Vues et vécus en Algérie et ailleurs. Forum où au cours des jours et du temps j'essaierai de donner quelque chose de moi en quelques mots qui, j'espère, seront modestes, justes et élégants dans la mesure du possible. Bienvenue donc à qui accède à cet espace et bienvenue à ses commentaires. Abdelmalek SMARI
الحدث
قصّة قصيرة : سامي حبّاطي، الجزائر
« Si un type comme de Gaulle n’avait pas eu une telle conscience de la grandeur de la langue, je ne suis pas sûr qu’il aurait pu tenir le discours du 18 juin, ni qu’il aurait été écouté. Une langue, c’est une énergie. »
Jean-Michel Delacomptée
Tous dans le même pétrin
Il n’y a pas que notre langue qui ait de tels problèmes d’ambigüité où les mots pour dire des choses et des faits aussi différents les uns des autres se ressemblent scandaleusement, et il n’y a que le contexte ou un accent qui tranchent pour un sens ou pour l’autre (a et à, en français ; ancora et àncora, en italien).
Jean-Michel Delacomptée, après un diagnostic de l’état de la langue française dit : « … il n’y a pas « une » mais « des » langues françaises. » Et, selon le quotidien Le Monde qui rapporte ces propos, il en nomme sept. La plus précieuse, la « haute langue » C’est « la langue de la littérature. La langue écrite de haut vol, exigeante, tenue, qui rend compte de la complexité du monde. »
Une langue – je paraphrase encore Delacomptée -, c’est une énergie, elle nous insuffle. Elle nous traverse, elle nous fait être. Et si elle « se déstructure, c’est une pensée qui s’amollit, qui branle dans le manche. »
http://www.lemonde.fr/m-perso/article/2018/03/16/un-langage-qui-se-destructure-c-est-une-pensee-qui-s-amollit_5272114_4497916.html#6PGRqwqZPsppJec1.99
Si jusqu’à un passé plus ou moins récent – un passé où la langue arabe était encore arabe, c’est-à-dire limpide, autonome et fière – on pouvait tolérer, voire même rechercher ce genre de raccourcis pour épargner un peu de temps au lecteur (puisque rien ou presque dans cet arabe là n’était pas-arabe), dans notre nouvelle ère, ces omissions et ces raccourcis ne sont plus tolérables ni d’ailleurs possibles.
Déjà, du temps des écrivains et intellectuels arabes, comme Lotfi Sayyed, des voix s’étaient levées pour pallier à cette limite du caractère arabe, en proposant tout court de remplacer notre caractère par celui latin. Car déjà alors, la langue arabe – heureusement pour nous et pour elle – a été contaminée par des sons, des mots, des sensibilités et des idées que ni le génie de la langue ni celui des penseurs arabes n’était pas arrivés à arabiser entièrement, à plier aux moules de notre langue.
Ces pionniers, certes, mus par leur amour pour cette langue et surtout par leur amour pour le lecteur arabe, n’ont pas trouvé de mieux que la bête et lâche idée de jeter à la poubelle le caractère arabe !!!
« D’ailleurs qu’a-t-on à en faire s’il ne nous aide plus à lire et, si nous lisons, il ne nous aide pas à comprendre et, si nous comprenons, il ne nous encourage pas à nous exprimer et à créer ?! » auraient-ils pensé entre eux et eux, peut-être en toute sincérité.
Certes, ce fut une solution ; lâche, certes, car dictée à ces réformateurs - apparemment nés déjà exténués, neurasthéniques ( !) - par leur paresse, leur infantilisme et leur parasitisme intellectuels.
Au lieu de faire travailler leurs méninges et rénover le caractère arabe d’une manière authentique et originale, nos pionniers de la Nahda s’étaient comportés en aliénés, en pauvres d’imagination et d’inventive, en sans-dignité culturels.
Ils avaient jugé utile de mettre un masque de laideur au beau visage de cette belle créature en en faisant un monstre, au lieu de la maquiller avec goût et élégance. Au lieu d’en corriger l’anomalie du nez ou de l’œil, de l’oreille ou des lèvres, ils avaient préféré leur amputation et leur substitution par du silicone !
Et c’est justement pour cela qu’ils avaient échoué, car, comme tous les peuples du monde (à part bien sûr les Turcs, ces pas-arabes, ou ces vaincus Maltais, victimes du Vatican et de son corolaire le colonialisme chrétien), les Arabes aussi ne permettraient jamais une telle atteinte à la dignité de leur langue, à leur dignité.
S’ils avaient eu un génie créateur, ces pionniers auraient agi - comme avaient agi les vrais génies, les Arabes d’autrefois, - en créateurs inventifs, pas en rafistoleurs, en vulgaires cordonniers, réparateurs de vieilles chaussures.
Ces Arabes d’autrefois, Arabes de génie, ces fondateurs de civilisation, avaient eux aussi rencontré une grande anomalie dans l’écriture de l’arabe, mais ils n’avaient pas recouru aux lettres sanskritiennes, persanes ou byzantines qui les entouraient pourtant et les traversaient de part en part.
Non, ils ne pouvaient en avoir besoin, car ils avaient leur génie propre et leur fierté, surtout, pas comme ces arrivistes, paresseux et opportunistes.
Et ainsi avaient-ils pu résoudre le problème d’une manière poétique, harmonieuse et scientifique.
Ils avaient ainsi rehaussé le rang de leur langue arabe qui devrait alors se lancer à la conduite de la culture et de la civilisation humaine.
Ces Arabes avaient inventé les points, les harakate, le soukoune, la hamza de rupture, la teh marbotah, la sheddeh et même la ponctuation !
