé de notre dignité. Ne nous laissons pas avilir par ceux qui se sont autoproclamés nos dieux et nos sauveurs. Nous devons savoir que le piétisme et la protection que nous proposent Messieurs Caritas urget – même s’ils nous apparaissent des voiles frêles et vulnérables - sont, dans les faits, de vraies chaînes et de lourdes servitudes.

Tout de nos destins doit être et n’est déterminé que par nous-mêmes, seulement par nous. Sachons qu’il n’y a point de djinns ou de forces supranaturelles - que nous miroitent les superstitions millénaires et les Messieurs/dames Caritas urget – capables de nous changer pour le mieux.

Ayons donc un peu de modestie, un peu de confiance en nos propres forces et en notre volonté, un peu de lucidité… et nous verrons que ceux qui se sont autoproclamés des Pèrétenels pour nous, ils  ne sont en réalité que des imposteurs, des assassins de consciences, des faiseurs de serfs et d’esclaves, des marchands de misères et de malheurs.

Pourtant cette terre n’a jamais été avare ni stérile des fils aussi généreux qu’un certain Aurèle Augustin, chevalier du savoir et de l’intégrité morale. Oui, en fin de compte, il s’agit fondamentalement de générosité. Seule la générosité fait de l’individu un Citoyen. Seule la générosité peut domestiquer la barbarie et amadouer les égoïsmes. Les lois, à elles seules, dans une société pourrie, ne créent que de l’hypocrisie et du sabotage.

Augustin, ce fils de ce même pays, disait il y a 17 siècles de ça : « Partageons avec celui qui a faim notre pain et invitons chez nous le vagabond sans toit, et habillons l’homme nu et ne méprisons point les gens de notre propre demeure, de notre semonce. » Confessions XIII.

Il connaissait bien, lui, les Cités humaines et jusqu’à celles des cieux. Il n’était pas assez dupe ou superficiel pour entendre, par-là, nous enseigner la mesquinerie de donner ou de recevoir la charité, mais il entendait bien institutionnaliser la solidarité entre les Citoyens de la grande Cité qu’est l’humanité entière.

Quant au pouvoir, c’est plus un métier, un savoir-faire et surtout un service à rendre à la communauté pour administrer le bien public pour le bien de tous les individus. Qui le veut donc, qu’il s’y prépare, qu’il commence par exercer ses dons sur ses petites responsabilités en se consacrant au service de sa maison, de son quartier, de son douar ou de sa ville, qu’il se forge des buts et des méthodes, qu’il se fasse connaître, qu’il ait le courage de s’approcher.

Quand l’Etat aura besoin d’une relève, il le trouve prêt. Qu’il nous prouve surtout qu’il est plus intègre, plus compétent, plus génial que ses prédécesseurs ou rivaux, soi-disant corrompus et imposteurs. Ou alors qu’il se pelote autour de sa petite cour et qu’il cesse d’insulter les gens ou de les accuser de Kaba-i-re sans preuves ni fondements.

Quant aux impôts, même si nous leur donnons le nom de Zakat, dimma, lazma ou fisc, ils ne seront jamais une aumône ni une faveur ou œuvre de charité, mais seulement un devoir. Un devoir sacré. Manquer à ce devoir serait un crime très grave ; et un crime appelle le châtiment inexorable de qui le commet. Ça, il faut bien que la frange des Algériens qui pataugent encore dans l’ignorance et l’égoïsme, se le mette bien dans la tête et y obtempère sans trop languir. Il n’y a pas de temps pour pleurnicher ni en tant que victime ni en tant que Caritas urget.

Il y va de même pour le pouvoir : en Algérie, il ne doit en aucune condition être livré aux non Algériens. C’est un conseil très précieux que nous donne Alexis de Tocqueville, malgré lui.

Avisé comme il était, incohérent aussi et égoïste, Tocqueville édicte sentencieux (après avoir critiqué les Turcs qui gouvernaient, avant les Français, le pays délicieux) :  « Partout, le pouvoir politique, celui qui donne la première impulsion aux affaires, doit être dans les mains des Français. Une pareille initiative ne peut nulle part être remise avec sécurité aux chefs indigènes. Voilà le premier principe. » Premier principe donc pour substituer les Turcs qui ont fait descendre le marabout de son coursier pour monter sur un âne.

Smari Abdelmalek

 

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