Vues et vécus en Algérie et ailleurs. Forum où au cours des jours et du temps j'essaierai de donner quelque chose de moi en quelques mots qui, j'espère, seront modestes, justes et élégants dans la mesure du possible. Bienvenue donc à qui accède à cet espace et bienvenue à ses commentaires. Abdelmalek SMARI
Chers lecteurs, chers éditeurs, après avoir terminé une trilogie politique "DZ - le sens de l’Etat chez les Algériens", je récidive avec ce nouvel ouvrage sur la littérature. Ouvrage en cours de préparation : il sera prêt dans six mois environ. Ce qui suit en est l’introduction.
Bonne lecture à tous.
Littérature est littérature, c’est le titre que j’ai choisi de donner à mon ouvrage présent.
Mais pourquoi un tel titre ? La littérature n’est-elle plus littérature ? Et qui ose nier une telle évidence ?!
Bien entendu, on a tous les droits d’exclure de la littérature une œuvre qui manque de qualités littéraires, mais seulement pour indiquer qu’elle en manque, pour distinguer le beau travail du mauvais. Personne n’a le droit de bruler une œuvre ou de la jeter à la poubelle, sauf peut-être l’auteur de l’œuvre même… et encore faut-il que quelques bonnes âmes le lui permettent !
Malheureusement il y a des énergumènes – comme cela se passe ici en Italie - qui tendent à nier le droit d’exister à toute une littérature, seulement parce qu’elle est produite par des immigrés issus du tiers-monde.
Il va sans dire qu’une telle attitude serait une folie, car elle vise à amputer l’humanité d’une bonne partie d’elle-même, l’esprit. Pourtant cette littérature est, en tant que production de l’esprit, noble par les efforts que leurs auteurs consentent et endurent afin d’explorer notre humanité et nos sensibilités pour s’exprimer, pour comprendre soi-même et les autres et se faire comprendre, pour enrichir le patrimoine spirituel et artistique de l’humanité.
Pourtant ces auteurs issus du tiers-monde appartiennent à cette catégorie de citoyens (cinq millions environ) qui vivent en Italie et « qui contribuent à la production de 11% du PIB. Grâce à leur travail, ils versent environ 11 milliards de cotisations de sécurité sociale dans les caisses de l’État ; des ressources précieuses pour le bien-être national, qui ne sont cependant pas prises en compte. » – voir « La giustizia è una cosa seria – conversazione di Antonio Nicaso con Nicola Gratteri » Milano 2012 Oscar Mondadori – Piccola Biblioteca Oscar, Prefazione di Vittorio Zucconi
Les personnes n’acceptent pas l’anonymat et la fusion dans le troupeau sans quelques distinctions... ce serait une espèce de symbiose psychotique. Malheureusement les détenteurs exclusifs de la littérature n’admettent pas ou ne peuvent pas concevoir que les auteurs tiers-mondains en général revendiquent légitimement ce droit à la distinction. Souvent on en fait une espèce d’aèdes pour quelques tribus primitives, sans sens aucun d’esthétique et de conscience.
Littérature d’impact ai-je appelé la littérature arabe en particulier de notre ère moderne. Elle a certes eu besoin de la littérature d’avant-garde qu’on appelle occidentale, mais elle est aussi re-née de ses cendres - étant donné qu’il n’y a pas de peuples qui manque d’une forme de littérature qui devrait être pour la société ce que la conscience est pour l’individu. Donc la rencontre de la littérature arabe avec cette littérature motrice et hégémonique fut un choc qui l’a secouée et réveillée, et alors elle s’est remise en marche. Bien sûr elle a eu au début besoin des modèles de styles et de thèmes pour se revigorer et se mettre en valeur, et dans certains cas de zèle elle a atteint le paroxysme de changer jusqu’au caractère (comme en Turquie ou comme en Egypte de la Nahda qui a vu naitre des propositions d’écrire l’arabe en caractère latin pour moderniser la langue – disait-on - et la littérature arabes !), mais une fois la leçon apprise la littérature arabe s’est mise à voler par ses propres ailes. Elle a maintenu ses spécificités culturelles tout en s’ouvrant sur les innovations et le monde qui l’entoure et qui est en perpétuel changement. Bien sûr elle ne peut prétendre dépasser en genre, en quantité, en qualité et en originalité la littérature maitresse, encore-hégémonique, mais cela ne l’empêche pas d’être une vraie littérature digne de ce nom.
