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Vues et vécus en Algérie et ailleurs. Forum où au cours des jours et du temps j'essaierai de donner quelque chose de moi en quelques mots qui, j'espère, seront modestes, justes et élégants dans la mesure du possible. Bienvenue donc à qui accède à cet espace et bienvenue à ses commentaires. Abdelmalek SMARI

Le nationalisme est patriotisme - Lettre à un ami sur le sujet (6)

 

Si le mouvement est vie et la vérité consiste dans la recherche du vrai et du juste ; la résistance est victoire, si elle est éclairée par la conscience.

Dans son célèbre essai Qu’est-ce que les Lumières ? en 1784, Kant donne la définition suivante : « Le mouvement des Lumières est la sortie de l’homme de sa minorité dont il est lui-même responsable. Minorité, c’est-à-dire incapacité de se servir de son entendement sans la direction d’autrui, minorité dont il est lui-même responsable, puisque la cause en réside non dans un défaut de l’entendement mais dans un manque de décision et de courage de s’en servir sans la direction d’autrui. Sapere aude ! Aie le courage de te servir de ton propre entendement ! Voilà la devise des Lumières. » https://fr.wikipedia.org/wiki/Sapere_aude

Il parle des Lumières, je parle de la résistance. Résistons donc, servons-nous de nos forces, toutes nos forces si nous voulons vaincre la médiocrité de l’homme et la misère morale.

Me trouvant à lire un essai de Zeev Sternhell « Le fascisme, ce mal du siècle », je crois avoir compris, d’après l’introduction qu’il donne, pourquoi tu as horreur du nationalisme. En fait il est vraiment effrayant suivre la définition donnée par cet historien à cette bête (anti)politique, le nationalisme, en raison de la conception irrationnelle sur laquelle une telle notion repose et des conséquences néfastes qui en découlent nécessairement. Alors que les Lumières, à la question « Qu’est-ce qu’une nation ? » répondent par « C’est l’option librement exprimée d’individus dotés de droits égaux », les historicistes, fanatiques du nationalisme qui t’effraient, répondent « l’histoire, la culture, la religion, le groupe ethnique ».

Les passages cités ici sont de Sternhell, l’auteur de l’essai, qui explique ou clarifie davantage les deux options : « L’homme des Lumières, dit-il, voulait recréer le mythe de Prométhée, rien de moins. Ses ennemis immédiats [qu’il appelle historicistes] réagirent en invoquant la Providence, le destin, l’histoire et les racines profondes de l’inconscient collectif. D’ici à supposer, pour les historicistes fanatiques [l’auteur cite Herder comme représentant de cette pensée], qu’il existe « une essence nationale, dont la pureté doit être protégée et la singularité encouragée » ne tient qu’à un fil mince et fragile. Un tel nationalisme est tout simplement abominable.

Toutefois, le nationalisme dont je parle et que je défends n’appartient pas du tout à ces aberrations pour des raisons nombreuses et variées, à commencer par la plus absurde de toutes : si l’on exclut l’Antiquité, l’Algérie n’a pas encore produit de penseurs comme Herder et ses illustres héritiers, les différents Renan. Et notre révolution de Novembre ’54 n’est pas encore arrivée à formuler un discours complet sur son sens politique et sa portée historique.

Donc l’Algérie ne contemple point un tel nationalisme. L’histoire même du peuplement de l’Algérie dément la pureté raciale de ses habitants : en témoignent les vagues démographiques incessantes des Etrangers qui ont contribué à forger homo berbericus. Et il en sera toujours ainsi, et pour tous les peuples de la terre.

Le nationalisme pour un pays mineur comme l’Algérie, exposé aux quatre vents de la prédation, est un paradigme, un mythe mobilisateur. Tel mythe a permis aux Algériens, d’une part de prendre conscience de leur condition de mineurs, de peuple qui ne peut être perfectionné selon la langue de Renan. D’autre part d’organiser une résistance pour sortir de son état de mineur.

