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Vues et vécus en Algérie et ailleurs. Forum où au cours des jours et du temps j'essaierai de donner quelque chose de moi en quelques mots qui, j'espère, seront modestes, justes et élégants dans la mesure du possible. Bienvenue donc à qui accède à cet espace et bienvenue à ses commentaires. Abdelmalek SMARI

Le dialogue entre les deux rives de la Méditerranée… en question ou de l'Ethnologie de quat'-sous (1)

 

Chers lecteurs et cher hôte Over-blog, meilleurs vœux pour une bonne année 2025

 

« Selon une terminologie utilisée par Alain Gresh, un « informateur indigène » est une personne qui « simplement parce qu’il est noir ou musulman, est perçu comme un expert sur les Noirs ou sur les musulmans. Et surtout, il a l’avantage de dire ce que ″nous″ voulons entendre » (*)

 

Chère Manu,

j’espère que mon email te trouvera en bonne forme et pleine d’énergie et de sourires… j’espère aussi qu’il est encore temps pour t’envoyer mes impressions au sujet de ton article. J’espère enfin que tu comprendras mon retard: j’avais un peu trop de choses à faire avec des échéances un peu trop brèves, « étroites »…

Mais avant de te faire part de mes impressions, je t’invite à lire la lettre à Cinzia(**) que je rapporte ci-dessous, et à me dire à ton tour ce que tu en penses.

Je dois t’avouer d’emblée que ton article m’a laissé un arrière-goût d’inachevé : tu as posé des prémisses mais personnellement je n’ai pas pu voir de conclusions.

C’est comme si quelqu’un se mettait à courir à perdre le souffle puis sans raison, sans objectif (convainquant ou apparent), il s’arrête, net !

Ton texte, s’il arrive à décrire une problématique et une méthodologie ne donne aucune suite logique à ce qu’il décrit… !

Je sais qu’une investigation du genre est ardue et est de longue haleine. Elle ne peut se contenter de quelques interviews consentant quelques généralités sur l’infinité des réalités que tu regroupes sous le terme de « Système de perception et de représentation des relations entre les deux rives de la Méditerranée » ; mais ce que j’entends dire, moi, se limitera à la lecture de cet article.

Goût d’inachevé donc et ce pour deux raisons fondamentales : l’appel inutile et sans motif pertinent au dialogue et le recours encore aujourd’hui à certains vestiges terminologiques d’une discipline raciste (l’éthno-graphie et logie) dans la mesure où elle ne respecte point l’objet de ses investigations qui n’est rien d’autre que l’homme lui-même, et pas n’importe quel homme, malheureusement ; l’aborigène, l’indigène, l’oriental et j’en passe...

Tu as parlé du dialogue et de la nécessité di dialoguer, mais franchement je ne vois, ici non plus, aucune raison d’être de ce dialogue, ni sa signification ni sa nécessité donc.

A mon avis il aurait fallu te poser ces questions avant de courir à tendre le filet à des pseudo-exigences épistémologiques formulées d’ailleurs par des puissances prédatrices (l’Amérique de Bush entre autres) et défendues à cors et à cris et présentées comme l’urgence des urgences.

Alors qu’il s’agit ni plus ni moins, dans ce pseudo appel au dialogue, que de consacrer l’idée qui suppose qu’il y a d’une part une rive hostile car pauvre et envieuse donc, frustrée et prête à nuire. Et de l’autre part il y a une rive riche et illuminée, car blanche, chrétienne et occidentale, victime collatérale de ses propres richesses et de l’envie ou si tu veux du mauvais œil des damnés de la terre.

Cette dichotomie donne à faire croire que la rive raisonnable et raisonnante, bonne et illuminée se comporte en bonne samaritaine qui cherche à comprendre, à aider, à ouvrir donc un dialogue avec ces morveux de pauvres envieux et méchants qui sont les gens de la rive de la misère, de la haine et de la violence aveugle…

Voilà pourquoi je trouve ton concept de « dialogue » imprécis et qui a besoin d’être déterminé et défini davantage. Comme d’ailleurs le pourquoi de ce dialogue qui a besoin aussi d’être expliqué avec plus d’attention et de critique.

Pour te rendre l’idée avec plus de clarté, je te pose cette question : « Pourquoi on ne parle pas de dialogue entre la France et l’Italie par exemple ? »

C’est une question très sérieuse, car quoi qu’on en dise, un peuple est toujours en quelque sorte hostile à un autre peuple, de préférence à son voisin le plus proche ; et c’est plus logique, plus naturel et fort plausible donc.

Si tu me dis qu’entre la France et l’Italie en particulier et entre les pays de la rive nord en général, il ne doit pas y avoir nécessité de dialoguer puisqu’il n’existe plus d’hostilité entre ces pays, puisque on a dépassé le stade des hostilités, puisqu’on est devenu plus conscient et plus civil… je te dirai que ton discours rejoint alors le discours dominant qui veut que les pays pauvres soient hostiles par nature et par vocation car ils sont pauvres !

