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Vues et vécus en Algérie et ailleurs. Forum où au cours des jours et du temps j'essaierai de donner quelque chose de moi en quelques mots qui, j'espère, seront modestes, justes et élégants dans la mesure du possible. Bienvenue donc à qui accède à cet espace et bienvenue à ses commentaires. Abdelmalek SMARI

Le dialogue entre les deux rives de la Méditerranée… en question ou de l'Ethnologie de quat'-sous (2) – 1ère Partie

 

Lettre à Cinzia

 

Le beau est que tu as réussi à rassembler dans ta thèse tant d’expériences variées malgré la complexité et l’origine disparate des sources et malgré la complexité du sujet lui-même. Tu as réussi à regrouper des réalités – expériences vécuelles - qui n’ont rien de commun les unes avec les autres, sauf peut-être leur existence en Italie à un moment donné de leurs histoires.

Mais considérer des réalités aussi hétérogènes que celles des immigrants en Italie comme une réalité homogène est du point de vue méthodologique une erreur flagrante. Malgré ça, l’on peut dire que tu as réussi à recueillir d’une manière exhaustive plusieurs points de vue de ces immigrants concernant le travail, cette dimension centrale de la vie de la personne adulte.

Toutefois j’ai trouvé la partie théorique un peu trop tortueuse et complexe pour pouvoir éclairer en elles-mêmes ces réalités aussi complexes et contrastantes. Du coup j’ai écrit à la page deux en haut : concepts liquéfiés ?

Est-ce ma paresse mentale ou mon ignorance de la langue italienne, ou même mon oubli du raisonnement et du langage de la psychologie, qui m’ont rendu le texte si difficile à comprendre ou à replacer dans le contexte général des réalités et des concepts que l’auteure tend à analyser ou à explorer ?

Peut-être. Mais cela n’a pas levé le doute que, d’une certaine manière, la partie théorique a besoin d’être un peu révisée, pour ne pas dire retouchée, afin qu’elle puisse correspondre ou du moins donner l’idée que la théorie et la pratique continuent sur la même voie. L’une guide et donne sens et l’autre donne force et substance pour faire avancer le projet sur le chemin de la connaissance.

Dans les premières pages je n’ai pas pu trouver l’auteure ; en ce sens qu’il m’était difficile de distinguer ce qui était propre à Cinzia et ce qui était propre aux auteurs cités. Toute cette succession de citations, au lieu d’expliquer quelque chose, déroute le lecteur ! Les citations, pour autant que je sache, doivent être présentes non pas pour expliquer hégémoniquement ce qu’il incombe au chercheur d’expliquer, mais pour ajouter à son travail un « plus », un complément, dans la confirmation, dans la critique, dans l’enrichissement, dans la destruction des erreurs et l’élucidation des équivoques et des préjugés qui altèrent toujours la compréhension de la réalité.

Je t’entends déjà dire : « Mais comment, tu parles d’un excès de citations, alors que tous les autres lecteurs m’ont reproché la pauvreté des références bibliographiques ?! »

Si on t’a fait une telle remarque, c’est peut-être parce que tu n’as pas cité leurs auteurs préférés ou leurs propres œuvres. Quoi qu’il en soit toute citation qui se respecte - et pour ce qu’elle vaut - nécessite de la part du citeur un minimum de commentaire critique pour l’expliquer et l’éclairer, dans son langage propre. Parce que, dans leur contexte naturel, un concept ou une idée sont compris, mais en dehors de ce contexte, même s’ils sont valables ils deviennent banals, équivoques et sans avenir, puisqu’ils nuisent à l’œuvre et mortifient le lecteur.

Une autre limite que l’on rencontre souvent dans l’écriture littéraire – l’essai plus particulièrement - est la suivante : si un poète est toujours autorisé à communiquer avec des signes et des symboles personnels et arbitraires, le langage scientifique doit être différent. Il doit être la langue d’une « communauté», pour ainsi dire.

 

« ... Le langage philosophico-scientifique – dit le philosophe Massimo Cacciari – sert précisément à définir et à déterminer, et c’est là qu’il s’épuise : dans le semainein.

Cela n’arrive pas en poésie ; dans la poésie, il y a un pathos qui s’exprime, oui, d’une manière exacte et précise, mais il n’est pas épuisé dans son sens ; d’où l’« obscurité » essentielle de la poésie, que le très mauvais sens commun attribue à la poésie comme si c’était son vice, tandis que l’obscurité est quelque chose d’absolument essentiel à la poésie. »

(Massimo Cacciari - Lectio Magistralis Milano, il 14.1.2008, pubbliée dans la revue Poesia n.225/2008 -  nosdrpSetomf9u3ag187 eo47au:11e5t105lra0n 8oeigulnu054f31il  2l

En outre il ne faut pas perdre de vue le fil conducteur qui nous porte de la phrase que nous avons sous les yeux à l’idée générale du texte et vice versa. Ne pas perdre de vue ce fil conducteur nous permet de rester concentrés et de bien comprendre le texte et le déguster.