« Nous avons pris votre langue en otage... Le français est pour nous une prise de guerre... C’est en français que nous vous signifions que nous ne sommes pas Français », dit Kateb Yacine à la France coloniale. Plus loin, il précise pour qu’il n’y ait pas de malentendu : « En tant que poète, je lutte... pour... l’extension de la langue arabe en Algérie, sans néanmoins porter atteinte au français, qui, lui aussi est une langue algérienne. »

J’irais même plus loin : nous avons acquis la langue française par notre propre mérite et nous pouvons l’utiliser non pas pour signifier que nous ne sommes pas français (être français, je pourrais l’être autant que toi tu pourrais être chinois ou scandinave) mais pour exprimer mon admiration pour la France de Voltaire, de Francis Jeanson, de Sartre et des autres justes, en envoyant se balader ses mystificateurs, ses arrogants et ses prédateurs.

Jean Senac, le poète algérien d’expression française, dit : « L’Algérie reste l’une de ces terres tragiques où la justice attend encore... Le monde entier a pris conscience de la réalité raciste et colonialiste... L’artiste doit entrer dans la lutte, peu importe ce qu’il lui en coûte. Henri Alleg, l’un des justes français, témoin de la pratique de la torture en Algérie occupée, dit : « Tout cela, je devais le dire pour les Français qui voudront bien me lire. Il faut qu’ils sachent que les Algériens ne confondent pas leurs tortionnaires avec le grand peuple de France, auprès duquel ils ont tant appris et dont l’amitié leur est si chère. »

Les Algériens ont répondu à ce grand idéal et ont su distinguer le bourreau de l’ami.

Ecoutons encore Senac exhorter les jeunes Algériens à vivre libres et respectueux.

« ... Jeunes gens vous serez des hommes libres /

vous construirez votre destin /

Vous construirez une culture sans race

vous comprendrez pourquoi ma mort est optimiste /

je ne me suicide pas /

je vis /

Voilà, ma signature ».

https://www.lezenswaard.be/view/17451/senac-jean

Comme tu peux le constater, cher Roberto, il n’y a pas de bévues fascistes ou expansionnistes dans le cas d’un pays comme l’Algérie, qui a été martyrisée et qui a appris sur sa propre peau combien la paix et le respect de soi et des autres sont importants. Avec son nationalisme, l’Algérie ne cherche qu’à survivre dans un minimum de décence et de dignité.

Au contraire, comme si le fait qu’elle avait abhorré le fascisme et l’expansionnisme ne suffisait pas, l’Algérie l’a écrit comme un principe dans sa constitution et tous ses textes fondateurs.

Notre nationalisme est à considérer – et c’est ainsi qu’il est vécu par les Algériens – comme un moyen parmi tant d’autres de s’organiser et de continuer à exister dans le respect d’eux-mêmes et des autres sociétés. Un respect fondé sur la compréhension mutuelle et la solidarité humaine.

Il ne s’agit pas là d’aimer la terre froide et noire pour elle-même, mais de saisir le lien qu’elle constitue pour les personnes ou les groupes de personnes et la condition pour qu’ils soient solidaires les uns des autres.

En cela, toutes les terres sont égales et doivent être respectées de la même manière, mais il n’en reste pas moins que celui qui ne peut pas ou ne veut pas faire preuve de solidarité avec son prochain ici et maintenant, aura beaucoup de mal à le faire ailleurs et à d’autres moments.

À ce stade, le nationalisme est une école de connaissance de l’autre et de solidarité avec lui. Et c’est pourquoi l’Algérien a tendance à aimer son peuple et sa terre, même si les vicissitudes de l’histoire l’ont rendu incapable d’utiliser pleinement son corps et son cerveau pour peupler le temps et l’histoire. Et puis, franchement, après Machiavel et Voltaire, on ne peut plus parler ouvertement de la religion comme d’une dimension fondamentale de la politique, mais de la raison qui avait pris le nom des Lumières et d’où dérivait le nationalisme, parmi d’autres instruments et concepts opérationnels de la politique.