Et de la sorte on ne résout rien, toi et moi.

Si tu me dis qu’il y a des incompréhensions qu’il faut élucider, alors je te suivrais, mais même là il nous resterait à nous entendre sur la terminologie et sur les modalités avant de nous nous exprimer et avant d’agir.

Et alors moi je proposerai le terme de coopération qui indique, au moins de par les intentions que ce terme renferme en lui, qu’on a en face deux entités (deux pays, car il ne faut pas élargir trop notre champ de perception et d’action, il faut qu’il reste à la hauteur de nos moyens concrets) qui ont besoin l’une de l’autre et sont contraintes de s’entraider et d’être respectivement solidaire l’une avec l’autre, sans besoin de démontrer orgueil ou arrogance.

Si à travers cette coopération surgissent, et ils surgiront sûrement, des malentendus, alors il sera nécessaire, indispensable même, d’enclencher des dynamiques de dialogue pour régler les conflits et les contentieux à l’amiable…

Alors le terme dialogue trouvera sa place, et sa dignité épistémologique, naturelle. Et les rapports entre les hommes des deux entités seront des rapports de compréhension mutuelle, de respect et de vraie solidarité.

Ça sert à quoi continuer à présenter les Algériens pour eux-mêmes ? à les présenter comme des informateurs ? comme ceux qui naguère allumaient « volontiers » le calumet de la « paix » et posaient pour les beaux et féroces yeux des pionniers.

J’ai compté l’utilisation du mot informateur dans ton texte trois fois …

Avant de continuer, je voudrais te rappeler (ce que je te disais à Piazza Duomo de Milan) que la critique n’est que savoir. Et celui-ci n’est que critique.

Ainsi donc si tu réussis à trouver un nouveau terme pour rendre compte de la réalité que prétendait décrire, l’impropre, le méchant terme d’informateur, ce serait en soi l’élaboration d’un nouveau concept. Et ce serait déjà un nouvel effort sur le chemin de la recherche et de la création. Ce serait déjà un nouveau fruit de l’arbre des idées et de la culture. Ce serait déjà une nouvelle théorie. Bref, ce serait original, décent, intellectuellement honnête et surtout humain…

Bien sûr tu trouveras toujours quelqu’un qui s’en offusquerait et ce serait normal à cause de la paresse mentale qui caractérise notre esprit, de notre peur de changer pour ne pas perdre des privilèges garantis par une habitude conceptuelle bien établie, de notre peur des langages incertains car inexistants encore.

Peut-être que tu trouveras parmi ces mentalités figées ton professeur même, mais n’ayez pas peur : fonce ! fonce et tu verras qu’un terme vieux de deux siècles n’est plus apte à comprendre (au sens physique et intellectuel) des réalités mortes et devenues néant. Forge-toi un nouveau concept : c’est ton droit mais c’est aussi ton devoir de femme de savoir et de culture.

Comme la couleur du plumage ou les chants chez les oiseaux annoncent involontairement et malgré eux l’arrivée de la saison clémente et celle des amours et de ses différents rituels et cérémonies, ainsi les informateurs informent sans personnalité, sans volonté, sans point de vue, sans envie ni capacité d’analyse ou d’interprétation.

Puisqu’ils sont incapables et incapabilisés, ils ne doivent rien savoir de la destinée de leur intervention et surtout ils ne doivent pas prétendre contester les sentences du meneur de jeu, du détenteur de la vérité et du pouvoir épistémologique, du représentant de la culture dominante, de l’ethno-logue/graphe.

Les proto-ethnologues et ceux de la première heure ne considéraient point leurs « cobayes ». Ils ne les daignent d’aucun respect du moment qu’ils constituent des peuplades incultes, ignorantes, impuissantes, hors de l’histoire (celle euro-centrique surtout), colonisés, dominés, appauvris, spoliés de leurs richesses, humiliés,…

Et puis ces énergumènes, ces pseudo chevaliers de la science, voulaient faire de leurs fantasmes et préjugés une vraie connaissance, un vrai savoir, une vraie science avec sa méthodologie, son objet et son système conceptuel, une science de la nature enfin comme ils voyaient se faire en chimie ou en physique.

Ils ont osé bousiller et leurs efforts intellectuels et la dignité humaine. Ils partaient des présupposés que si homo occidentalus est évolué c’est qu’il évolue encore et serait donc insaisissable et donc impropre à faire objet d’études ethno. Ils pensaient par contre que si les sauvages d’aborigènes et les divers indigènes des damnés de la terre sont arriérés c’est parce qu’ils n’évoluent pas et s’ils n’évoluent pas, ils sont comme un papillon de Nabokov, épinglé et attendant donc l’arrivée des entomologistes pour les observer, les palper, les disséquer, les étudier, les classifier en véritables naturalistes pour sortir à la fin du parcours avec des lois, qui ne sont que des sentences d’un tyran sot et aveugle qui se veut bon et éclairé.