« Il est donc possible de voir – as-tu écrit à la page 33 - le retour de l’islamisme fondamentaliste, qui s’est opéré après une période d’occidentalisation des modes de vie, comme le résultat d’une rupture douloureuse des représentations culturelles traditionnelles ». C’est une affirmation qui n’est pas sûre. Il n’est pas si facile d’expliquer le retour de ce dit islamisme fondamentaliste. N’importe lequel d’entre nous peut avancer des explications et les réfuter a piacere. Moi, par exemple, je peux dire qu’il n’existe aucun retour du fondamentalisme mais qu’il s’agit ici de la crise universelle des identités, causée par la modernité cruelle qui a dévasté tous les pays du monde, y compris les sociétés dites occidentales elles-mêmes.

Qui a dit que cette  épidémie identitaire  ne pouvait pas toucher les sacro-saintes et invulnérables sociétés occidentales ? Pourquoi ces sociétés devraient-elles en être épargnées ? Est-ce parce qu’elles sont les protagonistes de la modernité ? Et qui peut affirmer que c’en était le cas ? Le Japon, la Corée, l’Inde, le Brésil, la Chine et bien d’autres pays ne contribuent-ils pas - de manière quasi systématique depuis plus d’un siècle - à la modernité dans sa création et sa transformation perpétuelles ? Alors pourquoi continuons-nous à parler d’une crise d’identité pour le reste du monde - le monde non occidental, c’est-à-dire celui à occidentaliser - alors que les pays dits occidentaux semblent en être épargnés ?

Faut-il épargner les sociétés occidentales seulement parce qu’elles sont les premières créatrices de cette modernité ? Si c’est le cas, alors le mérite de la création de la modernité est détenu par la Florence de la Renaissance et Venise, ces nouvelles Athènes, selon la belle expression de l’historien A.J. Toynbee.

Vois-tu, chère Cinzia, le concept de l’Occident n’est pas si clair et si solide ; il se dissout au premier rayon d’une analyse vraiment sérieuse. Donc, expliquer une pseudo-réalité en recourant à une méthode pseudo-scientifique n’a aucun sens.

Une autre explication que je propose est la suivante : ce retour ne serait-il pas une sorte de revalorisation par ledit islamiste de son patrimoine culturel, une sorte de retour aux sources, une sorte de recherche sur soi ? Une façon d’en découvrir d’autres dimensions qui constituent le moi qui agit en nous ?  Ce moi nous permet bien évidemment d’étendre notre univers du moment, en nous faisant remonter plus en amont et en poussant notre mémoire toujours au-delà des limites que le temps et l’oubli tentent de nous fixer. Ces limites qui créent en nous l’angoisse effrayante de l’éphémère et de la platitude de l’être. En d’autres termes, plus notre mémoire est grande et étendue, plus nous nous sentons grands, profonds et immortels.

Il va sans dire qu’il ne s’agit pas ici d’avoir n’importe quelle mémoire, mais d’avoir une mémoire qui tout au long de notre existence nous rappelle et nous crie : ceci est vôtre et cela ne l’est pas.

Pourquoi allons-nous si loin pour prouver ou montrer l’existence et l’action d’un tel mécanisme ? Pense aux guerres actuelles perpétrées contre les damnés de la terre par des pays soi-disant occidentaux, démocratiques, riches, respectueux des droits de l’homme et autres beaux adjectifs, considérés comme propriété privée et exclusive des pays dits occidentaux.

Ces pays ne peuvent plus continuer à se réjouir du concept ou plutôt de l’adjectif d’occidentalité désormais vide de tout sens. Cet adjectif n’est plus en mesure d’expliquer ou de caractériser les nations qui s’y réfèrent et auquel elles s’identifient. Et pourtant on s’y accroche avec force, comme si cet adjectif constituait une caractéristique réelle qui fait de ces peuples une race à part et supérieure ! Les Occidentaux, eux aussi, souffrent de quelques crises d’identité, étant eux aussi des humains et sujets donc aux changements immenses, continus et brutaux que nous impose la vie. Ils ne peuvent pas faire semblant de cacher leur désarroi face à la  crise identitaire qui les dévaste – comme leurs frères les damnés de la terre - ou faire croire qu’ils en sont épargnés. La mondialisation les a mis eux aussi face à des crises non-indifférentes.

 

Abdelmalek Smari

 

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