En tant qu’elle est substantiellement conscience, la littérature s’interroge sur la langue, les valeurs, la condition humaine, sur elle-même, sur l’artiste, la politique, la destinée, l’origine du monde, l’existence, le mal, les mœurs. Elle loue l’intelligence et la chante et pourfend la médiocrité et exècre la laideur. Et je ne pense pas que la littérature des immigrés en Italie manque de cette vocation, du reste, typiquement humaine.
Quand les historiens de la littérature française cherchent à établir la première manifestation de cette grande littérature universelle, ils la situent dans les premiers textes apparus dans cette langue naissante. Et ces premiers textes sont des notes commerciales et autres rudiments de contrats stipulés entre deux parties (individus ou groupes). En fait la littérature, comme tout être physique ou moral ne nait pas adulte. Et ça, c’est l’histoire de toute littérature qui nous le dit.
Or ce que nous pouvons constater c’est que certains critiques ou plutôt certaines tendances de critiques ne se gênent pas de considérer comme non-littérature la littérature produite par des immigrés ; littérature qui ne se réduit pas à de simples notations commerciales, pourtant.
Les critères sur lesquels se basent ces critiques tendancieux dans leur classification/exclusion ne sont pas de type esthétique mais plutôt géographique, pour ne pas dire raciste ! Et c’est ce qui se passe avec la littérature produite ici en Italie (et dans d’autres pays rose bonbon) ces derniers lustres par des étrangers issus du dit Tiers-monde. Cette littérature est considérée comme une littérature non-littéraire, car elle a pour auteurs des gens qui parviennent du sud du monde et qui ont l’insolence d’utiliser une langue qui ne leur appartient pas.
On leur reproche aussi le fait d’avoir en leur possession d’autres registres linguistiques qui les exposeraient à abâtardir, sabiriser, profaner en somme, la langue d’accueil d’une part, et d’autre part à faire d’eux des schizophrènes ! Peut-on être vraiment schizophrènes pour la simple raison qu’on possède dans son répertoire des mots nouveaux et des modes de dire étrangers à notre langue maternelle ? On oublie alors que le polyglottisme, dans son interface physiologique là où nait la langue chez un individu, est lui-même une espèce de langue à part entière, même si objectivement cette langue physiologique est faite de vocables et de modes de dire empruntés à plusieurs langues… socialement différenciées et différentes. En fait la langue de l’individu procède de celle de la société, et cette dernière est prête à accueillir en son sein des bouts d’autres langues, lexique et syntaxe, comme les langues néo-latines par rapport à la langue latine mère. On dit aussi que l’anglais contient une quarantaine de milles de mots français. Peut-on dire pour autant que celui qui parle une langue néo-latine ou celui qui parle anglais sont des schizophrènes ?
La réalité des langues est de cratère discret et siamois par nature, contrairement à celle des personnes sociales. Connaitre plus d’une langue est plutôt cumulatif : il aide la personne à enrichir sa langue physiologique qui, elle, ne connait pas de différences qui se créent à la superficie de la praxis linguistique. Le polyglotte utilise les vocables issus des langues qu’il possède comme des synonymes, et les syntaxes comme des modes alternatifs d’expression... car en fin de compte ou dans une langue ou dans une autre, l’entendement est le même, et s’il y a une différence ce serait de nature stylistique ou de richesse spirituelle.
Connaitre plus d’une langue n’a jamais porté personne à une schizophrénie qui altère l’intelligence ou endommage l’art.
L’esprit hostile de ces critiques de castes trahit leur manière snob de se rapporter avec ces considérés damnés de la terre, puisqu’ils continuent - pour paraphraser Renan - de voir dans cette partie de l’humanité martyrisée par l’histoire et la domination des plus forts des « races non perfectibles, restées comme des témoins de ce qui se passa aux premiers jours de l’homme. »
Oui, il y a des gens qui croient ou qui feignent de croire qu’ils sont supérieurs et qu’eux, contrairement au reste de l’humanité reléguée dans un état d’éternelle enfance, ils chient les bananes et pissent le jus d’orange ou le champagne ! Et ils sont légion, mais l’assemblée de mille imbéciles, comme on dit, ne fait pas une personne intelligente.