Voilà donc pourquoi l’ethnographie étudie « ethnographiquement » les autres sociétés humaines vaincues (certainement pas par l’évolution mais par l’histoire, par la main de leurs frères les hommes capitalistes, esclavagistes et colonialistes) qu’ils appelaient avec mépris et dédain : peuplades primitives et épargnent de cette étude infâme les gens de leurs propres tribus !

Le malheur c’est que n’importe qui de cette race des évolués peut s’improviser ethnologue ! Personnellement j’ai connu deux ouvriers : l’un d’eux était gardien de nuit dans une brasserie milanaise. L’autre toujours à Milan faisait le réparateur pour photocopieuses.

Ce dernier, en Argentine, où il se trouve trois ou quatre mois l’année, faisait le psychanalyste ! L’autre, ayant pris sa retraite, il est parti pour le Sénégal où il avait séjourné pour deux ou trois mois. De retour du Sénégal il a tenu à faire une conférence où il voulait parler aux Milanais non pas de ses impressions de voyage mais expliquer au même auditoire les mœurs des Sénégalais, leur raison d’être, leur signification, l’origine de leur misère, l’indifférence de l’Occident, la nécessité que celui-ci intervienne pour aider ces damnés de la terre.

Des recettes pour soulager l’Afrique de ses maux ne manquaient pas dans le discours (court) de ce gardien de nuit, prétendu ethnographe. Il a même échafaudé des concepts, des théories explicatives, et bien sûr tant de mensonges, de gaucheries et préjugés.

Mais je reconnais quand même que son insolence n’est pas arrivée à égaler celle de ce tel secrétaire d’un grand parti politique – Veltroni, auquel Berlusconi, dit-on, lui reprocha le fait d’être non-laureatao, sans diplôme ! - qui avait séjourné dans un hôtel de luxe dans une capitale africaine pour trois ou quatre jours et retourné à son Italie avec un livre de clés pour ouvrir les portes des lumières et des prospérités aux Africains !

Bien entendu, loin de moi l’idée de vouloir innocenter les Sénégalais d’être premiers responsables de leur sort et de leurs malheurs (malheur est toujours relatif). Ils sont eux-mêmes des victimes complices car vaincus et aliénés… et puis ils sont prêts à tout pourvu qu’ils puissent survivre. Après tout la misère et l’humiliation valent mieux que la mort…

C’est comme la blague d’un pieux néophyte fort zélé qui se lavant son derrière, il s’est sali la main. Il accourt à son voisin bucheron et lui demande de lui couper le doigt que la souillure a rendu impur. Le bucheron, homme averti et raisonnable, lui conseille de le laver et renoncer à sa folie. Mais l’autre est aveugle : il veut être pur, immaculé. Alors le bucheron lui dit : lave-le ou tu vas le sucer ! Non persiste l’autre. Au coup de la hache notre pur se porte le doigt avec sa souillure à la bouche et se le suce naturellement, instinctivement.

Je ne veux pas non plus dire qu’on ne doit pas faire ce genre d’investigation mais seulement qu’on le fasse avec dignité et respect et pour le savoir et pour le sujet /objet de ce savoir. Nous devons le faire aussi et surtout pour le respect de nous-mêmes.

Quant à moi, je préfère être tout : une personne, un interviewé, Malik, un ami, un écrivain, un intellectuel, tout sauf informateur. Car je n’informe pas je donne mon avis. J’échange et je confronte mes idées… seul moi sais qui je suis et quelle est ma conception du monde et de moi-même. L’ethnographe ne saisit de moi que ce qu’il a dans sa propre tête qui peut être tout sauf ma nature, mon ego, ma substance.

Tu peux en avoir une idée : car je ne t’ai rien dit des choses que tu ignores autant que moi. Nous avons échangé des points de vue sur des réalités sans nous être confondus ou fondus dans ces réalités.

 

 (*) Ahmed Bensaada - https://investigaction.net/3-questions-a-ahmed-bensaada-a-propos-de-kamel-daoud-nouveau-prix-goncourt/?fbclid=IwZXh0bgNhZW0CMTEAAR3DalmeQRphlbxnRuEzB4m8JTpxifV7pvRrtsni_5DIvbaUqYJNPv3ssyk_aem_ZiqlHTBUS9rUxMB1CU8UnA

(**) Une lettre à une lauréanda de nom Cinzia qui sera publiée prochainement

 

Abdelmalek Smari

 

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