Il y a des années, un sondage de l’ONU ou peut-être de l’UE a donné Israël, avec les États-Unis en tête, bien sûr, comme les États les plus agressifs et les plus violents de la planète à notre époque.

Il est à préciser que la violence est une source stratégique sur laquelle tout organisme vivant, biologique ou social, s’appuie pour survivre. Mais nous pouvons voir que si ce rapport/enquête ne peut pas dédouaner ces deux États d’être violents, il nous fournit au moins quelques explications sur les raisons de leurs choix. Aussi bien les États-Unis qu’Israël sont de formation récente et de composition ethnique de différentes provenances ; et les rapports que leurs citoyens ont les uns avec les autres confinent parfois à l’hostilité. Et c’est normal puisque les citoyens de ces deux États sont en train de se former et ne sont pas encore parvenus à constituer un véritable corps social cohésif, uni et solidaire. Ces dernières années, les États-Unis ont été impliqués dans plusieurs opérations militaires à travers le monde et à la suite desquelles pas moins d’une vingtaine de leurs soldats meurent chaque jour, à la fois au combat et par suicide – une réalité qui est cachée, stratégie oblige !

Si un jour les États-Unis, pour une raison ou une autre, perdent un tel amusement, une telle diversion, il leur arrivera sûrement ce qui est arrivé aux poissons de Lorenz : toute leur agressivité se tournera contre eux-mêmes.

La vie et la mort d’Hemingway lui-même mettent en scène l’histoire et peut-être même le destin de son pays. En effet, parvenu à l’âge de l’impuissance à faire du mal autrement que par des paroles, ce grand cultivateur de cruauté tourna son fusil vers sa tête et la fit sauter, faute de gibier qu’il ne pouvait plus avoir à sa portée.

Les divers racismes et les diverses injustices sociales ainsi que de nombreux malentendus et hostilités qui caractérisent cette gigantesque entité politique, les USA, ne peuvent que la miner de l’intérieur. Et les prétextes déclencheurs ne manqueront pas pour qu’une telle menace se réalise dans ce pays en formation. Du reste c’est pour cette raison que ses stratèges créent des problèmes ailleurs afin d’amuser la mosaïque de peuples qui le composent et de les maintenir bons afin de créer artificiellement en eux une cohésion qu’ils peinent à avoir. Les émeutes, les tueries de masse, la guerre civile elle-même... tout cela agit comme un signal et rappelle aux Américains la possibilité de tomber dans la gueule de ce monstre qu’est l’implosion, l’anéantissement des États-Unis tout court.

Le cas d’Israël, en revanche, est différent à bien des égards : d’abord, dans sa portée. Les stratèges israéliens opèrent sur un territoire très limité qui se réduit à la terre qu’ils partagent avec les Arabes de Palestine.

Et puis, Israël a encore fraiches dans sa mémoire deux expériences de mort imminente : la vie d’errance pour quatre millénaires et la Shoah. Et il est clair qu’il ne veut pas souffrir à nouveau.

Par conséquent, il doit défendre son territoire, qui est comme une maison, qui protège sa communauté et sa vie même. Et s’il se montre violent ou mieux exagérément sévère, c’est parce qu’il sait ce qui l’attend si les circonstances d’avant 1939 reviennent, car alors quelqu’un en Europe pourra oublier que tous les peuples sont égaux, y compris les Juifs, et alors il sera possible qu’il se mette à le traquer, à le persécuter de nouveau.

Israël et les Juifs de la diaspora qui le soutiennent craignent de se retrouver à nouveau sans abri, à la merci des autres. Avec leurs richesses, leur génie, leur dignité et leur existence même... ils ont peur des menaces incessantes de persécution, d’humiliation et de pillage de la part de ces mêmes puissances qui ont été à l’origine de leur extermination.

Voilà une vérité qui est systématiquement, scientifiquement et sciemment cachée, d’abord à la très mauvaise conscience des « antisémites de souche » et autres nazis, puis au troupeau des soi-disant Arabes et enfin aux musulmans de toute la terre.

 

Abdelmalek Smari

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