Quand il s’agit des artistes du tiers-monde qui osent mettre en question les mœurs de ces messieurs/dames per-bene ou leurs œuvres, certains critiques du premier-monde nous parlent de l’art pour l’art et nous exhortent à ne pas sacrifier l’art pour l’idéologie ; ainsi nous incitent-ils à détourner notre regard des méfaits de leurs mœurs et de la médiocrité de leurs œuvres. Mais quand il s’agit de nous-autodénigrer, ils accourent à nous récompenser avec des Palmes d’or et quelques Booker ou Goncourt ! Et alors l’art pour l’art, l’art qui exècre l’idéologie, n’existe plus, n’a plus raison d’être !
Le beau de leur hypocrisie patente est qu’on nous le dise textuellement et avec les faits, comme dans cet article du quotidien Le Monde. Son auteur écrit avec un grand enthousiasme, pathétique du reste, que le cinéaste iranien, Jafar Panahi - qui a remporté la Palme d’or à Cannes (2025) pour son film « Un simple accident » - a été « récompensé pour attaque virulente contre la République islamique. » et il poursuit : « Le jury a par ailleurs donné deux prix à « L’Agent secret » du Brésilien Kleber Mendonça, qui évoque la dictature militaire des années 1970. »
https://www.lemonde.fr/culture/article/2025/05/24/jafar-panahi-remporte-la-palme-d-or-d-un-festival-de-cannes-au-palmares-tres-politique_6608259_3246.html?lmd_medium=email&lmd_campaign=trf_newsletters_lmfr&lmd_creation=a_la_une&lmd_send_date=20250525&lmd_link=tempsforts-title
Rien sur la qualité artistique des films !
Tout l’art de ces damnés de la terre consiste à faire figure de banals informateurs et de vils délateurs, d’abrutis misérables, d’idiots utiles, quoi !
L’auteur de cet article bidon ne voit dans ces chefs-d’œuvre cinématographiques - sacrés en plus par le grand Cannes - que le trou du cul de leurs auteurs.
Oui, ce cinéaste ou ces cinéastes ont reçu un prix de la dissidence, de l’auto-dénigration... et Cannes est devenu un festival de l’idéologie, pas de l’art. Il est devenu ce que la Pravda fut pour Staline.
Certes, l’art est aussi divertissement, comme il est engagement, jeu et réflexions sérieuses sur la vie et le monde. Il est tout enfin, comme la vie, car il procède de la vie. Il ne saurait donc être seulement ceci ou seulement cela, car il ne serait que médiocrité patentée. Et c’est cette légèreté méthodologique que je reproche personnellement à ce genre de critiques bidon.
Cet article n’est pas le premier dans son genre et ne sera pas le dernier. C’est une croisade continue contre l’émergence de l’Esprit qui cherche de frayer son chemin pour l’existence et la dignité chez les peuples des damnés de la terre, les peuples de la périphérie du monde.
Ces pseudos critiques de l’art tendent à humilier les artistes de cette périphérie, à dénigrer leurs pays et à minimiser la grandeur de leurs œuvres, seulement parce que ces artistes n’appartiennent pas à l’espèce à part des dits occidentaux… et non seulement dans le cinéma.
Cela étant dit, il est évident comme l’écrit Ruth Benedict - Extrait de Patterns of Culture (1934) aucun être humain ne peut « regarder le monde avec des yeux vierges. Il le perçoit toujours à travers une vision façonnée par un ensemble déterminé d’habitudes, de systèmes et de modes de pensée. Même lorsqu’il entreprend une réflexion philosophique approfondie, il lui est impossible d’échapper totalement à ces cadres culturels. La morale est intimement liée aux valeurs de la culture dans laquelle l’individu évolue. La vie d’une personne n’est, en réalité, qu’une adaptation progressive aux modèles et normes qu’elle hérite de sa société. » Et c’est ce qui nous donne le droit et la légitimité, voire le devoir de remettre en question tout produit de l’esprit qui nous tombe sous les yeux et de l’examiner avec critique et honnêteté intellectuelle, non pas pour le censurer ou le démolir, mais pour en extraire le beau et le juste. Apprécier l’œuvre c’est l’examiner pour voir ce qu’elle vaut, en décelant ses défauts et en mettant en exergue sa valeur. Et c’est le rôle de la critique sérieuse, honnête, authentique. Tout produit de l’esprit – et la littérature et la critique sont le produit de l’esprit - est un chasseur de lumière dans un monde de ténèbres, pour paraphraser le Président brésilien Lula.
Abdelmalek Smari