Vues et vécus en Algérie et ailleurs. Forum où au cours des jours et du temps j'essaierai de donner quelque chose de moi en quelques mots qui, j'espère, seront modestes, justes et élégants dans la mesure du possible. Bienvenue donc à qui accède à cet espace et bienvenue à ses commentaires. Abdelmalek SMARI
Cependant, je ne suis pas d’accord quand tu parles des musulmans comme s’ils étaient un peuple homogène les réduisant à une espèce d’homo islamicus qui obéissait à toutes sortes d’ordres, craignant les malédictions et les anathèmes !
Ceux qui connaissent la religion musulmane savent que pour l’individu musulman, il n’y a pas d’autorité papale sur lui, sauf bien sûr celle de sa propre conscience. Ce qui n’exclut en aucun cas l’Autorité de l’Etat qui le représente et le gouverne.
Pour se permettre un comportement plus laïc, le musulman ne doit pas nécessairement déserter la mosquée ou le Centre islamique. N’oublions pas que le sens historique du mot laïc ne signifie pas l’être apostat ou athée, mais tout simplement le chrétien (puisque le terme est chrétien : Abélard l’avait utilisé) qui s’occupait de la vie mondaine de la cité (chrétienne), laissant les affaires de l’église aux hommes de l’église.
Et de toute façon si le musulman actuel a l’intention d’être laïc (au sens moderne tordu et tendancieux ou, mieux encore, néocolonial), il le fait parce qu’il est déjà laïc. Nous ne devons pas prendre les conséquences pour des causes et renverser la réalité des choses. Et c’est à cela que pourrait servir la critique ou l’esprit critique.
Et puis la vie du musulman n’est pas si pauvre en vie qu’elle doit être confinée dans une mosquée ou un centre islamique. L’histoire de la civilisation musulmane a su créer un équilibre entre le temporel et le spirituel, ces deux piliers qui, avec le bon dosage, régissent sous quelques formes la vie des peuples et créent force et prospérité. Même Machiavel avait reconnu et défendu le rôle de la religion dans la gestion de la res publica. Aujourd’hui, nous assistons sous nos yeux à la continuité du flambeau allumé par Florence, la spirituelle, et Venise, la temporelle. Une continuité que l’Amérique fait sienne après avoir garanti sa suprématie dans la spiritualité-culture (Hollywood et l’American way of life) et dans la temporalité-technologie (Los Alamos, Silicon-Valley, casquette de Trump et Coca Cola).
Bref, la suprématie de l’Amérique réside dans la recherche du juste équilibre entre le glaive et la croix, qu’à une époque pas loin de nous a fait des conquêtes sensationnelles et étonnantes. Une suprématie qui sait manier avec un art rare le B.52 et les Droits de l’Homme.
S’il arrive qu’un musulman refuse de toucher au porc, ce n’est pas parce qu’il craint les flammes de la géhenne ou l’opprobre d’un ostracisme, mais parce que c’est une attitude morale qui fait partie de sa culture, de son écosystème culturel. Personne n’isole personne, ni ici ni ailleurs. Et s’il peut en découler une sorte de sentiment de culpabilité de la part du profanateur, cela ne sera pas nécessairement suivie par une pénitence ou la récitation des Ave-Marie ! C’est un dégout purement physiologique ou mieux psychosomatique déterminé par une culture pluriséculaire.
Parler de l’islam et des musulmans comme s’ils appartenaient à une race différente ou comme s’ils constituaient une espèce particulière, procède à mon sens d’une sorte d’extranéation, d’exotisme qui, s’il est toujours le bienvenu dans une œuvre d’art, il demeure excessif et de toute façon inutile dans un travail de recherche qui se prétend scientifique.
Il m’est arrivé de rencontrer des fautes d’orthographe et de grammaire, en particulier dans les entretiens. « Est-ce une transcription fidèle des témoignages ? » me suis-je demandé. Ne pas interférer dans le discours de l’interviewé et déformer le sens original de ses propos ; c’est ce qu’on appelle l’honnêteté intellectuelle. Mais garder intactes ses erreurs et les exposer aux yeux du monde, prétextant la fidélité à ses mots, ce ne serait que de la mauvaise foi ou de l’ignorance tout court. On n’a pas le droit de faire de telles entorses à notre langue en humiliant nos hôtes qui pourtant n’épargnent pas d’effort pour essayer de s’exprimer le plus correctement possible.
Je sais qu’il est très embarrassant d’interrompre quelqu’un, qui en parlant, fait des erreurs pour le corriger. Mais il est tout aussi embarrassant de garder un silence complice sur des erreurs quand elles sont intolérables. Il est de toute façon recommandable de le corriger, en rapportant ses propos, afin de présenter au lecteur un discours clair ; à moins que tu ne veuilles donner des indications sur le niveau de connaissance de la langue italienne par ces Etrangers : mais je ne pense pas que ce soit là ton objectif.
On peut dire la même chose de la longueur des témoignages, qu’il aurait peut-être été préférable de réécrire, car le lecteur, parfois, ressent une répétitivité sans grande importance informative. Il aurait plutôt pu se concentrer sur des sujets plus appropriés à l’objectif de la recherche.
À la page 151, tu parles d’une certaine maladresse due au face-à-face « entre le chercheur et le sujet de recherche ». Cette relation n’a peut-être rien à voir avec l’inquiétude ou, comme tu le dis, « la tendance à ne pas envahir l’espace de l’autre ». N’as-tu pas parlé de tes « informateurs » ? Peut-être aurait-il été préférable de poser à tes informateurs, entre autres questions : « Qu’est-ce que cela signifie pour vous être interviewés pour un travail de recherche, qu’en pensez-vous ? »
Si je faisais partie de tes informateurs, voici ce qu’aurait été ma réponse : « c’est un échange d’idées, c’est une manière comme une autre de dire ce que je pense, c’est une manière de collaborer, en simple citoyen, à un travail en faveur de cette société dans laquelle tu te trouves et dans laquelle je me trouve aussi. »
Le mot informateur, comme tu l’as deviné, m’est fort antipathique. Je ne l’aime point. J’espère que l’esprit qui, tout au long des 164 pages de ta thèse sur les immigrés en Italie, a su choisir des mots objectifs, sans préjugés répugnants, n’ait pas donné à ce terme le même sens que les ethnologues serviteurs/promoteurs du colonialisme (consulter l’œuvre d’Edward Said) lui avaient donné et continuent de le lui donner ; quand ils considéraient ces informateurs comme des cobayes dépourvus de toute humanité et de toute personnalité, sans capacité d’analyse ; quand ils ne retenaient de leurs discours que les manifestations folkloriques.
Si on appelle informateurs les personnes interrogées, on peut également appeler les livres ou les auteurs que nous utilisons dans la bibliographie de nos recherches du même nom. Le mot sent le préjugé et la nature non scientifique ; il fait partie du langage policier-militaire et colonial. C’est pourquoi je ne l’aime pas.
Enfin, je te remercie beaucoup pour la dédicace et pour l’opportunité que tu m’as donnée de confronter mes idées avec les tiennes qui sont certainement beaucoup plus structurées parce qu’elles sont le fruit de mois et de mois de travail.
Félicitations !
Abdelmalek Smari