Et leur poète, Abou-El-Alaa El-Maarri, fut là à rendre compte d’une manière fidèle de leur génie, quand il se vanta :
وإنّي وإن كنتُ الأخيرَ زمانُهُ {؛؛؛؛} لآتٍ بما لم يستطعْهُ الأوائلُ
Ces Arabes vraiment civilisés et civilisant furent derrière la création du point interrogatif, de la virgule et du point virgule.
Pourquoi nos pionniers de ladite Nahda, à l’aube du 19ème siècle pourtant ( !), n’ont-ils daigné suivre non pas les cendres de leurs illustres prédécesseurs, mais le feu qui couve encore sous les cendres de cette grandiose civilisation, l’étincelle de leur génie ?!
Pourquoi n’ont-ils pas essayé plutôt de remédier à cette grande anomalie de notre caractère, en imaginant par exemple d’imiter la nature vocalisante du caractère latin, en usant des voyelles longues (حروف المدّ) comme des voyelles, et en incorporant par exemple les harakate dans la lettre même, ainsi auraient-ils débarrasser enfin le caractère arabe de la lourdeur de ces harakate et de leur inutilité ?!
Ainsi, le caractère arabe serait sauvé et, avec lui, la dignité de la langue arabe et la fierté des Arabes.
Ainsi aussi les Arabes (de nos jours) auraient-ils adhéré à cette innovation, à cette révolution authentique et honorifique et pu devenir enfin de grands lecteurs intelligents et espiègles, au lieu de répéter la même erreur - cette fois sur le plan politique - quand ils veulent jeter à la poubelle (au sens figuré et propre !!!) leurs gouvernants et leurs états pour avoir en retour comme régisseurs cravache-à-la-main les gouvernants des autres pays, leurs enculeurs d’hier !
C’est la continuation de la décadence, c’est la dégringolade civilisationnelle de ce peuple qui se meurt dans la stupidité, dans la paresse et dans le ridicule.
Ça, quand la lecture était la lecture d’idées simples et qui se faisait au ralenti et par des rares personnes élues et désignées pour ça, et quand la conscience de ces limites ne s’était pas encore faite sentir ni la nécessité de les résoudre posée.
Mais quand les idées étaient devenues profondes, complexes, variées et infinies ; quand les lecteurs arabes - eux aussi - étaient devenus infinis, exigeants, raffinés ; quand les données du problème avaient complètement changé, alors le génie de l’arabe (langue) est accouru au secours de l’Arabe (la personne) et de ses hôtes, les 3ajem, les pas-Arabes.
تَتَنازَلُ إسرائيل عن أراضٍ مُحْتَلّةٍ قبل 1967
Essayons de réécrire le contrat entre l’état de la Palestine et celui d’Israël en ce caractère rudimentaire (où il n’y avait même pas la hamza ou la teh marboutah, ni les harakate ni le soukoune ni la sheddah ni notre patron des patrons…).
Chiche !
Déjà dans la fameuse résolution de l’ONU 242, concernant le contentieux du siècle entre Israël et la Palestine, l’on trouve une toute petite clause qui fut mal rédigée ou mal traduite, à cause d’une négligence « graphique » de la part des Palestiniens. Et alors ces derniers ont perdu un point de force pour leur cause, en ne prêtant pas attention à la présence/absence de l’article de détermination « el », comme racontait Hassanein Heykel :
تَتَنازَلُ إسرائيل عن أراضٍ مُحْتَلّةٍ قبل 1967 –
تَتَنازَلُ إسرائيل عن الأراضي المُحْتَلّةِ قبل 1967 –
Les dindons, pardon, les dirigeants, arabes présents ayant pris part activement et passionnément à ces discussions et délibérations, tous, sans exception (même notre Bouteflika qu’on disait alors qu’il parlait bien sept langues, même et surtout les rois bédouins dont el i3jaz coranique – linguistique par excellence – était leur affaire, même le grand za3im Gamalov et notre Boumediene), tous furent aveugles devant une telle déflagration de corruption du sens par la langue, leur propre langue pourtant !
Tous ont approuvé et applaudi cette résolution funeste de l’ONU qui - à cause de la débilité de nos rhéteurs et politiques et de leur complicité (sciente ? à leur insu ?) – consigna la Palestine (hormis quelques enclaves) à Israël, en vertu de cette ambigüité/débilité de la langue arabe ? non des gens qui la parlent.
L’ONU, justement et légitimement, après le vote à l’unanimité( ?) retint donc cette formule :
تَتَنازَلُ إسرائيل عن أراضٍ مُحْتَلّةٍ قبل 1967 –
Et c’est donc tout le mérite d’Israel, si ladite Palestine continue à prétendre de posséder l’enclave de Gaza ou de ce qui reste de la West-banc.
Il y a même des gens qui ont fait l’hypothèse que les Arabes ne sont pas de grands lecteurs ou à la rigueur qu’ils sont de mauvais lecteurs, à cause des problèmes inhérents à la nature même du caractère arabe (l’écriture).
Qui enseigne cette langue aux non-Arabes (aux Italiens dans mon cas) se rend immédiatement compte de telles difficultés (écritures sans harakate..., figurons-nous sans ponctuation, sans hamza et teh marbouta... ce serait un labyrinthe dans le noir).
Je crois qu’il est l’heure de modifier le caractère de notre langue, si nous voulons redevenir comme les anciens, c’est-à-dire de grands et bons lecteurs... autrement cette langue ou du moins son caractère se perdra à jamais.
Car on est devant une seconde crise de l’arabe, une crise de dessin de son caractère (أزمة رسم اللّغة العربيّة) ... une crise semblable à celle qui avait suscité l’instauration de la ponctuation, la création des harakate et du soukoune et l’invention de la cheddeh, de la hamza et de la teh marboutah...
Abdelmalek Smari